Chapitre U N
JE ME LÈVE TOUJOURS TRÈS TÔT, prenant un grand bol d'air frais en ouvrant la fenêtre avant de me préparer pour aller au travail. J'attache mes cheveux en queue de cheval haute, mets un t-shirt et un pantalon usé accompagné de mes converses que je quitte rarement. Comme d'habitude j'ai de grosses valises sous les yeux, mais je n'en prends pas compte. Le regard des autres m'importe peu, alors pourquoi acheter une tonne de produits pour ceci ?
J'arrive au boulot avec dix minutes de retard. On me le pardonne tout le temps, tellement que cela en devient barbant.
-Salut Hayden ! dit Rosy responsable de plusieurs articles qui ont fait ravage cette année.
Je la salue de la main et me dirige directement vers la salle de réunion avec une tasse de café bien corsé. Tout le monde se retourne vers moi et une mine blasée s'affiche sur mon visage pendant que je ferme tout en délicatesse la porte de ma main libre. Je n'aime pas être remarquée par mon retard. Je préfère être remarquée pour mon effronterie et mon travail qu'autre chose. C'est bien la seule chose qui m'importe par rapport à eux.
-Bon, nous allons commencer cette réunion. dit le rédacteur en chef, Mark. Demain je donnerai à tout le monde un sujet à traiter pour écrire un très bon article, j'ai bien dit "très bon article". Je ne veux pas comme l'autre fois un article sur la plus grosse pizza au monde. dit-il en appuyant son regard sur une petite blonde qui s'affaisse sur son fauteuil de l'autre côté de la salle.
-Excusez-moi...dit la blonde timidement
-Nous sommes un journal sérieux donc je vous en prie,des sujets sérieux. En plus, l'un d'entre vous aura une grosse tâche à faire dans ces prochains jours. Je préfère ne pas en dire plus pour laisser le suspense, pas de spoiler.
La réunion continue vivement, mais ce n'est pas cela qui me donne mal à la tête, je sirote le café, laissant le goût amer rentrer dans mon tube digestif . Enfin fini, je me mets au travail en buvant un café au lait devant mon bureau. Non, je ne suis pas accro à ce breuvage même si j'enchaine pour tenir la journée... Juste un petit peu ?
Et oui, j'enchaîne pour rester éveillée.
Des articles s'affichent sur l'écran de l'ordinateur. Un homme d'affaires est à la première page.Il a l'air arrogant dans son costume gris clair qui fait ressortir la couleur rouge de sa cravate posée sur une chemise d'un blanc éclatant. Un jeune homme ayant réussi sa vie, un jeune homme ayant beaucoup trop d'argent et qui ne sait pas comment le manier. C'est le genre d'homme que je déteste le plus. J'enlève la fenêtre et m'occupe d'aider mes collègues. Pas d'articles pour moi aujourd'hui. Ça fait deux semaines que je n'ai rien écrit mais reste toujours vers les derniers à quitter le boulot si je n'ai pas rendez-vous avec mes amis.
***
Aujourd'hui, je quitte tôt le travail pour retrouver Chris et Miranda, mes seuls amis. Chris est le seul homme que je réussisse à fréquenter.
Il m'attrape dans ses bras chaleureux avec un sourire collé aux lèvres. Je lui réponds avec un sourire crispé.
-Cela fait juste deux jours que l'on ne s'est pas vus, je grince.
-Je sais bien, mais ne plus t'avoir sur les basques depuis plusieurs années me manque donc je me contente de nos dîners et de te prendre dans mes bras.
Les cheveux châtains de Chris sont plus longs qu'il y a un mois et une barbe naissante prend place sur son visage. Ses yeux gris sont rieurs quand il se décale un peu pour me regarder, moi, sa meilleure amie. Je me détourne vers Miranda qui me lance un regard similaire à celui de Chris.
-Je me demande bien qui était sur les basques de qui, ricane-t-elle, arrêtez donc de parler de vous deux. Je ne vous connaissais même pas encore à cette époque.
Elle fait semblant de faire une moue en faisant une bouche en cœur. Miranda est d'une pâleur incroyable pareil pour ses cheveux d'un blond frôlant le platine contrastant à son humeur solaire. Elle porte toujours des habits de style épuré et féminin alors que Chris et moi sommes habillés comme dans nos années lycée : sobre à souhaits de la tête aux pieds, il ne manque plus que l'on porte chacun un hoodie et l'accessoire favori de nos années lycée, le skate. Elle se sent des fois rejetée de nos conversations puisqu'on ne l'a connu qu'il y a 5 ans, pendant nos études.
