7.3 : Lestaque
Qui en voulait à ce point aux Demécourt ? Les suspects ne manquaient pas. Le problème, c’est qu’à peine amorcées toutes les pistes faisaient pschitt.
Le seul profil crédible, oh combien, demeurait celui du Fabio de Metz, auquel la mère garantissait un alibi. Lequel des deux cerveaux avait pu concevoir ce carnage, de la brute avinée ou de la gentille mamie qui passait derrière lui pour éponger les dégâts ? Pourquoi auraient-ils tué les Demécourt ? Pour récupérer Léa ? Pour se venger ? Et pourquoi n’avoir rien tenté pendant six ans ? Qu’est-ce qui avait tout déclenché ? Ils ignoraient peut-être réellement que Maud avait une fille jusqu’à une date récente. Rares avaient été les personnes à connaître la filiation de la petite. Enfin, pas si rares en définitive : Héloïse, Mouss, l’instit de Léa, les Rugier, Sylvie Moret, Mehdi Bétouni… il se reprit : non, pas lui, lui ne savait pas. Tout tournait autour de Léa, le commissaire en était persuadé. Le problème était que Luc refusait la culpabilité de son agent.
Par les baies de son bureau, tandis qu’il interrogeait les Rugier, il avait vu toute l’équipe arriver et se mettre au travail, mais il n’avait pas envie de déclencher la causerie maintenant. Christophe Rugier lui avait sucé toute son énergie. Pour une fois, il usa de la ligne interne afin de joindre Clara :
— Bonjour Puce.
— T’es déjà au boulot, Patron ? J’ai vu des gens sortir de chez toi.
— Plutôt deux fois qu’une. Avant, j’ai eu le dealer au bavoir.
— Et ça a donné quoi ?
— Je viendrai tout à l’heure vous briefer. En attendant, est-ce que tu peux fouiller sur internet : Google, réseaux sociaux… bref, tu sais mieux que moi… Je veux tout connaître de Fabio Goncalves.
— Tout de suite ?
— En priorité, oui. Je veux le cuisiner, lui et sa mère, alors si tu pouvais me donner un os à ronger, ça m’arrangerait. Ce qui serait encore mieux, ce serait que le labo nous dise qu’ils ont une correspondance quelque part, mais bon, ça m’étonnerait, si on a essuyé le téléphone… Imagine la façon dont ce connard a pu continuer à surveiller Maud depuis six ans. Trace ses déplacements à Paris… Eh, Puce ! Je sais que j’abuse de ta santé. Je te promets qu’à la prochaine dotation en matériel, c’est ton écran pourri qu’on changera en priorité, pour sauver tes petits yeux du surmenage…
— À la saint-glinglin, probablement !
Il faisait allusion à la récente arrivée de machines neuves pour la moitié de l’équipe. Les équipements les plus obsolètes avaient été remplacés, à l’exception de celui de Clara. Depuis, elle râlait et reconfigurait tout son système à chaque mise à jour.
— À tout à l’heure, ma p’tite puce !
PL s’exhorta à liquider ses propres rapports en retard, une tâche bien ingrate en l’absence des résultats scientifiques. En effet, rien ne découlerait de cette paperasse tant qu’ils seraient dans le brouillard.
Non pas qu’il considérât les analyses comme providentielles. Celles-ci ne pouvaient que compléter une solide enquête sur les hommes et leurs motivations. D’où l’importance de consigner le « pas à pas ». On résolvait quelquefois des affaires des années après, à la faveur d’un nouvel indice. « Cold case », comme ils disaient à la télé.
Pourvu que le meurtre de Maud ne finisse pas ainsi, c’était vraiment trop dégueulasse. Une fille si belle, une jeune mère, une personne bien, selon son entourage.
Il prit son téléphone pour accentuer lui-même la pression sur le labo, sans s’avérer dupe de son propre stratagème qui repoussait encore un peu plus ses tâches administratives. Au prétexte de donner des informations sur les nouveaux prélèvements en route, ceux des Rugier, il obtint un responsable. Ce dernier lui assura, manière de se débarrasser de lui, qu’il aurait toutes ses conclusions le lendemain.
Sur la lancée, Lestaque appela Auguste Moret. Le psychiatre lui accorda jusqu’à la fin de la semaine, après quoi il envisageait de ramener lui-même Léa à Paris. Il demandait quand l’enterrement aurait lieu, car il estimait essentiel que la fillette y assiste. Le commissaire n’avait aucune réponse à lui fournir, une impuissance qui lui laissa un goût très amer.
Avant de s’attaquer au coup de fil suivant, Pierre consulta la date : mardi. Six jours que les deux femmes étaient mortes… Il composa le numéro du portable de Luc :
— C’est encore moi, Cul. Tu as deux minutes ? Je te fais un topo et tu me dis ce que tu en penses ? Ça m’aidera à y voir clair.
Ayant obtenu le feu vert de son ami, il lui présenta un joli réquisitoire, dans le but non signifié de l’amener à partager sa conviction. Enfin il dévoila son ambition de confondre le brigadier Goncalves et sa mère :
— Je vais les pousser à se contredire.
— N’oublie pas qu’il connaît les ficelles…
— De toute façon, il me faut une déposition officielle.
Luc rigola :
— Ficelle, officielle, on en est rendu à faire des rimes, Chemise. Ça me fait du bien de rebosser avec toi. Tu vois ça comment ?
— Je reviens te voir. Demain. Avec mon adjointe, Audrey. Tu peux t’occuper de les convoquer tous les deux ? Le matin ?
PL termina la matinée à classer sur son bureau les papiers épars, avec l’objectif de démarrer l’administratif dès son retour. Il réalisa la même opération dans la messagerie de son ordi. Cet après-midi, il se mettrait à son rapport, sans faute. Pas d’échappatoire cette fois. Pour l’heure, il ne pensait plus qu’à son déjeuner avec Sophie.
Il ne revint qu’à seize heures, en regrettant de ne pas être resté un peu plus dans les bras de sa femme. Cependant, comme aucune révélation nouvelle ne le déconcentra, il se surprit à avoir rédigé toutes ses conclusions plus vite qu’il ne l’avait redouté.
Avant de quitter le poste, il organisa un point rapide sur l’affaire, et félicita ses hommes pour leur efficacité. En effet, ils disposaient maintenant d’un dossier carré, à défaut d’une vision claire. Il l’attribua à leur engagement à tous, avec une mention spéciale pour Audrey qui, en bon commandant, « ne leur lâchait pas la grappe ». Il choisit ce moment pour lui vendre leur virée du lendemain à Metz.
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