Chapitre H U I T
L'ÉCLAIRAGE DE LA CHAMBRE BLANCHE AGRESSE MES YEUX COMME UN FLASH VENANT D'UN APPAREIL PHOTO. En regardant les alentours, les recoins de la chambre, je vois à ma gauche, à mon chevet, des cheveux châtains à l'intérieur de bras croisés sur le lit d'hôpital sur lequel je suis allongée. Sans prendre garde, des larmes s'échappent de mes yeux et ne finissent pas à arrêter son chemin jusqu'à mes clavicules.
J'ai beau pleuré en silence, le dormeur se réveille et révèle le visage de Chris qui n'est pas du tout choqué de mon comportement ou ne pose aucune questions. Mais à la place, un Chris qui essaye de me consoler tout en me caressant les cheveux. Je m'évertue à vouloir arrêter de pleurer en cachant mes larmes avec mon bras droit, mais rien n'y fait.
- Je suis désolé, pendant un laps de temps j'avais oublié quel jour on était. Excuse-moi. dit Chris avec une teinte de douleur dans sa voix.
Je l'entoure de mes bras, ne voulant plus quitter cette étreinte protectrice envers les démons de mon passé. Même si cette odeur boisée imprégnée dans les vêtements de mon meilleur ami me rappelle des souvenirs, j'espère que seuls les bons atteindront mon cerveau. Que celui-ci qui se trouve actuellement en feu puisse se mettre en mode off afin d'oublier le temps de cette journée ce pourquoi je me laisse mourir à petit feu aussi bien physiquement que moralement..
***
Chris s'occupe de la paperasse , me laissant reprendre mes esprits, étant toujours bouleversée alors que ce jour que je redoute chaque année vient juste de commencer. Je regarde d'un air vide ce que j'ai infligé à mes bras.
Encore une fois.
C'est toujours pareil, je pars en vrille au coup de minuit, bois comme un trou (plus que d'habitude quoi) pleure et essaie d'en finir. Si Chris n'était pas à mes côtés toutes ces années, je ne serais plus de ce monde depuis longtemps. Il a subi mes crises de colère, mes pleurs interminables et mes crises de dégoût envers moi-même, certes avec douleur mais avec courage. C'est bien le seul en qui je peux faire confiance dans ces temps de désespoir ultime. Il me fait certainement des coups bas (je n'oublie pas les alcooliques pas si anonymes) mais comme il le dit c'est pour mon bien.
Je me souviens limpidement de tout ce qui s'est passé alors qu'on pourrait penser que pendant ce coup de folie, avec tout l'alcool dans le sang que j'avais, je ne puisse me souvenir de rien. Mais comment ne pas se souvenir du moment où j'ai voulu m'ôter la vie.
***
Les gouttes translucides ont déjà trempé ma nuisette et passer au travers de mon gilet. Je ne sais même plus combien de verres, pour ne pas parler des bouteilles, j'ai vidé, cassé. L'asphalte sous mes pieds nus est froid et dur, sans compter l'air frais qui me donne la chair de poule et pour cette raison j'essaye de me réchauffer en croisant les bras. Il n'y a pas une once de vie dehors sans compter les chats errants.
Sans le savoir, je me retrouve devant mon appartement en train de regarder mes pieds blessés et les taches d'eau sur le sol, laissées sur mon passage. Non seulement j'avais dégueulasser le sol, mais encore je n'en avais que foutre. J'ouvre donc la porte avec les clés se trouvant sous le paillasson et entre dans le noir direction la salle de bain.
J'aurais voulu appeler Chris mais mon téléphone est resté chez le Stevenson, qui doit être dans un sommeil profond pour ne pas avoir entendu le vacarme. L'appeler pour dire que j'ai besoin d'aide, de sa présence pour m'extirper de mes pensées sombres. J'ouvre l'eau du bain et prends la bouteille planquée sous le lavabo pour la finir d'une traite. Une coulée d'eau salée trace son chemin de mon œil droit jusqu'au commissure de mes lèvres, me faisant ainsi goûter au sel naturel de mon corps, comme le sel de la mer.
La mer, comme les yeux de Mark, les yeux du Stevenson aussi...
Ne pas penser, ne pas penser, ne pas penser ! C'est le jour tant fatidique, celui que tu essaies d'éviter tous les ans, ou du moins le jour qu'on essaie de me faire oublier. Je lève la tête vers le miroir. Ce corps n'a plus été le mien depuis ce jour...
