EXTREMITES
F. est un adepte des cafés solitaires. Face à la mer, en plein soleil, un café noir, assorti à ses lunettes. Son regard balaye l’horizon, s’attarde sur quelques passants. Il aime avoir la vision dégagée. Stratège, il ne s’assoit jamais en bordure de terrasse, préfère se placer en arrière, contre les vitres de la brasserie. L’instinct peut-être. Ou le vice, qui sait ?
F. touille son espresso du bout des doigts. Son alliance brille sous le soleil de plomb.
Ploc, ploc, ploc.
F. tend l’oreille. Malgré le brouhaha de la terrasse et le feu qui passe au vert à quelques mètres, il reconnait parfaitement ce bruit.
Ploc, ploc.
Il se rapproche, cesse. Hésite, puis reprend.
Une paire de talons marche dans sa direction.
F. est intrigué par cette arrivée en grandes pompes, d’autant que l’intéressée s’assoit à la table libre sur sa gauche, et qui plus est, à la même place que lui. Toutefois, F. se retient de l’observer. Ce serait impoli et puis, il est trop fier pour ça.
Le parfum boisé de l’inconnue envahi son air, ses notes sont riches, ténues et voluptueuses. Elle a l’odeur de l’indépendance, celle des femmes fières et puissantes, séductrices dans l’âme.
Elle aussi a choisit cette table, cette place. Pour F., ce choix en dit long.
Voilà quelqu’un qui sait ce qu’elle veut. Comme moi.
La tentation de l’observer est plus intense, mais il tient bon, feignant de boire tranquillement son café. Il se console en allumant une cigarette.
Peut-être que j’aurai dû lui demander si la fumée la dérangeait ? Ça aurait été un bon moyen de… Non. Tu passerais pour un lourd. Si ça la dérange, il y a fort à parier qu’elle te le dira elle-même.
Elle fouille dans son sac à main et en ressort un paquet de cigarette qu’elle pose à plat contre la table.
Sa main, telle une apparition divine, passe dans le champ de vision de F. Délicate, élégante, les ongles vernis de rouge, la couleur qu’il préfère.
Cette main, qu’elle laisse à porter de son œil, est tout simplement parfaite. Les ongles sont longs, ovales, il semble que l’un d’eux est légèrement plus court que les autres. Ce sont ses vrais…
F. garde son calme, fixe la mer au loin. Ce parfum, cette main, ces talons…
Son cœur s’accélère. Si ses pieds sont aussi beaux que cette main…
Trop tard. F. a regardé. Sans s’en rendre compte, ses yeux cherchent près du sol. Mais rien. Seulement le tissu léger d’une robe longue. Il gigote, écrase sa cigarette tandis qu’elle en allume une.
Il soupire, fou d’espoir qu’un pan de cette robe laisse ne serait-ce qu’entrevoir un orteil. Un seul suffira à la dévoiler tout entière, à la personnifier.
Au moindre mouvement de sa part, F. jette des regards frénétiques, incontrôlables. Il est impatient, comme un fou, excité par l’idée que cette main, trop belle, trop soignée, puisse être assortie à tout le reste.
Puis, un miracle. Elle croise ses jambes, son pied gauche est désormais suspendu dans les airs, juste sous ses yeux. Sa robe glisse sur sa cheville, elle porte des sandales.
Elles épousent la cambrure prononcée de sa plante, et sa peau, lisse, bronzée, est enroulée de lanières de cuir qui laissent entrevoir la racine de ses phalanges. Et le bout de ses pieds, tout aussi ravissant, porte ce même vernis rouge. Enfin, l’apothéose, un petit anneau argenté encercle son quartus.
Emu, F. en tomberait presque à genoux. Quelle femme ! quelle déesse !
Elle est consciente de son effet, cette bague en est la preuve. Cette divinité ne saurait offrir plus que le bas de sa jambe, de toutes façons il le refuserait. Il se contenterai du bout de ses orteils jusqu’à sa cheville.
Il devine son odeur, un mélange de cuir, de sueur et de vernis frais.
Renifler ses orteils, sa plante, son talon.
Les yeux rivés sur ce membre, F. s’enfonce dans sa chaise. Son sang frémis, commence à gonfler ses chairs.
Lui lécher les pieds. Enfoncer ses orteils dans sa bouche, les sucer l’un après l’autre, puis tous à la fois, comme un dalleux. Cette fois, il bande. Tant pis. L’idée de lui mordiller le talon, de s’y frotter lui fait tout oublier.
Le bar, la terrasse, sa femme.
Il voudrait qu’elle le punisse, qu’elle l’écrase, le gifle avec ses extrémités, qu’elle gémisse lorsqu’il pourlèche son cou-de-pied, mordille ses phalanges.
Le pied frétille, comme pour répondre à sa rêverie.
F. se mord la lèvre. Son sexe palpite. Ce pied se joue de lui. Il le torture. Il lui martèle les bourses, lui saisit le gland, puis l’autre se joint à la danse, coller serré autour de lui.
Dieu qu’il aimerait que ses pieds le branlent !
Soudain, il y a un mouvement. Elle s’est tournée vers lui.
Son visage apparait derrière un sourire amusé. Joli, sommes toutes. F. est pris en flagrant délit, le sexe en folie.
Son buste s’avance vers lui, leurs yeux se pénètrent.
« Cela vous dérange que je fume ? » dit-elle.
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