Alcid

2 minutes de lecture

Je vis dans une rivière sans jamais en sortir. Parfois, je suis aspiré par les remous et les courants. D’autres fois, je sors la tête de l’eau. Mais jamais je ne peux quitter les vagues qui m’emprisonnent.
Gamin, je cassais tout et je tombais sans arrêt. La seule raison pour laquelle j’avais des amis, c’était parce que mon sort les faisait rire. A l’époque, j’étais trop jeune et bien trop naïf pour comprendre que ces regards qu’ils me lançaient n’étaient chargés que des pires moqueries. Il n’y avait que Gabriel qui m’aimait bien. Gabriel était mon ami. Les autres n’étaient que de sales putois. Je les aimais bien quand même. J’aimais tout le monde. Et puis il y a eu le jour du ballon. La rivière, les avertissements, l’insouciance.

Gabriel est tombé, je n’ai pas compris ce qui se passait. Je sais que j’aurais pu le sauver… si seulement j’avais réagi à temps !

Mais voilà, j’avais été pétrifié par la peur. Et une partie de moi voulait croire à une simple blague. J’étais terrifié et fasciné à la fois. Il avait été submergé pendant qu’il hurlait mon nom, et ce cri qui m’avait glacé d’effroi, retentit encore dans mes rêves les plus sombres. Alc… puis le flot qui recouvrait le corps du seul véritable ami que j’ai eu. Ce qui aurait du me motiver à bouger mes muscles pour voler à son secours, m’avait au contraire, figé sur place.

Depuis, c’est comme si j’étais lui. A sa place. Je veux comprendre. Pourquoi, comment. Pourquoi n’ai-je pas été plus fort que cette peur ? Pourquoi ne suis-je pas mort à sa place ? Quelle a étés a dernière pensée ? Savait-il qu’il allait mourir lorsqu’il a crié mon nom une dernière fois, gardait-il espoir de rester en vie ou bien était-il inconscient lorsque les eaux lui ont retiré son dernier souffle de vie ? Comment puis-je vivre alors qu’il est mort par ma faute ? Qu’est-il devenu ? S’est-il transformé en poisson ? Son âme a-t-elle disparu à jamais ou bien vit-elle quelque part, ailleurs ? Ou l’a-t-elle accompagné au fond de cette rivière ?

J’ai fais des poissons ma passion, mon métier. Et parfois, entre deux flots de la vie qui me submergent, je parle à mes poissons. Je leur raconte, je leur demande. Pour moi, ils s’appellent tous Gabriel. Mon ami vit à travers eux.

J’ai trouvé mon âme-sœur. Elle me sort la tête de l’eau, comme mes poissons. Je sais tout d’elle, et elle n’a pas besoin de tout savoir de moi pour me connaître et me comprendre. Elle m’aime pour mon calme apparent et les sautes d’humeur que je n’aurai jamais. Elle seule, m’a vraiment compris. Je suis incapable de sourire, je suis incapable d’être heureux, parce qu’avec Gabriel, je suis mort aussi. J’ai tenu à m’enfermer dans les livres et la comédie. Chaplin et Molière ont été mes guides spirituels. Je me suis coupé des hommes, parce que s’ils ne sont pas méchants, ils se voilent la face ou meurent dans une rivière bruyante. Lise est mon âme-sœur. Elle m’aime pour ce que je suis et pour ce que je ne suis pas. Et les poissons sont mes enfants. Je les ai appelés Gabriel pour qu’il vive à nouveau.
Je m’appelle Alcid, et lorsque j’avais huit ans, j’ai regardé mon ami mourir sans savoir quoi faire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rena Circa Squale ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0