7.1 : Lestaque
— PL, on a Mouss ! Le dealer ! Ils l’ont ramassé ce matin dans son lit et ils nous l’ont amené. Il est en bas. Je te préviens, il est plutôt furax, on lui a rien dit.
En proclamant la nouvelle, campée derrière son bureau, la commandante jouissait de toute évidence d’être arrivée aux aurores, avant lui. Pierre franchit le seuil en sens inverse, dégringola les volées de marches menant au sous-sol, avisa la porte gardée par deux agents. Il remercia ceux-ci, entra, posa les deux mains en appui sur le plateau de la table, fixa le crâne du suspect. Sous son regard lourd, ce dernier ne put se retenir de lever les yeux. Il tchipa, s’avachit sur le dossier de sa chaise. Déplaça son poids sur l’autre fesse. Pli arrogant au coin des lèvres. Lestaque le laissa encore un peu faire le kéké.
— Mouss… Alors c’est toi ?
— Paraît, ouais.
— On a quelque chose qui t’appartient.
— Ah ouais ? ça m’étonnerait. J’ai rien perdu.
— Trois kilos ?
— Je vois pas.
— D’accord. On m’a informé que tu bénéficiais de quelques protections…
— Je vois pas.
— … qui ne pèsent pas grand-chose face à une inculpation pour trafic de stupéfiants. Les politiques n’aiment pas trop, les affaires de drogue. Alors tu m’expliques comment une grand-mère se retrouve avec des pains de résine dans le tiroir de sa commode ?
— Pass’tu crois qu’y a que des gamins, des blacks et des Arabes dans le business ? Faut sortir, man !
— Tu sais que Patricia Demécourt est morte ?
— Ouais, les nouvelles vont vite… Faut dire que vous avez pas été très discrets sur place.
— Elle se faisait combien ?
— Comment tu veux que je le sache ?
— D’accord, c’est toi qui vois.
Il se dirigea vers la porte. Du bluff. Il y avait une chance que ça marche, la plupart de ces petites frappes ne comprenaient que le chantage. Et puis celui-ci avait tout à craindre d’une publicité sur son trafic. Il n’attendit pas longtemps.
— Elle servait juste de coffre-fort. Attention, j’ai rien à voir avec ça ! Je le sais parce que j’suis… un ami de la famille.
Le commissaire resta debout, à deux pas de la porte, à surveiller le profil du jeune. Celui-ci soupira, se redressa, s’accouda à la table, ferma les yeux, se mordit l’articulation du pouce.
— Et donc elle touchait combien ?
— Oh, pas beaucoup, deux cents, max.
— Deux cents euros, juste pour un tiroir ?
— Ouais, même pas rempli en plus. C’est le prix pour une planque sûre.
— Marie-Odile, tu connais ?
— Ouais. Elle a rien à voir avec ça.
— Comment tu le sais ?
— On est sorti ensemble à une période.
— Ah oui ?
Lestaque avait beau tenir l’info de la bouche de Fantômas, il eut un choc. Maud avec ce Mouss ? Il le considéra avec un peu plus d’attention. Jeune, athlétique, fringues de marque. Coupe de footballeur : touffe décolorée et motifs au rasoir. Il n’avait pas l’aura d’un caïd. Débrouillard, peut-être, intelligent sûrement pas. Un sous-fifre, conjectura-t-il, mais un sous-fifre qui connaissait les deux victimes, et pouvait les approcher facilement.
— Où étais-tu mercredi soir à une heure du mat’ ?
— Simple, on fêtait la victoire du PSG avec les copains, y peuvent témoigner.
— Pour ce que ça vaudra, la parole de tes potes…
— Vous l’avez vue, Marie ? Comment elle va, avec la mort de sa mère ?
— Tu te fous de ma gueule ?
— Quoi ?
— Elle a été tuée. Le même jour.
Le jeune abandonna sa superbe. Il se liquéfia jusqu’à étaler ses épaules sur la table d’interrogatoire puis se lamenta, la tête entre les mains :
— Oh, non, pas elle, putain ! Pas Marie ! Non, non, c’est pas vrai, vous vous foutez de moi, c’est pas possible ! Y avait pas que Patricia dans la maison ?
