Chapitre 28

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Alex Blue – « Chasing Hope »

Les cheveux éparpillés sur l’oreiller, Renard serré contre lui, Ronan dormait déjà profondément lorsqu’Avril ferma la porte de la chambre. En descendant l’escalier, elle entendit Raphaëlle et Tim débattre dans le salon au sujet du film à regarder. Ce dernier réclamait Retour vers le futur tandis que Raphaëlle défendait Gremlins.

— Avril, je t’en supplie, mets fin à tout ça, j’en peux plus ! s’écria Hippolyte la tête dissimulée sous un coussin.

Face à l’air suppliant de ses deux amis, Avril se trouva incapable de les départager et proposa Le Seigneur des Anneaux, qu’elle n’avait toujours pas vu. Si Hippolyte était emballé par cette idée, son frère et sa petite-amie n’étaient absolument pas enthousiastes et la discussion reprit son cours avec un troisième film en lice.

— Sinon on regarde pas de film, suggéra Etienne.

Le jeune homme se triturait les méninges depuis plusieurs jours. Après s’être confié à Avril sous le châtaignier, il s’était plongé dans ses souvenirs, avait analysé chaque évènement enfoui dans sa mémoire pour tenter de comprendre ce qui l’avait amené à être celui qu’il était aujourd’hui. Et ce soir, il se sentait prêt, il voulait se montrer entier à ses amis, quitter cet entre-deux dans lequel il était coincé depuis si longtemps. Il leur devait bien ça, et il l’avait promis à Avril.

— Et tu veux qu’on fasse quoi ? demanda Raphaëlle. Du tricot ?

— On pourrait juste se parler, ça peut être bien. Je crois que j’ai pas mal de choses à vous dire.

Un silence pesant s’installa dans le salon. Déboussolée, Raphaëlle finit par rejoindre son petit-ami sur le canapé et scruta attentivement ce jumeau qui l’avait accompagné tout au long de sa vie. En y regardant de plus près, elle le trouvait différent ce soir.

Avril s’installa sur le second fauteuil, face à Etienne, et Tim resta assis en tailleur à même le sol. Etienne observa ses amis un à un, ne sachant par où commencer. Après une grande inspiration, il se tourna vers sa sœur et se lança :

— Tu te souviens du dernier été qu’on a passé ici, avant que Mamie ne tombe malade ? Je suis allé dans la remise avec Papy, on réparait les lanternes. Je lui ai posé une question, je lui ai demandé si on pouvait aimer les filles et les garçons.

Tous écoutaient consciencieusement Etienne, veillant à ne pas faire de bruit. Même les respirations étaient maîtrisées, personne ne voulait interrompre son récit.

— Il a dit des choses homophobes, du coup j’ai plus jamais osé en reparler. J’ai décidé que c’était mieux de ne rien dire. Et puis, avec tout ce qui s’est passé après le décès de Mamie, c’était pas important.

Il se sentait comme à la croisée de deux chemins, lequel emprunter ? S’arrêter là et ne rien dire de plus ? Faire demi-tour ? Ou continuer sur sa lancée et se mettre à nu, là, devant eux ? Son regard se promena dans la pièce, cherchant un endroit où se fixer. C’est dans les yeux d’Avril qu’il trouva refuge. Il y puisa le courage qu’il lui manquait avant de poursuivre.

— Au collège, j’avais une bande de pote, on passait des bons moments ensemble. Tim était déjà au lycée et Hippo était dans un autre collège. Avec ses problèmes de santé, Raphaëlle était souvent absente, et puis on traînait pas forcément ensemble. Un nouvel élève est arrivé en cours d’année, il s’est rapidement intégré dans mon groupe. Il était assez populaire, tout le monde avait envie d’être avec lui. Moi aussi. J’avais très envie d’être avec lui. Jusqu’à présent je me posais simplement des questions. M ais pour la première fois j’ai été confronté à des sentiments. Pour un garçon. On est devenus assez proches, je me sentais en confiance avec lui, alors un jour, je lui ai dit. Je lui ai avoué que j’étais amoureux de lui.

Perdu dans ses souvenirs, Etienne s’interrompit. Il avait enfoui tout ça si loin dans sa tête et pourtant la douleur était toujours là, bien présente.

— Qu’est-ce qu’il a dit ? murmura Raphaëlle.

Surpris par le son de sa voix, Etienne regarda sa sœur, celle avec qui il avait fait ses premiers pas, celle qui avait su faire du vélo bien avant lui mais qui n’avait pas voulu apprendre à nager tant qu’il n’en était pas capable, trop effrayée à l’idée de se noyer. Celle pour qui il avait acheté de nombreux livres de cuisine pour lui préparer des petits plats succulents qui lui redonnerait, peut-être, le goût de vivre. Celle qui était tombée amoureuse sous ses yeux, qui lui avait parlé d’Hippolyte jusque tard dans la nuit, alors qu’il était lui-même incapable d’examiner son propre cœur.

