Chapitre Trois : Au pays du mensonge, celui qui omet, est Roi écrit par EruxulSin
Chapitre Trois : Au pays du mensonge, celui qui omet, est Roi
Par EruxulSin
Les idées de la liberté et de la diversité survivent à toutes les épreuves, même si d'accoutumée et le cas échéant, les pensées s'embrasent, emportant avec elles la vie de tout un écosystème, ainsi qu'une multitude de coutumes et rites ; dormant au cœur d'une forêt vénérable.
Pour Stella, candide et encore dans le besoin d'apprendre des vices de l'humanité afin de renforcer ses convictions et de les affirmer, les propos de son orateur qui s'était auto-proclamé Roi d'une île bercée dans une mer d'huile, avaient été d'une rugueur sirupeuse. La jeune femme avait été estomaquée par l'aigreur sucrée de la comparaison cinglante entre une dictature et le capitalisme, ce dernier qui, en implacable Empereur de plusieurs continents, avait été élu à toute unanimité.
La journaliste pensait alors avoir goûté à un délicieux poison, qui désormais, agitait ses songes et la poussait à ouvrir ses acquis immaculés, aux sombres nuages qui voilaient progressivement le ciel d'une humanité frivole et oisive. Cette masse humaine avait oublié que quelque part dans l'ombre, quelques personnes cultivaient les clivages, opposant le peu de foi en l'Autre qui survivait au sein des humains, au besoin de se différencier et de juger son prochain pour de simples biens matériels.
Aussi se remémorait-elle ce que lui avait dit le roi : "La jeunesse tient à la fantaisie de l’esprit."
Mais dans ce cas-là, la fantaisie de l'esprit avait-elle été corrompue ?
Ce faisant, cette réflexion avait poussé Stella à se rendre dans le pays des Couleurs et des Festivités, afin de comprendre si les Merveilles de l'âme étaient-elles, elles aussi, en proie à une obscurité menaçante.
C'est quand le Carnaval de Belem battait son plein, qu'elle fit son entrée au Brésil. Paradisiaque cauchemar aux apparences festives, joyeuses, teint d'un stupre virulent, empli d'un brouhaha s'élevant d'une foule s'abandonnant à la danse pour éteindre la rage qui consume lentement la paix et l'harmonie de cet immense pays.
Rapidement aguichée par ses enjôleurs habitants, elle ne manqua pas de saisir l'occasion qu'offrait cette promiscuité afin d'en apprendre plus sur le ressenti abasourdi par tout ce remue-ménage. Cela lui permettait par ailleurs de faire rayonner son savoir linguiste et de pratiquer cette langue exotique. Elle se rapprochait d'une femme, en partie dénudée, agitant de ses coups de hanches et de reins, une ribambelle de plumes irisées.
" Bonjour señorita. je voulais savoir si la joie qui fait battre votre cœur actuellement, est-elle toujours au beau fixe, ici ?
- Non... Mais il faut profiter de ce que la vie nous donne, car bien souvent, elle prend.
- Pourquoi dites-vous cela ?
- Vous voyez tous ces gens, qui transpirent d'amour et de complicité ?
- Je les entends, surtout, mais oui. Soupirait Stella.
- Aujourd'hui, ils se donnent la main, mais demain, ils se haïront.
- Mais s'ils s'opposent demain, c'est qu'ils se détestent aujourd'hui ? Non ?
- Qué no ! Mais vous savez, la survie rend les âmes les plus chaleureuses, aussi cassantes et rudes qu'un bloc de glace.
- La survie ? Pourtant, telle que je découvre votre contrée aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir sous les yeux les lumières d'un bal éternel.
- Oui, mais le maquillage ne fait pas disparaître les rides et les crevasses qui marquent un visage attristé.
- Je ne saisis pas complètement cette métaphore, pourriez-vous me l'épépiner ?
- Venez avec moi."
L'affriolante brésilienne la prenait par la main, et à l'instar de poissons, elles remontaient le courant d'une rivière humaine euphorique et tumultueuse. Elles s'engouffraient dans des ruelles de plus en plus silencieuses, jusqu'à ce qu'enfin, les deux femmes atteignent un point de vue, surplombant plusieurs kilomètres de misère et de désespoir, permettant aussi de distinguer une barrière enflammée, se propageant dans l'Amazonie, dévorant les géants émeraudes.
