Explosion
Prask entra en trombe dans sa chambre. Il jeta son masque sur le lit, se débarassa de son manteau comme s'il était ardent, pour finalement s'assoir, son dos plus vouté que jamais, la tête entre les mains. Il refoula sa jalousie et le nom de cette sale petite... Non, il ne devait pas y penser, il y avait plus important. Il fallait qu'il trouve une solution. Il le fallait, maintenant, tout de suite ! Un plan parfait, pour que Lakr n'ait pas à se sacrifier. Il ne le supporterait pas.
Il se creusa la tête, mais rien ne venait, son cerveau était trop agité pour réfléchir calmement. Alors il se levait, marchant frénétiquement à travers sa petite chambre, puis revenait s'assoir. Puis marchait de nouveau. Il avait envie de hurler, mais son cri ne parvenait pas à sortir. Seul le silence compatissait. Il avait envie de tout casser, de tout détruire, de réduire cendre ce monde où il n'avait pas sa place. Il avait envie de disparaître, d'être un vrai Spectre. Il lui semblait que sa tête allait exploser.
Lorsque quelqu'un frappa à la porte, il ne répondit pas, ne cessa même pas ses cents pas. Lorsqu'on frappa plus fort, il cria :
- Laissez-moi !
- C'est moi, Prask, fit la voix d'Arlana. Je peux entrer ?
Comme toujours, elle était là au mauvais moment. Le résistant s'approcha quand même de la porte.
- Ce n'est pas le moment, Arnala. Laisse-moi.
- Ce n'est jamais le moment avec toi ! lui reprocha-t-elle. S'il te plaît, j'ai besoin de te parler.
Prask soupira, puis ouvra la porte.
- Pas longtemps. grogna-t-il
Arnala hésita face à cet accueil glacial, mais elle n'allait pas partir maintenant que son frère avait cédé. Elle s'avança alors et s'installa maladroitement sur un fauteuil. Elle n'était jamais à l'aise dans l'antre interdit de son frère. Prask resta debout, impatient.
- Qu'il y a-t-il ?
- Je t'avais annoncé la dernière fois que j'étais fiancée. La date du mariage a été fixée. Il aura lieu dans une semaine. Et j'aimerais... j'aimerais que tu sois mon témoin.
La déclaration laissa le ministre sans voix. Moins pour le mariage imminent que pour cette demande incongrue. Lui, témoin ? C'était un rôle important, puisque c'est lui qui apportait, en accord avec la tradition, la perle de fidélité, une petite pierre qui représentait le futur, que seul Heörm, dieu du destin, connaissait. Il le faisait devant tout le monde, puis devait normalement prononcer un petit discours pour offrir ses voeux aux époux.
Et c'était à lui, le mysanthrope, le Spectre, qu'Arnala demandait cela ? Honnêtement, il ne savait pas comment le prendre. Comme un honneur ? Il ne pouvait s'empêcher d'y voir une mauvaise plaisanterie, comme une raillerie. Sa dernière entrevue avec Lakr excitait sa paranoïa, sa peur de se retrouver de nouveau dans l'obscurité. Il serra les dents.
- Pourquoi moi ? Tu veux m'humilier ?
- Quoi ? Enfin, Prask, bien sûr que non ! Je pensais... que ce serait un bon moyen de te réintégrer...
- Me réintégrer dans la famille, c'est ça ? fit Prask en se retournant brusquement. Tu plaisantes ? Tu es naïve, Arnala. Ce ne sont pas mes voeux hypocrites qui vont changer quoi que ce soit.
- Hypocrites ? Que veux-tu dire ?
- Tu le sais très bien ! Il n'y a pas d'amour dans ton mariage, pas plus qu'il n'y a de futur pour vous deux ! Ce mariage est une catastrophe.
La jeune démone soupira.
- Prask, tu sais bien que je n'ai pas le choix, c'est la seule façon d'entrer à la cour et de remplir mon devoir.
- Ton devoir ? Ton égo, oui ! Un puéril désir de reconnaissance, c'est tout ce que c'est !
Arnala ouvrit grand les yeux, dévisageant son frère, suffoquée. Prask eu un petit pincement au coeur. Il savait qu'il n'aurait pas dû dire ça. Mais les mots ne peuvent pas être repris.
Le regard d'Arnala se durcit sous son masque et elle sera les poings lorsqu'elle lança :
- Je ne te permet pas de critiquer mes choix. Rappelle moi les tiens, déjà ? Ah oui, tu as fui ! Tu te crois plus intelligent que tout le monde mais tu n'es qu'un lâche, Prask ! Oui, ce mariage est un mariage tout ce qu'il y a de plus arrangé et détestable, et oui je déteste avoir à me marier ! Mais moi au moins j'affronte mon devoir, je ne passe pas ma vie à me cacher de mon père !
- Comment oses-tu ? répliqua Prask en s'avança sur elle, Je ne me suis pas caché, je me suis affranchi de son joug ! Comment peux-tu être fière d'être sa marionnette ?
- Une marionnette ! Laisse moi rire ! C'est toi le pantin dans l'histoire, Prask ! Tu as décidé d'être le chien de l'empereur parce que tu avais peur de la réaction de papa ! Tu trouves ça moins risible ?
- Tait-toi, petite sotte ! Tu ignores tout des règles de ce monde. Tu n'es encore qu'une enfant gattée qui idéalise la cour ! Mais retombe sur terre, cette cour te brisera avant que tu ne comprennes ce qui se passe !
Le ton montait, les gestes se faisaient plus grands, plus agressifs aussi. Les regards étaient fixes et durs, les poings étaient serrés. Arnala eu un rire nerveux :
- Comme j'ai été idiote de croire qu'une partie d'échec pouvait nous avoir rapprochés ! Tu es toujours le même, égoïste et prétentieux !
Prask eu un rictus. Egoïste ? Il dédiait sa vie à Lakr, à la résistance, à la liberté, à tout sauf à lui-même. Alors lui, égoïste ? Mais c'était tout l'inverse !
- Ne parle pas comme si tu savais tout. Tu ne sais rien de moi alors cesse de croire que si !
- C'est vrai. Mais à qui la faute ? Tu ne te confie jamais, Prask ! Tu ne fais confiance à personne ! D'ailleurs je ne sais même pas pourquoi je m'acharne à essayer de renouer avec toi. Tu est incapable d'aimer.
- C'est faux ! C'est justement parce que j'aime que je suis condamné ! hurla Prask
Comme il y avait davantage de souffrance que de colère dans cette dernière phrase, Arnala s'arrêta un instant, laissant retomber le silence comme la poussière retombe sur un champ de bataille.
Le ministre détourna le regard de sa soeur. Il s'affaissa sur la chaise.
- Je n'aurai pas dû te laisser entrer. Laisse-moi à présent.
Arnala garda les lèvres pincée, puis murmura :
- Et moi je n'aurai pas dû te demander quoi que ce soit.
Puis elle sortit en claquant la porte, laissant le grand démon seul. La tempête était passée, il ne restait que des ruines. Lorsqu'on touche au sentiment, personne n'en ressort indemne. Alors le ministre fit ce qu'il faisait à chaque fois. Il refoula. Il mit ça de côté, en espérant que cela n'explosera pas de nouveau. Et se força à réfléchir à un plan pour sauver Lakr, comme si rien ne s'était passé, tout en sachant très bien que quelque chose s'était brisé.
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