-Alors comment se passe le travail ? demande mon ami
-Comme d'habitude, j'arrive en retard, je ne parle à personne évitant surtout les hommes et je rentre chez moi. dis-je dans un rire nerveux.
Nerveux car le châtain s'inquiète au moment où je prononce le fait de m'éloigner des hommes.
-Tu n'as pas fait de crise ? Je veux dire cette semaine.
-Non, rien n'est arrivé.
Mensonge.
Il me sonde avant d'appeler un serveur.
-Deux pâtes carbo et ?
Il s'adresse du regard à Miranda.
-Ah... Une salade caesar.
-Tu ne trouves pas que tu es assez maigre comme ça ? demande-t-il. C'est vrai que c'est rare de voir Miranda s'empiffrer comme nous de pizza ou d'un bon vieux burger, à part dans les mauvais jours.
- Je t'en prie, je trouve ça mieux que des pâtes remplies de crème fraîche.
Chris et moi rigolons d'un rire franc laissant mon amie bouder comme une petite fille. Je regarde mon assiette avec envie mais n'ose tout de même pas y toucher.
-Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas mangé quelque chose de bonne constitution.
-Tu ne sais rien faire de toute façon.dit Chris
-Pardon? Qui est celui qui a adoré mon gratin de légumes accompagné de riz basmati ? C'est toi. Ou encore les escalopes de dinde aux champignons et bien d'autres plats encore? Toi. C'est moi qui devrais dire que tu ne sais pas cuisiner.
-Hé ! Je me débrouille avec mon gratin de pâtes et les fajitas.
-Tu doses très mal les épices dit Miranda dans un faux murmure.
- C'est bien quand c'est extra épicé se défend-il. Pourquoi tu dis n'avoir pas bien mangé? lance-t-il avec un regard suspicieux.
- Je n'ai fait que manger des sandwichs bon marché cette semaine.
-C'est pas très nutritif tout ça fait remarquer mon amie.
-Ne te rends pas malade surtout.
-Tu n'as pas à t'inquiéter. La semaine prochaine on reprend les bonnes habitudes.
Le repas fini, je rentre à vitesse grand V dans mon appartement. Il est tout à fait dans la simplicité, ni trop grand ni petit, fait pour une personne, peut-être un peu plus. Des murs taupe accompagnés de certains en gris, sobre à souhait mais avec un charme ou plutôt de la chaleur avec les couleurs telles une garçonnière.
A peine ai-je posé mon sac sur le sofa, que l'envie de vomir habituelle pointe son nez ce qui me fait accourir vers les toilettes. J'essuie du revers de la main ma bouche et reste assise un petit moment, silencieuse.
J'enlève ma veste, elle m'opresse, elle m'étouffe, et pars dans le salon. Le Whisky me fait de l'œil, je ne résiste pas à la tentation et prends la bouteille à la bouche puis m'assois sur mon canapé. Ce soir c'est pizza et whisky, meilleur combo ultime.
***
La lumière du soleil entre brutalement dans ma chambre.
-Debout.
-J'aurais jamais dû te donner le double des clés grommelé-je
-Et moi j'aurais pas dû te laisser rentrer en sachant que tu vas te bourrer la gueule comme d'habitude.
-Chris laisse moi avec ma gueule de bois.
Il enlève la couverture que j'ai remonté quelques minutes plus tôt pour me cacher.
-Tu vas être en retard au travail.
-Ça ne change pas mes journées habituelles.
-Si tu te lèves pas, on va utiliser la manière forte.
Il me tire de mon lit et me soulève comme une plume afin de me poser sur son épaule. Je ne riposte pas et essaye d'obtenir des minutes de sommeil en plus. Tout d'un coup, il me balance comme un sac à patate dans la baignoire et ouvre l'eau sur moi ce qui me fait crier et lui lancer un regard noir.
-Ne m'oblige pas à te laver.
-Sors de chez moi. dis-je le plus calmement possible en lui montrant la porte du doigt
-Pas avant que je te vois sortir.
-Donc, sors de cette salle de bain!
Je le pousse en dehors et ferme la porte à double tour. Je grommelle tout en me déshabillant. Non mais !
***
Je sors, la douche finie et trouve mon meilleur ami assis sur le canapé.
-Allez on y va.
Je prends les clés posées contre une armoire à l'entrée et pars suivie de Chris.
-On y va avec ma voiture, dit-il en se mettant en route. J'ai pas envie de me coltiner les transports.