S'étendait sous les yeux de la journaliste la face cachée de l'allégresse. Rapidement, sa guide lui expliqua que les favelas, aussi terribles qu'elles pouvaient être, n'était que la réelle apparence de la ville qu'elles venaient de traverser. Les murs retiennent la pauvreté, mais ne l'empêchent pas pour autant de sévir et de grandir. Aussi, la danseuse croisa les bras, et conclut :
"Voilà pourquoi nous luttons les uns contre les autres tous les jours, pour ne pas voir notre précarité devenir un tourment. Voilà pourquoi le nationalisme revient en force... Déjà qu'entre citoyens nous nous effrayons, alors les étrangers... Responsables d'une partie de notre chagrin, ne sont plus si bien vus."
À ces mots, elle la salua, puis laissa Stella là, à contempler cet univers de désolation, seule face à cet océan de peine. À l'image du Roi des Caraïbes, j'étais convaincue que les troubles de cette population, étaient en partie du ressort de leur dirigeant. Un homme aussi obscur que les pensées qu'il véhiculait. L'incarnation d'un fascisme aussi puissant que les sombres intérêts qui motivaient le dirigeant à pactiser avec d'autres Rois, mais cette fois-ci du capitalisme. Vendant la Nature de jade qu'il pensait posséder contre d'autres feuilles vertes, mais faites uniquement de papier. Stella se disait qu'elle devait rencontrer cet homme afin qu'il lui explique ce qu'il gagnait à dévaster sa propre nation.
Sacré comble par ailleurs se disait-elle, lorsque l'on est nationaliste.
Plusieurs jours plus tard et après quelques escales, la journaliste arrivait à Brasilia, curieux mélange entre une architecture sophistiquée, et un dédale de rue, jonchées de maisons en ruine. On l'escorta jusqu'au palais de l'Aurore. Cependant, sa carte de presse européenne coupa net, toute interaction possible. On lui refusa tout bonnement de s'entretenir avec un quelconque membre du gouvernement. Elle allait repartir, jusqu'à ce qu'un homme d'entretien l'arrête.
"Je sais pourquoi vous êtes venue ici. Beaucoup de journalistes européens voyagent jusqu'ici pour comprendre, mais il n'y a rien à comprendre.
- Comment ça ? Il y a toujours une raison derrière chacune des choses qui se produisent sur cette terre. C'est la causalité.
- Peut-être, mais au Brésil, le Mal s'est insinué partout et dès lorsque l'on cherche à savoir ce qui motive cette suite d'évènements tragiques, aucune réelle réponse n'est proclamée.
- Mais, le peuple sait ce qui se trame, n'est-ce-pas?
- Bien sûr, mais comment voulez-vous relier la corruption qui détruit notre population avec notre président ? Il nous élève les uns contre les autres, en plus de nous amener à détester les étrangers ; tandis qu'il traite avec les pires hommes que le monde n'ait jamais portés : narco-trafiquants, propriétaires terriens, capitalistes profiteurs, et j'en passe.
- Seriez-vous en train de me dire que tous ces gens heureux de pouvoir se réunir dans la rue, seraient incapables de s'unir pour changer tout cela ?
- Je vous l'ai dit, il est impossible pour nous de nous rassembler. Cela fait trop longtemps que la vérité est falisifiée, que notre joie est modulée et régulée pour que nous ne nous révoltions pas. Nous déguisons nos craintes et nos peines, mais elles restent immuablement ancrées en nous.
- Peut-être que si tous les brésiliens pointaient du doigt ces aberrations, le mensonge qui voile vos vies pourrait se dissiper ?
- Sauf que vous vous trompez.
- Comment ça ?
- Cet homme ne ment pas. C'est sa stratégie... Dans un pays rongé par le mensonge, celui qui omet, est le Roi.
- Mais dans ce cas-là...
- C'est nous qui mentons, et à nous-mêmes."
L'homme partait, et Stella se retrouvait seule, une fois de plus, avec ses pensées. Ainsi, se dit-elle, ce n'est peut-être pas l'Autre, qui corrompt notre fantaisie et nos rêves, mais soi-même. Dois-je alors jouir, inconsciente ou ignorant ce qui se passe autour de moi... Ou dois-je subir les affronts de ce Monde, qui au détour de sa beauté et de ses paillettes, n'est en réalité qu'une tempête d'obscurité, grandissant seconde après seconde.
J'étais désormais en proie au doute.
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