Chapitre 4
Les jours s’écoulent. Hélas, Nathalie n’arrive à oublier ni ce qu’elle a aperçu ni ce qu’elle a entendu… Elle ne cesse de songer à la femme d’eau et à son emprisonnement. La nuit, son visage lui apparaît en rêve, suppliant et déformé par la douleur que le sel lui provoque. Ne pas penser à l’avenir qui l’attend lui est impossible. Elle sait que Claude finira par l’éliminer, que sa propre fuite lui a arraché tout espoir.
Tandis que l’aube se lève, Nathalie se mord la langue. La livrer à son sort la culpabilise, mais la perspective de désobéir à Claude l’horrifie. Elle le devine prêt à tout pour l’empêcher d’intervenir.
Tu n’es qu’une lâche, se sermonne-t-elle, pas la peine de te chercher des excuses. Tu prônes la paix et la liberté, pourtant tu demeures aveugle face à la détresse d’une créature sans défense. En refusant d’affronter Claude, tu la condamnes !
Le constat la chagrine tant qu’elle s’effondre en larmes. Est-elle ce genre de personne ? Compte-t-elle autoriser l’assassinat d’une innocente ? Une couardise pareille ne lui ressemble pas !
Consciente de toucher une vérité, Nathalie relève la tête. Pourquoi s’enferme-t-elle chez elle ? Continuer à se morfondre est vain ! Oh, elle s’est toujours battue pour les causes qui lui tenaient à cœur, qui lui semblaient justes… Arrêter à cause de son beau-père reviendrait à se trahir.
La détermination la gagne. Malgré les risques, il est impératif qu’elle s’échine à sauver la nixe. Elle ne pardonnera jamais son inaction, sinon. Oui, c’est la bonne décision, elle le sent. Elle ne cédera pas à Claude. Elle ne tolérera pas sa cruauté.
Elle essuie les sillons humides sur ses joues, puis déboule dans les escaliers avant que la crainte n’amoindrisse sa résolution. Elle monte au grenier et remue son bric-à-brac jusqu’à dénicher le bocal de son ancien poisson rouge.
Il sera parfait !
Nathalie se précipite au rez-de-chaussée, attrape son trousseau de clefs. Elle sort ensuite de son logis et s’engouffre dans le premier bus qui passe. Le trajet menant chez ses beaux-parents lui paraît interminable. Néanmoins, elle réduit son impatience au silence ; le véhicule n’ira pas plus vite parce qu’elle a soudain décidé de réagir.
Elle parvient devant le bungalow. La nécessité de ne pas foncer dans le tas lui saute tout à coup aux yeux… Avec honte, elle réalise n’avoir rien préparé. Elle n’a même pas repris les clefs de Christophe !
Elle déglutit, puis s’interroge. Qu’est-ce qui est le plus sage ? Rentrer récupérer les fameuses clefs ou continuer ? La seconde option n’est pas sans risques, mais elle comporte l’avantage de ne pas lui faire perdre plus de temps. Qui plus est, Françoise ne verrouille pas la porte lorsqu’elle est là…
Nathalie se décide. Elle inspire un bon coup et vérifie que nul ne l’observe par une fenêtre, puis s’engage sur l’allée de l’habitation et y pénètre à pas de loups. Sa respiration s’accélère de concert avec les battements de son cœur. Son récipient à la main, elle se faufile dans les couloirs jusqu’à atteindre le battant du bassin privé. La peur ne la quitte pas : sa belle-mère n’est pas loin, elle l’entend siffloter un air à la mode.
Elle agrippe la clef de la pièce, la tourne dans la serrure, puis se précipite à l’intérieur avec anxiété. Se dépêcher, il faut qu’elle se dépêche. L’idée d’être attrapée la main dans le sac la terrifie !
— Pss… psss, murmure-t-elle. Êtes-vous encore là ?
Une silhouette émerge de l’eau et se dévoile jusqu’au tronc.
— Tu es revenue !
Nathalie confirme d’un geste, s’accroupit, puis tend le contenant apporté, l’immergeant en partie dans le liquide salé.
— Vite, implore-t-elle, je n’ai aucune envie qu’on me surprenne…
— N’oublie pas : un cours d’eau douce, le plus proche.
Elle opine en toute hâte. Son interlocutrice plonge dans le bocal – elle s’y fond tant et si bien qu’il devient impossible de la différencier de l’élément aqueux ! Nerveuse, Nathalie ramène son ancien aquarium contre sa poitrine, puis rebrousse chemin.
Les sifflements incessants de Françoise l’angoissent à un point tel qu’elle manque trébucher et ne contient un juron que de justesse – oh, il serait si bête d’être entravée dans sa mission si près du but ! Nauséeuse, elle presse son allure et ne ralentit qu’une fois hors du bungalow…
Incapable de croire en sa chance, elle s’éloigne d’une démarche qu’elle espère naturelle. J’ai réussi… Mon Dieu, j’ai réussi… Elle ne recouvre un calme relatif qu’au moment de quitter la rue.
— Courage, chuchote-t-elle à sa protégée, tu seras bientôt libre.
Nathalie s’engage sur les sentiers parcourus avec Christophe l’été dernier afin de rejoindre la rivière où ils se sont baignés. Elle est convaincue que l’être du monde autre s’y plaira et y trouvera le moyen d’éviter Claude ou les chasseurs.
— Nous y sommes presque.
Déjà, le bruit du courant effleure ses oreilles. Elle accélère son allure et finit par atteindre l’endroit désiré. D’un geste souple, elle renverse le contenu de son fardeau dans l’étendue mouvante.
La nervosité la gagne derechef. A-t-elle été assez rapide ? Son sauvetage a-t-il fonctionné ?
Comme pour le lui confirmer, la « femme » emprisonnée par Claude se dévoile et la gratifie d’un sourire enchanté. L’impression que rien n’est en mesure de lui arriver pendant qu’elle est en sa compagnie la saisit à nouveau, aussi douce que réconfortante.
— Merci de m’avoir sauvée.
— Je t’en prie, souffle-t-elle.
La nixe lui tend les bras avec reconnaissance. Nathalie n’hésite pas. Heureuse d’avoir agi en son âme et conscience, elle accepte l’étreinte proposé et la sert contre elle.
— Hélas, tu aurais dû écouter le traqueur, persifle soudain la créature d’une voix cruelle tandis qu’elle affermit sa prise sur elle.
Et sans lui offrir l’occasion de se débattre, elle l’entraîne sous la surface…
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