03 - Renaissance
Lieu et date inconnus
— Tu n’aurais pas dû rencontrer le pasteur !
John ne sait pas comment il s’est retrouvé dans le bureau de son père dans la résidence familiale de Martha’s vineyard. Il était en train de parcourir les couloirs de la Maison-Blanche étrangement désertés. Il essayait toutes les portes sur son chemin. Les huisseries qui n’étaient pas closes lui donnaient accès à des placards remplis de produits ménagers. Puis, une porte s’est ouverte sur cette pièce pourtant située à 490 Miles de Washington. Il s’est assis sur le fauteuil confortablement rembourré en face de son père en train de travailler derrière son bureau. Il attendait que Joseph lui adresse la parole comme lorsqu’il était enfant.
— Nous comprenons qu’il faut que tu combattes officiellement la ségrégation. Mais en rencontrant Martin Luther King, tu lui donnes une certaine légitimité. Laisse-moi te rappeler combien nos amis ne partagent pas cette ouverture d’esprit. Aujourd’hui, ta nouvelle campagne a besoin de tous les supports possibles.
John se souvient pourtant cette discussion. Elle avait eu lieu il y a quelques jours dans un bureau discret de la capitale. Il savait comment elle allait se finir. John allait enfin dire à son père ce qu’il avait sur le cœur depuis des années. Il allait lui signifier que cette fois-ci il allait se dispenser de son aide et de celle de ses connaissances.
— Père, mon ambition n’est pas de faire plaisir à tes amis. Je dois propulser notre pays vers l’avant, vers le futur. Conserver les acquis du passé est contraire à tout ce que j’ai essayé de construire pendant ces trois années de présidence. Notre famille sait combien un conflit armé peut se révéler profitable pour les entrepreneurs aventureux. Mais il est maintenant temps de capitaliser sur la paix de franchir les nouvelles frontières qui vont...
— Fitz, garde tes discours pour galvaniser les foules. Les bons sentiments n’ont jamais amené qui que ce soit au pouvoir. Les appuis politiques et financiers sont les seuls moyens d’y arriver. Mes amis, comme tu les appelles, sont ceux qui ont assuré ta victoire il y a trois ans. Souviens-toi ce qu’il a fallu faire pour t’ouvrir les portes de la maison blanche.
Fitz ? Cela fait des décennies que son père ne n’avait plus utilisé ce nom. Il se rappelle combien, enfant, il était effrayé quand il le nommait comme cela. Mais cette fois-ci, John a décidé qu’il est grand temps de se libérer de l’influence de son géniteur et ses menaces à peine voilées.
— C’est justement pour cette raison que je vais me passer de tes services. Je vais mener une campagne honnête, sans utiliser un seul de tes coups tordus. Si je gagne, je ne le devrais qu’à moi-même. J’ai 46 ans, il est grand temps que je me prenne en main et que je sorte des jupes de mon père. J’ai toujours fait ce que tu désirais pour essayer de te plaire ou pour être à la hauteur des attentes de notre famille. Je n’ai jamais pu choisir ce que j'espère vraiment faire. Comment je veux vivre . Cette fois-ci, je vais faire les choses à ma manière !
— Tu sais que tu es en train de faire la plus grosse erreur de ta vie ?
— Oui. Si je fais une faute, ce sera la mienne. Je l’assumerais comme telle.
Pour toute réponse, son père regarde longuement la surface de son bureau. Il tourne son visage sur le côté et ouvre brusquement un tiroir sur sa droite. Il en sort une bouteille de whisky et deux petits verres, qu’il remplit pour lui et son fils. John refuse de la main la boisson que lui tend son père. Celui-ci porte le shot à sa bouche et l’avale d’une seule gorgée.
— John, je comprends que tu voies les choses de cette façon. Je me rends compte que c’est difficile pour toi, d'appréhender à quel point, notre famille est impliquée dans un jeu de pouvoir qui peut s’avérer dangereux pour nous tous, si l’un des participants décide de quitter la table.
— C’est encore des menaces ?
— Non John. Je veux t’expliquer que mes amis et moi-même avons convenus de certains arrangements. Si je ne peux m’acquitter de mes engagements, ils risquent de... me tenir responsable de cet échec.