-J'ai hâte que tu te trouves un travail comme ça plus de problème.
-J'espère que tes prières vont être exaucées car j'ai un entretien dans deux jours et ce serait le job de mes rêves, bien sûr je serai mieux payé quand j'aurai des promotions.
-Il faut d'abord que tu aies le poste...
-S'il te plaît ne sois pas pessimiste. Et arrête de rouler des yeux !
-Mon troisième prénom est pessimiste mon cher dis-je en ouvrant la portière.
***
-En retard. maugré Mark
-Je m'en excuse. Mauvaise soirée.
-Cette fois-ci avec le boulot que je vais te donner, tu n'auras aucun droit d'être en retard.
-Je suis toute ouïe.
On s'assoit chacun de son côté.
-Il y a un riche homme d'affaires qui à la côte en ce moment. On ne sait que peu de choses sur lui et le monde veut mieux le connaître. Il va lancer un grand projet bientôt.
-Tu peux arrêter de tourner autour du pot? C'est qu'on a pas la journée devant nous dis-je en croisant les bras.
-Toujours autant de répartie. Hum.... Il a accepté qu'on fasse un article sur lui mais d'abord il faut savoir sur quoi écrire donc pendant six mois tu seras avec lui.
Attendez. Je n'ai pas bien entendu.
Quoi ?
-Pardon ?
-Tu prendras des renseignements en faisant des petites interviews et en regardant sa manière de vivre,son travail.
-Désolé Mark mais je ne peux pas.
-Je savais que tu allais me dire ça. Mais tu ne peux pas refuser car tu n'as rien fait au boulot ces temps-ci.
-Je peux très bien travailler sur autre chose, par exemple la mode !
Il me regarde longuement de haut en bas tout en plissant les yeux.
-Je pense pas non.
Mark 1. Hayden 0
- Je ne peux pas. répété -je avec une voix qui se veut calme mais poignante à la fois
-Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ?
-Si tu connais la réponse, ne pose pas la question.
-Tu es obligée car si tu ne le fais pas le boss te vire voilà.
Il sort de son bureau et je fais de même, voulant le supplier de changer d'avis mais à ce moment, Rosy me salue de la main.
-Salut toi ! Un tacos ? dit-elle en me tendant la nourriture.
-Non merci lancé-je en m'asseyant lourdement sur la chaise de bureau qui roule sous mon poids.
Je m'assois devant mon bureau et pose ma tête contre mes mains.
-Toi ça ne va pas.elle me montre du doigt avec une moue .
-Rien d'important Rosy...
-Tu peux tout me dire. Je ne vais pas en faire un article sur le site ou le journal. Ta vie n'est pas assez intéressante pour que les lecteurs apprécient ne serait-ce qu'un article sur toi.dit-elle sur le ton de la rigolade Cela fait quand même trois ans, bientôt quatre, qu'on travaille ensemble et je sais très bien que ta vie est...au point mort dans toutes les catégories.
Merci..Rosy.
Rosy et son franc-parler...On n'en trouve pas beaucoup des Rosy comme ça. C'est une femme se rapprochant plus de la trentaine que moi dû à nos quelques mois d'écart, aux rondeurs bien placés faisant tourner la tête de son mari et a une crinière couleur soleil accompagné de ses yeux verdâtres rieurs qui peuvent aussi se montrer comme ceux des félins quand elle voit un garçon "plutôt mignon" comme elle dit. Bien sûr la règle est de regarder mais de ne pas toucher.
-Les enfants vont bien?
-Tommy se porte comme un charme comparé à sa sœur qui agit tel une ado alors qu'elle n'a que six ans et.... Ne change pas de sujet ma chère !
-Ok...On m'a mis sur une affaire soupirai -je
-Et qu'y a-t-il? C'est une bonne nouvelle à moins que ce soit sur le taux de gluten qu'il peut y avoir dans n'importe quel repas. C'est un sujet assez stressant.
-Je ne m'intéresse vraiment pas à ça et ce n'est pas ma rubrique.
- En fin de compte cela pourrait être intéressant, tu sais. Ça m'aiderait à faire un régime et à mieux choisir les aliments.
-Je te l'interdis. Tu es parfaite. Je préfère te ressembler que friser l'anorexie, que je frise déjà et en plus ton mari adore tes formes.
-Merci mon coeur. moi aussi je m'aime... Elle m'attrape la joue si fortement que je pense qu'elle risque d'y laisser une trace rouge. Qu'est-ce qui te tracasse alors?
- Tu verras ça dans six mois si je ne décide pas de démissionner avant.
