5.3 : Lestaque

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— Bonjour, Fabio. Je te présente le commissaire Pierre Lestaque, de Paris. Il enquête sur le meurtre d’une danseuse… amorça Luc, une fois que Goncalves lui eut entrebâillé la porte de son cagibi.

— Et alors ?

Le commandant s’effaça et Pierre attendit une invitation à entrer qui n’arriva pas. Il resta donc debout pendant que Talbot s’éclipsait, augurant apparemment d’une confrontation orageuse.

L’homme était sobre, cependant son teint gris et ses yeux jaunes ne trompaient personne. Lestaque précisa :

— Vous vous êtes occupé d’un accident de voiture la concernant, il y a huit ans, et je me demande si vous vous souviendriez de quelque chose qui pourrait m’aider. Marie-Odile Demécourt, ça vous dit quelque chose ?

— Pfut…

— Traduction ?

— Je me souviens de rien.

Au lieu de s’entretenir avec quelqu’un de la maison, Pierre eut l’étrange sensation de mener l’interrogatoire d’un accusé peu coopératif. Aussi la question suivante jaillit-elle spontanément :

— Où étiez-vous dans la nuit de mercredi à jeudi dernier ?

— Allez vous faire foutre.

— Vous étiez peut-être de service ? Voulez-vous qu’on charge vos collègues de vérifier ?

— J’étais chez ma mère pour voir le foot.

— Elle peut le confirmer ?

— Allez vous faire foutre.

— Vous savez dire autre chose ?

— Allez vous faire foutre.

— Marie-Odile et sa mère ont été tuées à Paris cette semaine.

— J’m’en bats lec. Marie, elle m’a quitté il y a des années. J’en ai eu cent mille depuis.

— Tu savais qu’elle habitait à Paris ?

— Non.

— Elle était danseuse au Paradis des Cancans.

— N’importe quoi, elle était vendeuse chez SFR…

En butte à une hostilité latente, le commissaire de la capitale franchit la portion de couloir jusqu’au bureau devant lequel Luc faisait le pied de grue, anxieux. Ils entrèrent dans l’espace plein comme un œuf, dans lequel ils tenaient à peine debout côte à côte malgré les immenses fenêtres et les hauts plafonds moulurés. À Metz, pas de grande salle commune. L’étage était divisé en toutes petites pièces identiques de part et d’autre d’un long corridor parqueté. Il s’en échappait un bruit ininterrompu de frappe sur les claviers, le même que dans tous les postes.

— Classe, ton bonhomme !

— N’est-ce pas ?

— Désolé, mais tout porte à croire que c’est lui, l’ex-copain violent. Je l’ai confondu en trois secondes. Il est con en plus…

— L’alcool… ça aide pas…

— On peut vérifier son alibi ? Un match de foot chez sa mère.

C’est alors le téléphone de Luc sonna. Il répondit puis plaqua l’appareil contre son bide en chuchotant : « Incroyable, la mère justement ! ». Il fit un signe éloquent vers la porte que Pierre referma. L’habitué des lieux ne parut pas satisfait, le contourna et s’assura de la gâche récalcitrante par une poussée de l’épaule. Ensuite seulement, il activa le haut-parleur :

— Oui, madame Goncalves.

— Commandant, c’est un peu gênant, vous devez être occupé, mais comme vous m’aviez donné votre numéro il y a longtemps, quand Fabio n’allait pas bien… En fait, je sors juste de chez ma belle-fille. Elle est dans tous ses états. Vous lui avez dit que mon fils maltraitait une autre femme ?

— Madame Goncalves, je n’ai rien dit à votre belle-fille concernant une autre femme…

— Commandant, vous savez combien je désapprouve Fabio, mais je vous jure qu’il n’a pas recommencé depuis que je l’ai menacé de le chasser de la famille. Je le surveille, vous savez, nuit et jour.

— Excusez-moi de vous demander ça : est-ce que vous pouvez me dire où était Fabio mercredi soir ?

— Chez moi.

Elle avait répondu très vite.

— Vous en êtes sûre ?

— Oui, c’était le match de Metz. Fabio n’a pas Canal +, alors il vient voir le foot chez moi. Qu’est-ce qui se passe, Commandant ?

— Une femme a été retrouvée morte à Paris. Marie-Odile Demécourt. C’est bien une ex de votre fils ?

— Marie-Odile ? Oui, mais c’était il y a des années.

— C’était il y a six ans. Quand elle l’a quitté, elle était enceinte. D’une petite fille.

— Oh, mon Dieu, la liste de ses péchés ne s’arrêtera donc jamais ! C’est une croix ce garçon, mais je ne peux pas le renier tout de même. Je sais ce que vous faites pour lui, Commandant, pour lui conserver son emploi. C’est ça qui le retient de sombrer, vous savez. Est-ce que je peux vous demander comme un service de dire aux gens qui s’occupent de cette petite fille de m’appeler ? Je voudrais réparer les torts de Fabio, comme je le fais auprès de Lina.

Luc coupa le flot de paroles de la pauvre femme et l’éconduisit gentiment. Un simple échange de regards, les deux amis se dirigèrent de concert vers le bureau du brigadier Goncalves. Ce dernier demeurant imperméable à la présence de son supérieur, Lestaque reprit là où ils en étaient restés :

— Votre mère confirme votre alibi.

— Ben ouais.

— Avez-vous battu Marie-Odile quand vous sortiez avec elle ?

— Non, mais ça va pas, non ? Dégagez de mon bureau !

— Elle a eu une fille. Votre fille à ce qu’on dit.

— Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?

— Vous étiez au courant ?

— Non. Dégagez maintenant.

— Est-ce que vous vous soumettriez à un prélèvement ADN ?

— Dérangez pas le labo pour ça, vous l’avez dans mes états de service, servez-vous. J’ai rien fait, ni à Marie-Odile ni à cette gosse. J’en veux pas, des gosses.

Il asséna à l’attention de Luc, l’air mauvais :

— Ça aussi, vous pouvez vérifier avec ma mère.

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