6.5 : Lestaque

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De retour au deuxième étage, Lestaque fut justement apostrophé par une Clara souriante :

— Patron, c’est ton jour de chance ! On a déniché la sœur de ton gars…

— Quel gars ?

— Rugier, l’accident de voiture. Elle habite à Paris. Tiens, son téléphone fixe et son adresse. Je viens de lui parler : Rugier est chez sa copine mais déjeune chez elle tous les midis.

Son esprit étant encore occupé en bas, il fallut un instant avant qu’il comprenne de qui elle parlait. Il eut un étourdissement, se reprit en voyant son lieutenant froncer les sourcils :

— OK, merci Puce, je le fais tout de suite, et après je rentre.

— Tu rentres ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?

— Non, non. C’est juste que j’ai bossé ce week-end, j’en peux plus. Seulement besoin d’une petite sieste.

À la jeune collègue interloquée par sa désertion, il expliqua succinctement sa mission : interroger une nouvelle fois Fantômas, lui présenter les photos des suspects et surtout, le décourager de poursuivre ses activités auprès des filles trop naïves. Enfin, il s’assit à son bureau et composa en râlant le numéro qu’elle venait de lui fournir, pressé d’en terminer avec le commissariat.

En réalité, Pierre déjeunait avec sa femme, pour prolonger la bonne dynamique de leur séjour à Metz. Chez Luc, un fou rire les avait pris à l’examen de la chambre d’amis bricolée. Des plaisanteries sur la décoration aux craintes de chute de plafond, ils avaient basculé dans une partie de jambes en l’air très joyeuse, loin de leur routine. Pierre n’avait jamais été très aventureux en ce domaine. Un ou deux pornos regardés « entre hommes » lui avaient démontré qu’il était hors-jeu et une ou deux pannes, les premières en vingt ans, l’avaient conforté dans son image d’amant dépassé. Estimant qu’il avait assez de chats à fouetter, il avait mis l’aspect sexuel de sa vie au rencard, sans amertume particulière, jusqu’à cette nuit chez Luc. Une expérience transcendantale, peut-être parce qu’ils sentaient leurs hôtes dans la chambre d’à côté. Il en avait encore mal, des dorsaux aux fessiers… Les douleurs post coïtales confortèrent sa résolution de reprendre le sport. Sans doute il portait toujours beau, sanglé dans son costume, sa carrure athlétique favorisant la méprise, mais quand il s’aventurait à courir, le ballottement de ses lourdeurs l’obsédait.

La sonnerie lancinante sur son bureau fut enfin rompue par une voix féminine :

— Madame Rugier ?

— Madame Fantin Rugier, oui.

— Commissaire Pierre Lestaque.

— Ah oui, bonjour monsieur. Excusez-moi, j’étais partie en courses. Le temps d’ouvrir la porte, j’ai failli vous rater… Votre jeune collègue que j’ai eue tout à l’heure au téléphone m’a dit que vous cherchiez mon frère depuis plusieurs jours.

— Effectivement.

— Elle m’a informé de ce qui était arrivé à Marie. C’est abominable, ce qui se passe de nos jours. N’importe qui peut se faire attaquer comme ça, dans la rue, et hop, l’instant d’après on n’existe plus. Mon frère était très malheureux de l’apprendre, il aimait beaucoup cette jeune femme.

— Vous en avez déjà parlé à votre frère ?

— Oui, je l’ai eu sur son portable à elle !

— Elle ?

— Je vais vous expliquer : en fait, il a noyé son téléphone…

La dame adopta un ton gêné :

— Il est tombé dans la cuvette, cela arrive à tout le monde n’est-ce pas ? Il ne l’a pas encore remplacé, c’est pourquoi il n’a pas reçu vos appels. Je dois vous dire que mon frère est engagé dans une relation. Avec le médecin de Ludovic. C’est elle qui l’a opéré suite à l’accident. Il la voyait quand il amenait Ludo à l’hôpital. Vous savez ce qu’il a subi, j’imagine… Oui ? Alors vous comprenez. Je suis si heureuse pour lui.

Lestaque attendait la chute de ce monologue oppressé. Elle arriva :

— Enfin, voilà. Pour le joindre, il faut faire son numéro à elle. Je vais vous le dicter.

— Je note… mais est-ce que vous pourriez plutôt lui dire que j’aimerais qu’il passe au poste de police du Xème ?

— Je le fais tout de suite. Cependant je ne crois pas qu’il pourra vous aider. Nous ne voyions pas Marie-Odile et Patricia Demécourt si souvent.

— Vous les connaissiez, vous aussi ?

— Évidemment !

— Je vous prie de venir avec monsieur Rugier, dans ce cas.

— Bien sûr monsieur, demain matin sans faute ! Neuf heures ? Puis-je vous demander pourquoi ?

— Je vous remercie. Bonne journée, madame Fantin.

Lestaque quitta le commissariat en subodorant que la journée du lendemain lui réserverait encore quelques surprises. Des questions plein la tête, il faillit revenir sur ses pas. La promesse d’une sieste crapuleuse l’en dissuada.

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