Aaah !!! je ne veux plus voir ces images ! J'ai beau essayer de penser à d'autres souvenirs comme le sourire de Chris quand on avait sept ans, on était allongé sur le sol du jardin en train de regarder le ciel après avoir couru comme des fous pour ne pas être le chat. Nos petites mains l'une dans l'autre avec l'insouciance du futur. Un autre souvenir prend place, celui de ses 18 ans, après une soirée trop arrosée. On s'était retrouvé dans un parc pour enfants, toujours allongé sur le sable à admirer les étoiles et inventer de nouvelles constellations avec des noms absurdes.
Touchée par ce souvenir, je commence à glousser tout en laissant les larmes couler, on se croyait pour le rois du monde ce soir là ! Que rien ne nous arriverait, j'avais mes chaussures fétiches, lui son collier en tant que talisman et nous deux ensemble pour combattre le monde.
J'aurais voulu que ce soit vrai, que tout le mal qui se faisait n'arrivait qu'aux autres, que le fait de ne penser qu'à ces souvenirs me bascule au souvenir de ce jour que j'évite, le béton mouillé par la pluie, les larmes ne s'arrêtant plus. Je brise le miroir de mon poing, ne voulant plus voir ce visage meurtri , de ce moi d'antan. C'est fini je ne vais pas reculer, il n'y a personne pour me sauver. Juste que l'on me pardonne de l'abandonner encore une fois.
***
L'arrêt de la voiture me sort de la torpeur, je suis restée à observer mes poignets meurtris et bandés.
-Tu sors ? demande Chris, déjà sorti, devant la fenêtre de ma portière.
Je reconnais les alentours, ayant passé trop de soirées films auprès de lui. Il claque la portière derrière moi et cherche ses clés dans le pot de fleur devant la porte. Je ne prononce pas un mot et redécouvre ces lieux comme la première fois. Les murs jaune moutarde du couloir principale truffé de Vans et d'autres tennis à l'entrée, l'accroche-clés juché au-dessus provenant d'un vieil hôtel, le salon d'un bleu canard, presque bleu pétrole craquelé donnant un vieil aspect de l'appartement-maison qu'il a eu comme cadeau à ses 20 ans. Il s'assoit sur ce bon vieux fauteuil en velours trouvé dans la rue et qu'on a retapé jusqu'à pas d'heures en écoutant des sons de Red Hot Chili Peppers.
Je remarque en fait que la plupart des meubles ici viennent de récup, c'est-à-dire de brocante, d'objets encombrants mis à la rue, d'amis ne voulant plus de certains meubles. Mais ces meubles se marient bien aux couleurs de ce côté de l’appart. Il pose ses pieds sur l'une des petites tables basses rondes et se masse l'arrêt du nez de sa main droite dû à la fatigue.
-Tu en as parlé à Miranda ? ma voix ressemble à un grincement de porte et ma gorge est sèche.
-Je l'ai fais après avoir appelé les secours, ses paroles se mélangent à un bâillement et son regard sur moi semble passer à travers mon corps comme s'il n'était pas là ou qu'il parle au mur derrière moi, elle a commencé à paniquer au téléphone et on s'est un peu disputé puisqu'on peut le dire qu'on était sur les nerfs... ou bien pire.
Enfin il lève son regard au niveau de mes yeux. J'essaye donc de lui dire quelque chose, mais avant que je puisse prononcer un mot il se lève et me coupe dans mon élan en parlant.
-Utilise le lit, je vais me reposer un peu sur le canapé. Ça a été une nuit...intense.
Il prend congé en allant dans la salle de bain tout en évitant mon regard. J'ai bien trop l'habitude de ce regard ces dernières années pour savoir qu'il ne faut pas le déranger à moins que je veuille qu'on parte à se crier dessus par tous les noms d'oiseaux possibles et des pleurs.
J'en ai marre de devoir...me coucher, je n'ai même pas demandé si mon supérieur était au courant ou encore le millionnaire presque milliardaire. Bien sûr qu'il doit être au courant que quelque chose cloche, ça a dû être le choc de voir son salon sens dessus-dessous. Je pense à ses yeux terrifiés, ses jambes qui ont dévalé les escaliers, ses pieds nus qui ont failli s'écorcher sur le verre brisé, sa mâchoire qui a dû se crisper. Cela ne m'inquiète pas, ça me donne même plus envie de dormir que de rester debout à avoir peur de mon sort. C'était inévitable, alors pourquoi s'en faire ?
Le lit est défait et le cactus à sa droite est renversé sur le sol, j'imagine bien la scène. Chris a dû s'être couché mais pas encore dormir car il a dû être trop occupé à regarder une vidéo gaming sur YouTube et donc il n'a pas remarqué l'heure. Mais avant de se laisser aller dans un sommeil de plomb, il a dû regarder l'heure et donc la date. Et à peine a-t-il fermé les yeux qu'il a remarqué quel jour on est.