Joseph avale le second shot de whisky
— Père, je ne suis pas coupable de vos malversations. Ce n’est pas moi qui dois m'acquitter de vos inconséquences.
— Bien-sur John. Si tu te retires du jeu, c’est à moi de m’occuper du prix à payer. Ma responsabilité c’est de faire le ménage. De s’assurer que personne ne puisse lancer contre nous les autorités ou leur parler.
— Voyons, père, je n’ai aucune raison de dire quoi que ce soit. Ce serait suicidaire…
Joseph se penche de nouveau vers son tiroir. Mais au lieu de ressortir sa bouteille de whisky, c’est un pistolet automatique qui se trouve dans ses mains. Il le braque vers John et enlève le cran de sécurité.
— Mais c’est exactement ce que tu viens de faire John... Tu viens de te suicider !
En voyant le coup de feu partir, John se réveille en sursaut.
John reprend connaissance brusquement. Son cœur tape d’un battement sourd. La chambre est lumineuse. Les dalles du plafond au-dessus de sa tête ne lui disent pas à quel endroit il se trouve. Il est couché en position semi-assise dans un lit d’hôpital. Des barrières métalliques anti-chutes sont situées de part et d’autre des côtés de son matelas. Cette pièce rappelle de bien mauvais souvenirs à John. Sujet, depuis des années à des problèmes de dos récurrents, il a séjourné bien trop souvent dans ce type de chambre.
Pourtant il y manque dans cette salle quelques accessoires médicaux comme les supports de perfusion ou les moniteurs cardiaques. Une fenêtre éclaire derrière lui à sa gauche. Lorsqu’il essaye de se retourner vers elle, il se rend compte que ses poignets et ses chevilles sont sanglés au lit et l’empêchent de bouger. John veut appeler à l’aide, mais ses cordes vocales ne semblent pas totalement remises et le son qu’elles émettent est extrêmement faible.
—... S’il vous plaît… !
Se souvenant qu’il a été blessé au cou John se demande s’il est encore capable de parler normalement. Il ne sent aucune lésion, mais essaye de tester la présence d’une éventuelle douleur en se raclant la gorge doucement. Puis de plus en plus fort pour réveiller son larynx engourdi.
— Il y a quelqu’un ?
Une silhouette habillée de blanc se profile derrière la porte translucide de sa chambre avant de la faire glisser vers la droite. Mais l’individu qui entre dans la pièce ne ressemble pas du tout à une infirmière ou un médecin. C’est un homme à la peau foncée qui semble sortir tout droit d’un conte des mille et une nuits. Il porte un long bouc noir dominé par un nez anguleux des yeux profonds et arbore un crâne chauve sur lequel est tatoué un large « W » dont la couleur sur sa peau sombre tire sur le violet. Il est vêtu d’une blouse blanche et tient à la main un porte-document. L’homme touche son oreille avec un doigt et semble acquiescer à une question que personne n’a posée. Il se retourne enfin vers John.
— Bonjour, comment vous appelez-vous ?
— Vous ne savez pas qui je suis ?
— Je le sais. Mais je veux découvrir si VOUS le savez ?
— Qu’est-ce que ce jeu stupide ? Je suis John Fitzgerald Kennedy, président des états unis d’Amérique en exercice, et vous qui êtes vous ?
— Je ne peux pas répondre à cette question, je suis désolé. Vous aurez des réponses à toutes vos interrogations, mais il va falloir être patient. C’est pour votre bien.
— Écoutez, si je comprends bien, vous avez de mauvaises nouvelles à m’annoncer concernant ma santé. Mais j’ai en charge la destinée du peuple américain et je suis en pleine campagne électorale. Détachez-moi et je me prêterais à vos petits jeux une fois que j’aurais réglé avec le vice-président et mon directeur de communication les détails les plus urgents.
— La campagne électorale est achevée.
— Comment ça ?
— Les élections sont terminées et... techniquement, vous n’êtes plus président.
— Cela fait combien de temps que je suis à l’hôpital ?
— Je ne peux pas encore vous le dire…
L’homme en blouse blanche se tait brusquement et lève les yeux au ciel. Puis il se met à parler comme s’il s’adressait à dieu.
