Ouija
La rue est déserte et les lumières des quelques demeures environnantes sont éteintes. Les rayons lunaires éclairent uniquement la maison délabrée dans laquelle nous entrerons. Ses buissons ne sont plus taillés depuis un moment, ce qui a causé plusieurs plaintes auprès de la ville, propriétaire de la maison depuis la mort du vieux sans famille qui y habitait. Au printemps prochain, ils la mettront à terre pour éviter que d'autres gens comme nous n'y entrent par infraction. Du moins, c'est l'excuse que Max a trouvé pour nous inciter à sortir au plein milieu d'une nuit froide de novembre.
Tu as lutté plus longtemps que moi contre cette idée que tu jugeais débiles comme chaque proposition qu'il nous fait. Tu ferais problamement demi-tour si tu voyais tout ce que contient son sac. Il m'a fait promettre de ne rien te dévoiler et j'ai accepté par hâte d'enfin voir un peu de peur sur ce visage si neutre qu'est le tien.
Après plusieurs tentatives vaines, les employés de la ville ont abandonné l'idée de barricader la porte arrière qu'ils retrouvaient toujours défoncée. Max y entre en premier, pointe la lumière de son cellulaire sur ses pieds. Je t'attends avec un peu à l'intérieur et un à l'extérieur. Sachant qu'on ne te laisse pas d'autres choix, tu te décides à avancer et passer devant moi. Tu nous avais déjà promis de nous accompagner lors de cette aventure.
Si on oublie les morceaux de verre, les canettes de bière, les quelques seringues éparses accompagnées de condoms déjà utilisés et de joints, les déchets qui jonchent le sol, le matelas et autres objets laissés à l'abandon ainsi que les écritures étranges qui gouvernent des murs au plancher, les diverses pièces sembleraient presque vides. Sans réel meuble, les détritus semés par les diverses personnes qui sont passées créent le seul ameublement.
Tu prends les devants lorsque Max décide de s'adonner à la contemplation de la toilette du rez-de-chaussée. Plus prudent que lui, tu montes les escaliers sur la pointe des pieds en changeant de marche aux dix secondes. L'odeur de l'air que brasse notre ami dans sa petite pièce me répugne tellement que je décide de monter avec toi.
Ta silhouette noire et tes yeux absorbant le peu de lumière trahissent ta présence, tu m'observes me rendre à ta hauteur. Presque arrivée à toi, tu me tires par le bras dans la première pièce à notre gauche. Tes mains temblantes et moites glissent sur mes cuisses dénudées. Tu caches ta tête dans mon cou et ton souffle irrégulier qui chatouille ma peau me transmet ta peur. Mes lèvres t'accompagnent, elles tremblent sans que je puisse les contrôler. Tu passes tes bras autour de mes hanches et me colles contre toi.
Max émet presque un grognement en nous retrouvant ainsi. Je te repousse et vais le rejoindre sans te dire un mot, sans te frôler. Une fois de plus, nous brisons la promesse faite à Max. Ce dernier me lance quelques bougies noires que j'allume et dépose aux cinq extrémités pour me faire pardonner. Dans mon dos, je sens qu'il te fixe en te tendant le couteau qu'il vient de sortir de son étui. À ton tour de te faire pardonner. C'est ton sang avec lequel je dessinerai le pentagramme. Sans un mot, tu prends l'arme blanche et taillade ton poignet. Quelques gouttes maculent le plancher avant que Max se décide et recueille ton sang dans un bol qu'il me passe ensuite pendant qu'il bande ton avant-bras.
Je sors la planche de ouija du sac de Max et la dépose au centre de l'étoile. Il saute me rejoindre dans le cercle et s'asseoir à la place qu'il s'est attribué alors que tu recules vers le cadrage de la porte. Tu balbutines quelque chose sans que j'arrive à saisir un seul de tes mots avant de nous tourner le dos et de nous quitter.
Max claque des doigts pour ramener mon attention à lui avant de prendre sèchement ma main et de la mettre sur la goutte installée sur la planche. Ses mots sembles encore plus troubles que les tiens. J'essaie de les comprendre, mais c'est comme s'il communiquait dans une autre langue. La lumièredes bougies vacilles avant de s'éteindre. La goutte continue son chemin sans que j'arrive à détecter quelle lettre ou quel chiffre sa pointe indique.
Max s'amuse comme un fou, son excitation fait trembler le plancher. Les secondes ou les minutes passent dans le noir complet sans que je ne saississent quoique ce soit. Je laisse mes yeux fermés et laisse le moment guider mes gestes sans prendre conscience des paroles de notre ami lointain. Tout comme toi, il m'apparait pour la première fois hors de portée.
Je me remémore tes mains tremblantes qui tentaient d'aller chercher en moi la force et le courage de rester dans cette foutue barraque avec lui. Max m'a toujours fait peur, il nous a toujours fait peur. Ses yeux dont les veines rouges sont visibles en tout temps trahissent le mental précaire de notre ami qui nous oblige constament à promettre tout ce qu'il désire jusqu'à supprimer notre amour qui n'attend qu'à voir le jour. Nous n'existons pas, nous ne sommes que ses pions qui lui servent d'amis...
Nous n'existons pas, nous ne sommes que ses pions qui lui servent d'amis.
Nous n'existons pas, nous ne sommes que ses pions qui lui servent d'amis!
Lorsque cette dernière phrase fait écho dans ma tête, le monde s'évanouit. Je perds le fil, je perds le contrôle et ne dis pas
Au revoir.
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