-C'est si grave que ça ?
-Ça l'est, du moins pour moi.
Je dois prendre une décision dans les heures qui suivent. Est-ce qu'un verre pourra m'aider à décider quoi faire ? C'est au moins une option à ne pas mettre de côté.
La porte sonne au moment où mes lèvres allaient toucher le fameux élixir et je trouve ma chère collègue, toute souriante dans son manteau en fausse fourrure.
-Je t'ai emmené un bon petit plat préparé avec amour dit-elle avec ce sourire malicieux que je connais bien.
-Un plat british de chez toi?
-Non,non ! Un plat qui peut provenir de Louisiane ou de la Nouvelle-Orléans. C'est un plat simple mais quand tu prends ne serait-ce qu'une bouchée, tes papilles ressentent les crépitements de la chapelure du poulet que tu es déjà aux anges.
Elle me montre un grand Tupperware rempli d'une purée mélangé avec du fromage, du poulet frit avec sa chapelure dorée et un épi de maïs.
-Merci, tu ne devrais pas venir me nourrir tout le temps, je sais cuisiner c'est juste que j'ai la flemme, et tu sais ce n'est pas si typique d'un endroit, enfin je pense. Je peux juste t'apporter comme information que c'est de la Soul Food dis-je en prenant quand même mon dîner de ce soir. Rentre donc.
-Non pas la peine dit-elle en secouant sa main devant elle. Je voulais juste t'inviter à un repas demain à la maison. Les enfants veulent te voir. Et pour la nourriture sache que si je ne faisais rien, tu deviendrais une brindille et sache que ça me fait toujours plaisir de cuisiner. Sur ce, à plus.
Elle aurait dû être cuistot au lieu de journaliste.
Je rentre dans la cuisine et réchauffe la nourriture puis pose tout dans une assiette que j'emmène avec moi au salon accompagné d'un verre de tout à l'heure rempli de ce que j'appelle mon "petit instant de bonheur". Au lieu de rester dans la salle à manger improvisé dans la cuisine, je m'assois sur mon sofa en cuir blanc choisi par Miranda. Elle a choisi presque toute la déco. Avoir une amie dans la mode et qui s'y connaît dans la déco d'intérieur peut servir.
Tous un chemin différent. Mon téléphone sonne au moment où mes lèvres touchent le liquide brun. Je ne pourrai jamais boire en paix aujourd'hui ?
-Allo ?
-C'est Mark. Je voulais connaître ta décision.
-Tu ne trouves pas que c'est tôt?
- Une chance comme ça ne se présente pas deux fois.
- Ce n'est pas comme si tu me proposais de devenir PDG d'une méga entreprise.
Je pose le verre contre la table basse et masse mon front avec ma main libre durant une dizaine de minutes, cherchant à négocier.
-C'est bon je vais le faire.soupirai-je
-Sage décision. Je t'envoie tout les détails pour que tu puisses le voir demain.
-Demain ? Mais c'est trop tôt ! Laisse-moi au moins trois jours.
-Une journée et demie.
-Deux jours.
-Un jour, c'est mon dernier mot Hayden.
-...Alors va pour un jour... A plus.
-Attend.
-Quoi encore ?
- Comporte toi bien.
-Mais voyons, je suis toujours professionnelle raillé-je
-Oui, à ta manière. Bon je te laisse pour de bon.
-Au revoir.
Je raccroche directement afin qu'il ne dise pas un mot de plus, je me suis fait berner. Je préfère éteindre mon téléphone pour ne pas être dérangé et penser à changer la serrure de la porte. Pourquoi ? Ne pas avoir de surprise d'une quelconque visite de personnes infortunes. Bien sûr, cela vise Chris.
Le silence est mon colocataire chaque soir, toujours assorti avec son meilleur ami l'alcool avec qui je suis depuis plusieurs années. Les amours de ma vie je pourrais dire. Un poème représente bien un de mes autres amis, La nuit de Décembre d'Alfred de Musset.
Littérature française et anglaise oblige. J'étais amoureuse de ce genre de littérature plus jeune. Fini de ressasser, je termine mon repas et cours aux toilettes rendre ce que j'ai ingurgité. Me voilà toute tremblante, les bras croisés, essayant de ne pas crier, contenant ce qui me suis depuis ces années et de répugnance envers ceux qui m'ont touché,parlé. Crise habituelle de tous les jours.
Putain de crise.
Calmée, je me déshabille et m'assois dans la baignoire plongeant la tête sous l'eau, les cheveux en cascade, le regard vide d'émotions.
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