git push

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Je soupire dans l’obscurité de mon bureau. À cette heure-ci, seule la lumière bleue du moniteur vient éclairer mon visage.

Deux semaines que l’on crunche sans relâche pour espérer sortir le jeu dans les temps. L’échéance approche, mais les bugs s’accumulent. J’apporte la touche finale aux personnages. Ça m’aura pris un temps monstre, mais je vais enfin pouvoir passer à autre chose.

git pull

Je récupère ce qu’a fait l’équipe, puis je pourrai rajouter mes propres modifications. Je suis sur le point de le faire quand je remarque quelque chose d’étrange dans mon explorateur de fichier.

LobsterKid.prefab

Bizarre, pendant la dernière réunion on avait pourtant décidé de retirer ce personnage du jeu. Son chapeau en forme de homard prend trop de place et pas le temps de l’ajuster. J’étais persuadé d’avoir supprimé le fichier… Pas grave, clic droit, supprimer et c’est réglé.

git push

Ah, je ne suis plus à jour.

git pull

Bien sûr, ils ont eu le temps de rajouter des conflits dans les trente secondes que j’ai mises à effacer le fichier. Voyons, quel fichier pose problème ? LobsterKid.prefab ? Quoi ? Mais pourquoi ? Ok, tant pis, j’accepte les modifications et je le supprime encore une fois.

git push

Mais c’est pas vrai, ils rajoutent des commits toutes les deux secondes sérieux.

git pull

Conflits sur LobsterKid.prefab. Mais ils se moquent de moi ! J’envoie un message sur le Discord. Je demande si on ne cut plus le lobster kid finalement. Si si, me répond-on. Alors qui est-ce qui n’arrête pas de le rerajouter dans le projet ?

Aucune réponse, c’est typique. Mais bon, au moins j’ai ma confirmation, je peux le supprimer sans y penser à deux fois. Clic droit, supprimer, clic droit, vider la corbeille. Bien, maintenant espérons que ça fonctionne.

git push

Je dois pull.

git pull

Mais je vais m’arracher les cheveux si ça continue ! Il a encore été rajouté. Cette fois y en a marre.

git blame LobsterKid.prefab

D’après la console, la dernière personne à avoir édité le fichier est… Lobster Kid. Ok, je ressors Discord. Haha, très drôle tout le monde, vous pouvez arrêter de push le Lobster Kid, ça serait sympa, faut que j’aille me coucher un jour. Et utiliser un autre compte Git pour faire une blague, c’est marrant cinq minutes, mais c’est un problème de sécurité.

On me répond par l’incompréhension. Personne n’a remis le fichier dans le projet. Échange de captures d’écran, plus d’incompréhension… D’accord, apparemment c’est un bug, mais je n’ai jamais vu ça.

Je supprime LobsterKid.prefab et je redémarre mon PC dans l’espoir que ça change quelque chose.

C’est le cas. Discord refuse maintenant de se lancer. Manquait plus que ça.

Qu’à cela ne tienne, essayons quand même.

git pull

Je frappe du poing sur mon bureau, il est encore revenu ! Je devrais laisser tomber, aller me coucher et voir ça demain. Mais mon cerveau embrumé de fatigue me dit que ça n’est pas à un pauvre fichier de faire la loi. Non mais !

Je l’ouvre dans l’éditeur. Les yeux vides du personnage s’affichent et semblent me fixer. Sa bouche à moitié ouverte a l’air coincée dans un demi-mot. Cela me conforte à nouveau dans l’idée qu’on fait bien de le supprimer. J’inspecte le fichier, je vérifie toutes ses propriétés, mais je ne trouve rien qui pourrait expliquer le fait qu’il revienne sans cesse.

Je réduis la fenêtre et j’ouvre mon navigateur internet pour tenter de trouver la solution à mon problème.

Je suis en train de taper ma requête quand soudain mon éditeur se rouvre sans y avoir été inviter. Le Lobster Kid me fait à nouveau face. Les couleurs du modèle ont-elles toujours autant manquer de saturation ? Je ferme carrément l’éditeur, je n’en aurai pas besoin tout de suite.

Mes recherches ne donnent rien de concluant, personne n’a eu de problème similaire jusqu’à maintenant… Est-ce je me serais fait hacker ?

Mon navigateur se ferme sans prévenir. Puis c’est mon éditeur qui se rouvre de façon tout aussi imprévisible. Le regard mort du modèle 3D me traverse à nouveau. Mon écran se met à glitcher. L’image saute de façon aléatoire et chaque fois qu’elle revient, les couleurs paraissent plus ternes, moins saturées. Est-ce que le visage se rapproche ?

Je clique furieusement sur ma souris pour fermer la fenêtre, mais plus rien ne répond.

À présent des traînées noires commencent à dégouliner des yeux du Lobster Kid. Sa bouche s’ouvre et se ferme, débitant des phrases inaudibles. Des crépitements s’élèvent peu à peu dans mon casque jusqu’à devenir un rugissement assourdissant.

Ce qui était à l’origine un chapeau en forme de homard est en train de prendre une texture de plus en plus réaliste et chitineuse. Les pattes se mettent à s’animer, à s’allonger, tandis que les pinces claquent dans le vide de façon menaçante.

La caméra est de plus en plus proche.

Je débranche mon ordinateur et retire mon casque. Toute lumière disparaît. Je suis seul dans le noir.

Je ne m’en étais pas rendu compte, mais mon souffle et mon cœur se sont énormément accélérer. Je fais de mon mieux pour me détendre. Ok, je me suis définitivement fait hacker. C’est grave, mais il faut juste que j’arrive à contacter l’équipe pour les prévenir, tout va s’arranger, tout…

Une faible lueur revient éclairer mon visage. D’abord la lumière sombre d’un écran noir. Puis deux yeux vides de toute émotion. Un visage enfin, tâché de noir, se tordant, se déformant, se rapprochant. Je tente de débrancher l’écran, mais le moniteur refuse de s’éteindre. Un bruit blanc frappe mes tympans avec assez de puissance pour me les percer.

Je me recule dans mon siège, mais je ne parviens plus à détourner le regard. Il approche. Il est si prêt. Il approche.

Dans un dernier effort désespéré, je trouve la force de balancer mon poing vers le rectangle lumineux. Mais soudain, quelque chose m’arrête dans ma lancée. L’écran est devenu une ouverture et l’une des pinces en est sorti et a fermement saisi ma main. Je sens mes os craquer alors qu’un froid abyssal se répand tout le long de mon bras.

Une patte émerge du trou béant qui était autrefois un moniteur, puis une autre, puis encore une. Bientôt, au-dessus de moi se dresse une silhouette crustacéenne. Suspendue à elle, une forme à peine humaine laisse s’écouler un fluide d’un noir profond qui emplit peu à peu la pièce.

La deuxième tenaille vient se refermer sur mon cou, empêchant à peine dans son étreinte le liquide obscur d’y pénétrer.

Je sens mes forces m’abandonner peu à peu. Dans mes derniers instants de lucidité, je remarque cependant que mon écran est revenu à la normal. Ma console est ouverte. Une dernière commande a été rentrée.

git push

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