— Il a d’abord demandé si j’étais gay. J’ai dit que non, pas tout à fait, que j’aimais bien les filles aussi. Ensuite il a rien dit, il m’a juste regardé. Je me souviens de son regard, de son expression. Il était dégoûté je crois. Il s’est levé et il est parti. Le lendemain quand je suis arrivé dans la cour, mes potes m’ont regardé de la même façon. Les garçons ne voulaient pas traîner avec quelqu’un qui pourrait les mâter dans les vestiaires, et les filles ne voulaient pas sortir avec quelqu’un qui pourrait les remplacer par un mec. Soi-disant que j’avais plus de risques d’être infidèle, plus de chance d’être tenté ou je ne sais quoi. Ils m’ont dégagé du groupe. J’ai terminé l’année seul. Heureusement, ils sont tous allé dans un autre lycée.

— Mais quelle bande de débiles, faut vraiment être con, jura Hippolyte, indigné.

Assise à ses côtés, Raphaëlle pleurait en silence. Un goût de sel envahit sa bouche lorsqu’elle demanda à Etienne pourquoi il ne lui avait rien dit.

— Ça change rien pour moi que tu sois bisexuel ou pansexuel, ou ce que tu veux, ajouta-t-elle. Dans tous les cas je t’aime, t’es mon frère et y a rien qui pourra changer ça.

— J’avais peur. Le peu de fois où j’en avais parlé, on m’avait repoussé. J’avais beaucoup trop peur de perdre la personne qui compte le plus pour moi, alors j’ai préféré rien dire. Si ne pas être moi-même était le prix à payer pour te garder dans ma vie, j’étais prêt à le faire. J’ai préféré m’occuper de toi, et d’Hippolyte, quand vous en avez eu besoin. Mais j’ai jamais réussi à être entièrement présent, parce que j’avais toujours peur que ça s’arrête, que vous décidiez de me repousser. Et quand on rencontrait des nouvelles personnes, c’était pire. Je me disais que ça allait recommencer.

Etienne attrapa la boîte de mouchoir sur la table basse et essuya ses joues en reniflant bruyamment. Il ne s’attendait pas à ressentir autant d’émotions à la fois. Mais il lui restait encore un aveu à faire, encore un effort et il pourrait se reposer, déposer les armes.

— C’est pour ça que t’étais distant avec Avril ? questionna Tim.

— Ouais, confirma Etienne en se tournant de nouveau vers la jeune femme en question. J’avais l’impression qu’elle me volait ma place. Vous étiez tous inquiets concernant ce qu’il pouvait se passer chez elle, j’ai eu l’impression d’être mis à l’écart. La vérité, c’est que je m’isole tout seul, depuis des années. J’ai choisi de ne pas croire à vos théories, j’ai préféré imaginer qu’elle mentait. Et quand je l’ai vu s’installer petit à petit ici, j’ai préféré me dire que je faisais ça pour Ronan, qu’il valait mieux qu’ils rentrent chez eux. Parce que j’avais peur, parce que j’étais possessif et parce que j’ai pensé qu’à ma gueule, j’ai commis une erreur.

Il devenait de plus en plus compliqué de parler pour Etienne, il sentait son ventre se tordre, sa poitrine se serrer et sa respiration se hacher.

— Quelle erreur ? demanda Raphaëlle qui sentait pourtant où il voulait en venir.

— J’ai appelé son beau-père pour Lui dire où ils étaient. Je Lui ai donné l’adresse du seul refuge qu’ils leur restaient.

Les épaules secouées par les sanglots, Etienne s’affaissa dans son fauteuil, soulagé. Il avait tout dit, tout avoué, tout confessé. Les yeux fermés, il tenta de calmer sa respiration et n’entendit que d’une oreille la suite de la conversation.

— Quoi ?! T’étais au courant ? demanda Tim en se tournant vers Avril.

Cette dernière confirma avant de se lever pour aller s’accroupir devant Etienne. Elle posa délicatement une main sur la sienne. Le jeune homme ouvrit les yeux et découvrit ce visage, encore marqué, mais si doux.

— Je te pardonne.

Etienne ne put contenir le torrent de larmes face à tant de douceur. Après toutes ces années de silence par peur d’être abandonné, voilà qu’il était pardonné après s’être présenté tel qu’il était, malgré ses erreurs.

— Merci de m’avoir fait confiance ce soir, ajouta Avril. Merci.

Bien que choqué par le dernier aveu d’Etienne, Raphaëlle, Tim et Hippolyte ne purent lui en vouloir bien longtemps. Si Avril lui avait pardonné, comment pouvaient-ils lui reprocher quelque chose qui ne les concernait pas ? Ils se levèrent tous les trois et enlacèrent leur ami.

Il faudra du temps, bien sûr, pour que les blessures se referment et dessinent des cicatrices, pour que le pardon s’enracine et fleurisse, pour que les cœurs qui s’évitaient finisse par s’apprivoiser. Mais là, dans cette maison d’un temps passé, c’est l’amour qui l’avait emporté.

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