Le même jour d'il y a deux ans où il m'a retrouvé dans le bain remplie d'eau couleur pourpre, où il a encore une fois essayé de me sauver alors que moi je ne rêve que de sombrer, de n'avoir plus mal. De ne plus avoir de douleur, de me sentir...bien. Il m'a sauvé ce jour-là, ce même jour des années avant et peut-être ce jour-là les années suivantes, et les années qui arriveront.
Je me souviens de ce lit couvert d’une multitude de coussins, ce lit à qui il manque un pied. C'est de ma faute, je n'aurai pas dû sauter sur le lit comme une folle pour le tester mais ce n'est pas de ma faute s'il m'a rejoint dans ma bêtise. De l'autre côté de la pièce, au-dessus de la commode repose un cadre contenant une photo de nous deux petits, mon regard de tueuse visant l'objectif avec la bouche couverte de chocolat et lui sur le nez tout sourire. Cette photo qui ne l'a pas quittée depuis lui à créer plusieurs problèmes dans ses relations. C'est sûr que si je vois une photo d'une autre fille, qui est en plus ta meilleure amie, tout le temps dans la chambre à n'importe quel moment.... Surtout ce regard qui semble me viser.... J'aurai préféré tout arrêter.
Il devrait la jeter, je dis ça mais c'est moi qui me retrouve à caresser le cadre avec un élan de nostalgie à repenser à la fille que j'étais. Quand j'y pense.... Cet appartement, Chris cette photo, ils ne font que me remémorer le passé que ce soit quand on était bambin, au lycée, nos bêtises, notre relation fusionnelle d'antan, les soirées, les copines jalouses...
-Je veux rentrer.
Le bruissement de son jean contre le mur avait été clair comme de l'eau de roche pour que je ne puisse pas remarquer sa présence.
-Tu ne peux pas y aller, du moins aujourd'hui et tu le sais.
-Je ne parle pas de rentrer chez moi, mais chez lui.
Ses sourcils se froncent pour montrer son incompréhension, à se demander pourquoi je préférerais partir chez le Stevenson que de rester chez lui. Ne peut-il pas comprendre que j'ai l'impression d'être un poids pour lui, même avant ce qu'il s'est passé...Et que de penser au passé me donne l'impression que même sa présence est un poids pour moi ?
-Je ne serai pas seule, ne t'inquiète pas. Je ne pense pas que je devrais rester ici.... De plus, je lui dois une explication.
-Et cette explication ne peut pas attendre demain ?
-Je ne pense pas non.... dis-je en baissant le ton de ma voix
Il part en direction de la porte d'entrée avant de me crier "Tu viens ou pas ?". Je me précipite pour porter mes chaussures et claquer la porte derrière lui.
***
-Je ne m'attendais pas à vous revoir de sitôt....
Les bouts de verre sont encore sur le sol, c'est le chaos total dans le salon. Son visage est neutre, aucun signe d'énervement, juste sa voix qui semble montrer une once d'irritation. J'ai tout laissé en plan, bien sûr qu'il est irrité par ça mais je m'attendais à plus.
Je reste debout comme un piquet alors que lui dans son costume se baisse pour ramasser les tessons de verre à mains nues. Ce qu'il ne doit pas faire, je devrais m'en occuper mais je n'arrive pas à bouger le petit doigt. Je commence à sortir de ma torpeur au moment juste où le verre coupe la peau de son majeur ainsi qu'une partie de la paume et qu'un joli "merde" sort de ses lèvres.
-Je vais m'en occuper...La boîte de secours ?
Il ne m'écoute pas, occupé à absorber le sang de son doigt. Je répète donc en m'approchant de lui doucement, et m'abaissant à son visage.
-J'en ai pas besoin, c'est juste un peu de sang.
-Assez pour attirer un vampire.
-Juste la vue d'une veine suffit, ce qui veut dire que depuis longtemps je ne devrais plus être de ce monde dit-il avec sarcasme en suivant mon jeu et en montrant ses veines saillantes ressortant de ses bras.
Cela me prend du temps à sortir "excusez-moi" de mes lèvres. J'ai préféré l'aider à ramasser les derniers bouts de verre même s'il ne voulait pas que je l'aide. Je pensais que j'allais être assailli par des milliers de questions, des demandes de réponses mais rien de cela. Chris reste planté comme un piquet avec les mains dans les poches pendant que je m'affaire à ramasser les derniers morceaux.
-Je suis désolé pour ce qu'elle a fait. Peut-être qu'elle vous dira le pourquoi du comment, même si j'en doute dit Chris en direction du Stevenson qui se lève pour le regarder dans les yeux à taille égale. Prenez soin d'elle, c'est une teigne qui ne veut pas écouter, de plus elle ressemble à un zombie parce qu'elle ne veut pas se reposer. Forcez la à faire un somme s'il vous plaît.