— Il faut que je lui délivre des informations. Rappelez-vous ce qui s’est passé avec quatorze... Oui, d’accord, je vais essayer ça...
— Qu’est-ce que vous êtes en train de raconter ?
— Excusez-moi ! Pour tout vous dire, je porte sur moi un appareil qui me permet de recevoir les conseils d’un spécialiste. Comme vous l’avez deviné, je dois vous délivrer des informations qui risquent d’être difficiles à intégrer. Si je vous les donne dans le mauvais ordre ou de manière trop brusque, vous pourriez réagir de façon inappropriée. C’est dangereux pour votre santé. C’est pour cette raison que vous êtes attaché à votre lit. Pour garantir que vous ne vous fassiez pas mal.
— Vous voulez dire que Jackie est morte ?
— Je… Votre femme n’a pas été tuée lors de votre… lors de l’attentat.
— Je ne comprends rien ?
— Que vous rappelez-vous de… l’incident à Dallas ?
— Ce n’est pas très clair dans mon esprit.
— C’est normal, vous avez subi un… choc. Vous souvenez-vous ce qui s’est passé ?
— J’ai été touché au cou. Je n’ai pas pu appeler des secours. Quelqu’un nous tirait dessus et j’ai dû m’évanouir.
— Vous évanouir, vous ne vous remémorez de rien d’autre ?
— Je… Hum… Je crois que j’ai été assommé par un choc à la tête. Sûrement un ricochet. J’ai déjà été frôlé par une balle perdue pendant la guerre en 43. C’était très douloureux et cela m’a laissé une marque sur l’épaule.
— Ce n’était pas un ricochet. Le 22 novembre 1963, aux alentours de midi et demi John Fitzgerald Kennedy a été touché à la tête, par une balle longue portée, d’un calibre de 6,5 mm. Sa boîte crânienne a explosé en expulsant une partie de sa matière grise. La plupart des spécialistes s’accordent à dire que le président des états unis est tué sur le coup. Monsieur Kennedy a été transporté en urgence au Parkland Memorial Hospital où il a été déclaré décédé à 13 h 33.
— Pourquoi parlez-vous de moi à la troisième personne ?
— Vous n’êtes pas précisément l’homme qui est mort ce jour-là.
Brusquement, un léger bip répétitif sort du porte-document du pseudo-médecin. Il redresse l’objet pour l'observer, touche sa surface et le bruit s’éteint. Il fronce un sourcil et semble de nouveau écouter une voix que John ne peut entendre. Il regarde alternativement John et son porte-document en gardant le silence…
Quelques instants passent tandis que John tente de maîtriser la sourde angoisse qui l’envahit. Il a beau essayer de donner un sens aux propos qu’il vient d’échanger avec cet homme, mais la raison de tout cela lui échappe totalement.
Ce n’est pas possible. Je ne le crois pas.
— Mais... Je ne suis pas mort... Je suis là à discuter avec vous. Je ne comprends rien… S’il vous plaît, appelez votre responsable. J’ai des décisions à prendre et je voudrais parler à Lyndon Johnson, dès que...
— Calmez-vous. Je vous l’ai dit, vous n’êtes plus le président et n’avez aucune chance de le redevenir. Vous devez aujourd’hui vous occuper uniquement de votre santé. Essayez de…
— Ça suffit ! Je crois que vous mentez. Appelez immédiatement votre responsable ou je jure que vous allez le regretter ! J’en ai marre de vos affirmations abracadabrantes. Détachez-moi maintenant !
John sent son angoisse monter brusquement enserrant son cœur dans des griffes d’aciers. Sa respiration se bloque et il éprouve du mal à reprendre son souffle.
La porte de la chambre s’ouvre subitement et une femme elle aussi en blouse blanche se précipite vers John pour toucher le côté de son cou avec un objet tubulaire froid. Une légère piqûre se fait ressentir. Elle recule d’un pas et manipule l’objet tout en apostrophant l’homme à la peau sombre avec une voix pleine d’assurance.
— Bon dieu, je vous avais dit de laisser Benson s’occuper du réveil. Vous n’en faites qu’à votre tête et vous allez finir par le tuer. Ce n’est pas parce que votre budget est illimité que vous devez achever tous vos sujets d’expérience !
