Prologue
Sleeping at last – « Overture II »
Chaque année, le jour d’Halloween, Avril se postait à la fenêtre du salon et observait les enfants déambuler dans les rues. Elle s’émerveillait devant tous ces fantômes et sorcières défilant sous les regards de leurs parents, jamais bien loin. Elle admirait les costumes fabriqués à la main ou achetés dans l’unique boutique du coin, tout en épiant les seaux qui se remplissaient de confiseries au rythme des sonnettes et des portes qui s’ouvraient.
Une fois, alors âgée de sept ans, Avril avait récupéré les seuls bonbons de la cuisine et les avaient versés dans un seau placé devant la porte d’entrée, accompagné d’un bout de carton sur lequel elle avait écrit « Servez-vous » d’une écriture maladroite. Personne n’avait sonné à la porte de la soirée, mais un sourire avait illuminé les visages des enfants lorsqu’ils apercevaient les sucreries. Et rien ne pouvait lui faire plus plaisir. Depuis, elle replaçait le seau au même endroit, tous les ans, en secret, et son cœur se réchauffait en sentant la joie flotter autour de sa maison, le temps d’une soirée.
Chaque année, le jour d’Halloween, Avril se postait à la fenêtre du salon et observait les enfants déambuler dans les rues. Elle s’émerveillait devant tous ces fantômes et sorcières défilant sous les regards de leurs parents, jamais bien loin. Mais pas cette année. Pas aujourd’hui.
Les yeux perdus dans le vague, elle laissait l’eau brûlante de la douche couler sur son corps, emportant dans son sillage la saleté inexistante. La pièce était emplie de buée, les murs transpiraient. Attrapant un gant de toilette, Avril se mit à frotter, jusqu’à se griffer. Elle passa sa main sur sa peau où se mélangeaient les taches de rousseur, les grains de beauté et les cicatrices. Le savon à la vanille fut réduit en morceau, écrasé contre son torse, étalé avec rage sur le corps de la jeune adolescente. Mais rien n’y faisait, la crasse avait déjà pénétrée les pores. Avril sortit précipitamment de la douche et revêtit son jean noir et son gros pull vert abandonnés sur le carrelage, prenant à peine le temps de s’essuyer. Elle récupéra ses affaires dans sa chambre et sortit de la maison.
Dehors, elle erra au milieu des sorcières et des princes, tel un fantôme, dans l’unique but d’échapper au monstre caché sous son toit. Sans prêter attention à son corps douloureux et aux enfants qui la bousculaient, elle se rendit à l’église où la lourde porte en bois se referma derrière elle, l’enveloppant dans un calme apaisant. Elle s’assit sur un banc et observa les cierges se consumer. Seul le bruit du vent pénétrant par le clocher brisait le silence rassurant de l’église, confiné entre ces murs de pierre que le temps avait commencé à grignoter. Avril attendit, jusqu’à ce qu’une silhouette apparaisse au fond de la nef. Un homme à la peau métissée vint s’asseoir à ses côtés. Le grincement du banc résonna dans le lieu.
— Avril, que fais-tu ici ? demanda le père Mathieu. Il se fait tard, tes parents savent que tu es là ?
— Emmenez-moi à l’hôpital.
Étonné, le prêtre laissa son doux regard noisette parcourir le corps de la jeune fille, s’assurant qu’elle n’était pas blessée. Elle aussi le regardait, attendant qu’il bouge. Mais il ne fit rien. Elle finit par se lever pour se poster face à lui et répéta sa demande.
— Emmenez-moi à l’hôpital.
— Pourquoi veux-tu y aller ? Tu es blessée ?
— Je dois aller voir mon petit frère.
Le père Mathieu continua de la fixer d’un air inquiet, ne sachant que faire.
— Emmenez-moi à l’hôpital.
☽ ☾
Les murs de l’hôpital étaient aussi blancs que les blouses des infirmières. Il se faisait tard, les couloirs étaient vides. Avril avait dû présenter sa carte d’identité pour être autorisée à monter. Les yeux fixés sur les numéros des portes, elle entendit un bébé pleurer quelque part dans le bâtiment. Arrivée devant la chambre numéro treize, elle ouvrit doucement la porte.
Sa mère était allongée dans le lit, endormie. Une petite lumière était allumée, suffisamment forte pour permettre à Avril d’apercevoir la forme qui bougeait dans le petit berceau en plastique. Elle déposa son sac et sa veste sur une chaise avant de s’approcher. Des petites mains et des petits pieds gesticulaient. Il venait à peine de naître, mais il gigotait, scrutant tout ce qui se trouvait autour de lui, comme si ces quelques heures étaient essentielles. Comme si son temps était compté et qu’il fallait tout découvrir avant de partir.
Il finit par entendre sa sœur et tourna sa petite tête vers elle. Leurs yeux se croisèrent et ne se lâchèrent plus. Des yeux bleus. C’est la première chose qu’elle remarqua : il avait les yeux de leur maman, ainsi que quelques cheveux sur la tête. Des cheveux pas tout à fait blonds, mais pas tout à fait roux non plus. Avril se pencha au-dessus du berceau pour attraper le bébé. Il ne dit rien, se laissa faire en la dévisageant, scrutant chaque morceau de son visage. Ils se dévoraient l’un l’autre, découvrant, apprenant, mémorisant. Avril plongea la main dans son sac et en sortit une peluche en forme de renard.
— Regarde ce que je t’ai apporté, murmura-t-elle afin de ne pas réveiller sa mère.
Son petit frère examina le cadeau avec attention, ne le quittant pas des yeux. Avril sourit, heureuse. Il semblait tellement éveillé. Elle n’aurait pas été surprise de le voir déjà sourire. Ignorant les quelques larmes qui coulaient sur ses joues, elle approcha doucement sa bouche de l’oreille de son frère qu’elle aimait déjà tant et lui murmura ces mots, comme une petite comptine apprise par cœur :
— Je te protègerai. Il ne te touchera pas, je te le promets.
Elle regarda le prénom inscrit sur le bout de carton, sur le berceau, et l’intégra à cette promesse qu’elle n’oubliera jamais.
— Je t’aime Ronan. Jusqu’à la lune.
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