Le millionnaire se retourne pour me regarder puis met de nouveau son intention vers son interlocuteur.
-Ne vous inquiétez pas, votre... fiancée est entre de bonnes mains, pour tout le temps de sa convalescence. Bien sûr après on reviendra aux choses habituelles, n'est-ce pas mademoiselle Fawkes ?
Chris tique au mot "fiancée" et avant qu'il ne pose de questions, je le pousse vers la porte de sortie tout en le remerciant de m'avoir emmené. Cependant cela ne l'arrête pas pour parler.
-De quoi il parle en disant fiancée ? Tu lui as dit qu'on était ensemble !? murmure-t-il
-Non il a assumé ça tout seul par le fait qu'on soit toujours collé l'un à l'autre, dis-je entre les dents, Allez vas-y et merci encore !
Je ne le laisse pas rajouter un mot de plus en lui fermant la porte au nez. J'espère que le Stevenson n'a rien entendu. Il continue à inspecter le sol pour voir s'il ne reste aucun bout de verre malgré sa main meurtrie. Moi, ce ne sont pas mes mains qui sont meurtries mais plutôt mes poignets. Et je pense qu'il l'a remarqué dû à son regard furtif vers ceux-ci mais peut être que c'est encore moi qui m'inquiète pour rien ou...
-Arrêtez de me fixer. Il me regarde dans les yeux, on dirait que je suis un bout de viande.
-Vous l'êtes pour certain comme pour vous certaines femmes le sont aussi non ?
-Peut-être, mais votre regard me dérange plus que les autres.
-Je ne vois pas pourquoi ?
C'est sûr que je ne vois pas pourquoi. Il y a une vingtaine de jours, quand je suis rentré dans son bureau en ne faisant pas attention aux commentaires de Daisy pour que je ne rentre pas dedans, il était comme un charme. Assis sur sa chaise, droit regardant ses papiers avec intérêt (toujours avec intérêt normalement aussi). Ses réponses étaient évasives, juste un mot ou plus quand je lui posais des questions pour quand même avancer et pouvoir écrire un rapport qui en vaut la peine. Ses réponses évasives faisaient quand même sentir une sorte de tension de son corps, son cou, sa mâchoire, mais je n'y ai pas fait attention.
Mais j'aurai dû.
Car quelques minutes après ma sortie du bureau, pendant que je parlais tranquillement à Daisy, une femme aux cheveux de jais sort du bureau comme par magie.... Je devine alors qu'elle était sous le bureau et qu'ils ont dû être occupés à faire leur petite affaire avant que j'entre. Pourtant ma présence n'avait pas l'air de le déranger alors que je le regardais dans le blanc des yeux pendant qu'une femme était en-dessous!
- C'est comme ça, c'est tout. De plus, vous êtes toute pâle, il approche sa main de l'une de mes mèches de cheveux qui retombe sur mon visage mais d'un geste vif, je l'évite, ce qui fait qu'il rebrousse chemin, vous avez dû avoir une dure soirée, allez vous reposer. Il regarde de nouveau mes poignets mais ne pose pas de questions, peut-être se dit-il que ce ne sont pas ses affaires.
-Je n'en ai pas envie.
-Si vous restez, la curiosité qui me ronge va sortir des questions sordides et peut-être que vous n'avez pas envie d'en parler. Et je pense que vous avez déjà dû parler à votre fiancé....Juste sachez que je ne vous forcerai pas la main pour m'en parler. J'ai quand même un cœur même si je déteste ce que vous avez fait à mon salon.
-Vous êtes bien trop gentil dis-je avec sarcasme.
Je m'apprête à monter quand sans comprendre il me prend le bras d'une manière si douce que je sens à peine ses doigts autour de mon poignet.
-Je suis sincère quand je dis tout ça, je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, du moins jusqu'à demain, ajoute-t-il avec un léger sourire.
Je ne lui réponds pas mais garde son regard jusqu'à ce que je rentre dans ma chambre.
La porte fermée, je me pose des questions sur l'attitude du millionnaire. Il a l'air trop consciencieux et gentil envers moi que ça me donne des frissons. Je ne sais pas s'il s'en fait vraiment pour moi et s'il m'excuse pour ce que j'ai fait à son parquet et à ses bouteilles qui avaient l'air de coûter une fortune. Mais ce qui est sûr c'est que ça fait du bien de voir quelqu'un qui a l'air de se soucier de moi, quelqu'un autre que Miranda et Chris... Et Rosy. Mais en même temps ça me fait peur.
J'ai peur de me reposer sur cette fausse image d'amabilité qu'il renvoie, ses yeux et cette main tendue à qui tu as envie de faire confiance....
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