— J’ai suivis les recommandations de Benson. Il m’a dit d’attendre l’acceptation, après le déni et la colère, avant de recommencer à lui délivrer des informations.
La femme se tourne vers John et lui sourit doucement. Elle est grande. Ses cheveux sont d’un blond très pâle. Ses yeux bleu clair et l’ovale parfait de son visage sont rehaussés par la présence de deux pommettes bien ciselées que l’on rencontre habituellement chez les représentantes des pays nordiques. Elle possède une beauté d’une perfection rare.
— Je vous ai injecté un léger sédatif qui devrait calmer votre rythme cardiaque. Respirez doucement. Si vous sentez de nouveau votre cœur s’emballer, ne vous inquiétez pas, je vous ferais une nouvelle injection.
Donnez-moi ça ! Dit-elle en tendant la main pour que l’homme puisse y déposer son porte-document. Je vais surveiller les constantes pendant que vous continuez vos explications.
L’homme se tourne de nouveau vers John
— Vous vous sentez mieux ? Observant l’acquiescement de son interlocuteur, il poursuit. Vous vouliez discuter avec le responsable et vous l’avez devant vous. Mais avant que je continue à vous expliquer comment vous êtes arrivé ici, j’aimerais vous parler de moi.
Depuis le plus loin que je me rappelle, je vous ai toujours admiré. Le combat contre la ségrégation que vous avez mené a éveillé chez moi un espoir insensé. Celui que nous pourrions un jour, trouver une solution pour que les hommes de toutes les races puissent enfin partager notre monde en toute égalité. Le concept de la « nouvelle frontière » qui devait pousser l’humanité à se dépasser au point de se sublimer dans la conquête de l’espace était absolument brillant. Vous étiez, et vous êtes encore aujourd’hui le président américain le plus aimé. Même la cote de popularité d’Abraham Lincoln est inférieure à la vôtre. Mais ce qui m’a marqué le plus vous concernant, c’est sans conteste les circonstances de votre assassinat.
Je sais que vous n’y êtes pour rien et que vous ne devez pas comprendre ce qui peut être admirable lorsque l’on succombe sous les balles d’un criminel. Sachez d’abord que votre mort a permis à votre pays d’avancer spectaculairement dans la conquête spatiale et l’égalité entre races. Mais votre meurtre est aussi l’un des grands mystères de votre siècle.
— Que voulez-vous dire ?
— Même aujourd’hui, personne ne sait réellement qui vous a tué et qui a commandité votre assassinat.
— Je suis vraiment mort ? Nous sommes au paradis ?
— Non, vous n’êtes pas au paradis. Vous êtes bel et bien de retour sur notre pauvre monde. Mais pas mal d'eau a coulé sous les ponts depuis que vous nous avez quittés.
— Combien de temps ?
L’homme se tourne vers sa collègue féminine pour l’interroger du regard. Celle-ci observe le porte-document avant d’acquiescer doucement.
— Plusieurs dizaines d’années. Presque 90 ans dans quelques mois.
John accepte cette information presque sans protester. Les drogues qui coulent dans ses veines doivent être la cause de cette absence de réaction. En accord avec cette accalmie physique, son esprit semble, lui aussi, tourner au ralenti.
Jackie doit-être décédé et la majorité de mes enfants avec elle. Au mieux ce sont des vieillards. Je ne suis plus rien sur cette terre. Ma présidence, ma mort, sont devenue des faits historiques. Mon père n’est plus et mon parti ne doit plus exister... Mais si je ne suis plus qu’une pièce de musée ?
— Pourquoi ?
— Pour deux raisons. Premièrement je suis celui qui a permis votre retour à la vie. Le premier de son genre. Votre passé, votre psychologie, vous prédisposait à être le meilleur candidat. Vous n’êtes pas ma première expérience. Mais vous êtes assurément ma première réussite.
— Pourquoi moi ?
— Parce que je vous admire et que j’ai besoin de vous pour mener une enquête.
— Je ne suis pas un policier. Je n’ai jamais montré le moindre talent pour résoudre le plus petit mystère. Pourquoi moi ?
— Parce que vous êtes l’homme idéal pour enquêter sur les circonstances de votre mort...
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