Le commissaire s’éclipsa. Quand il revint avec un coca du distributeur, Mouss pleurait en silence. Il posa la canette devant le jeune, se blinda lorsque celui-ci le regarda en suppliant :
— Dites-moi ?
— Si tu me parlais plutôt de tes relations avec la famille Demécourt ?
— Marie, quand elle a débarqué de la province, c’était ma meuf. J’aurais tout fait pour elle, j’en étais dingue. J’ai même pris un vrai boulot : attaché de clientèle chez SFR, t’imagines ? Quand elle a compris que je revendais, elle m’a quitté. Fin. Elle savait pas que j’étais en affaires avec sa mère.
— Elle l’a découvert, elle t’a menacé et tu as dû les tuer toutes les deux ?
— N’importe quoi ! T’as pas entendu ce que je viens de te dire ?
— Ou bien t’étais trop jaloux ?
— Mais nan ! Ça faisait deux-trois ans que c’était fini, mais on était restés genre bons amis ! Elle était cool. Franchement, j’ai trouvé ça trop courageux, qu’elle décide de s’occuper de Léa. À l’époque, sérieux, je croyais vraiment que la gosse était sa sœur. Elle la calculait même pas. Et puis il y a pas longtemps, j’étais chez Patricia, et y a Marie qui arrive et qui veut me parler, comme quoi elle est la mère de Léa, et que ça la bouffe de le cacher, et qu’elle va habiter avec, et que si ça va bien elle lui dira la vérité sur son vrai père et tout…
— Elle voulait lui dire qui était son père ?
— Ouais. Pas tout de suite, hein, mais quand Léa poserait des questions, comme quoi qu’elle avait pas le droit de lui mentir, même si son père était un salopard. Je les aimais bien toutes les trois, faut me croire. Marie, je lui aurais jamais fait du mal. Je fais des conneries, mais ça non… Et même, si vous avez besoin d’un coup de main pour l’attraper, celui qui a fait ça, je vous aide. J’ai des frérots, je les mets sur le coup.
— Le père en question, le salopard, tu l’as rencontré ?
— Non. Maud a pas voulu me dire qui c’était. Elle devait avoir peur que je lui taillade sa p’tite gueule. D’façon, il l’a plus emmerdée.
— Quelque chose de louche autour de chez Patricia Demécourt ?
— Nan, c’était tranquille, c’est pour ça que c’était une bonne planque.
— Est-ce que tu reconnais une des personnes sur ces photos ?
— Ouais, lui. C’est le père de Ludo. Il venait voir Patricia et elle lui gardait Ludo. Un petit handicapé. Il jouait avec Léa. C’est une triste histoire…
Pierre dissimula son contentement. Pourtant, ses méninges carburaient. Quelle était la probabilité qu’un minable délinquant de région parisienne évoque l’accidenté de Metz ? Précisément celui qu’il devait entendre dans l’heure suivante ? Coup de chance ? Cette affaire lui donnait parfois l’impression d’un mauvais roman policier, de ceux où l’enquêteur est baladé de suspect en suspect, condamné à réagir aux rebondissements prévus par un scénariste joueur.
Il arracha à Mouss ce qu’il savait des contacts entre les Rugier et les Demécourt : les deux familles se « voyaient » « à peu près tous les mois », et Patricia Demécourt reversait « ce qu’elle palpait avec sa planque » au père de Ludo. Il affirma que Marie-Odile ignorait l’arrangement. Relâché, il partit en jurant ses grands dieux de se ranger dans sa Guadeloupe natale, « en mémoire de Marie ». Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Le dealer allait de toute façon avoir des ennuis. Avec sa dernière livraison confisquée et sa cachette éventée, son patron yougo, un méchant qui fournissait tout le bassin autour de l’aéroport, ne le lâcherait pas. Mouss semblait mûr pour négocier avec ses collègues de l’antidrogue, lesquels seraient tout disposés à lui payer son aller sans retour.
Le commissaire prit son téléphone, afin de remercier son homologue du 93 de lui avoir amené l’oiseau et de l’informer qu’il rentrait au nid. Ils convinrent de s’assurer de la coopération future du sieur Jean-Maurice Rose, alias Mouss, en distillant à qui de droit des fuites judicieuses sur ses activités.
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