Chapitre 5
SYML – « Here Comes the Sun »
— Celui-là, c’est mon préféré, c’est une pomme de pin, mais on dirait un chou-fleur. Et ça, c’est un autre préféré, Avril l’appelle « le cœur de pierre » …
Ronan passait en revue tous ses trésors, les présentant à ses nouveaux amis qui l’écoutaient avec amusement. Raphaëlle, vêtue d’une robe noire à fleurs, semblait s’être attachée au petit garçon et lui posait des questions, se prêtant au jeu. Assis dans un coin, Etienne tripotait une caméra, réglant les paramètres, feignant de ne pas écouter, mais un sourire le trahissait parfois. Tim n’accordait qu’une oreille distraite à Ronan, préférant observer Avril du coin de l’œil en mangeant sa part du gâteau qu’elle leur avait ramené, pour les remercier. Allongé à ses pieds, Bidouille se tenait prêt à récupérer la moindre miette qui viendrait à tomber.
Assise au bout de la banquette qui se trouvait sous la véranda, Avril tentait d’apercevoir le contenu des quelques cartons qui n’étaient toujours pas déballés, notamment celui débordant de livres. Elle peinait à déchiffrer les titres, tournant la tête pour mieux voir. Voyant Hippolyte revenir de la cuisine, un plateau dans les mains, elle se redressa et reporta son attention sur l’exposé de son petit frère qui consistait désormais à détailler le potager du père Mathieu.
— Tiens, c’est maison, précisa Hippolyte en lui tendant un verre de thé glacé.
— Merci.
Le jeune homme s’assit à côté d’elle et se contenta de regarder les arbres de l’autre côté de la vitre. Avril en profita pour reprendre son observation des livres, intriguée par un dos bleu nuit qui semblait particulièrement usé. Elle peinait à lire le titre écrit en rose.
— Tu peux fouiller, tu sais, indiqua Hippolyte, amusé.
— Ça fait au moins quinze minutes qu’elle regarde ce carton, intervint Tim.
— Pardon, murmura la jeune femme dont le teint pâle fût vite remplacé par un rouge écarlate.
— Et beh, sympa les garçons, déclara Raphaëlle. C’est comme ça qu’on traite nos invités ?
— On te taquine, rétorqua Hippolyte en donnant un coup de coude à Avril.
Le jeune homme s’assit par terre, à côté du carton. Avril hésita avant de finalement le rejoindre.
— Ce sont principalement les miens, il y a beaucoup de science-fiction. Quelques-uns sont à Raphaëlle : Dracula, Frankenstein, Les Hauts de Hurle-Vent. Elle doit lire les miens, et moi les siens. Celui-là, c’est mon préféré ! s’écria-t-il en sortant un exemplaire poussiéreux de La Guerre des Mondes.
— Et lui, c’est quoi ? demanda Avril en désignant le livre bleu.
— C’est la première édition française du Seigneur des Anneaux.
— C’est bien ?
— Beaucoup plus dense que les films, mais j’ai adoré. J’avais pas envie d’attendre la sortie du troisième pour connaître la fin, ajouta-t-il en gloussant.
— Ça raconte quoi ?
Voyant qu’Hippolyte ne répondait pas, Avril leva les yeux et découvrit un visage interloqué.
— Tu ne connais pas Le Seigneur des Anneaux ?
— J’en ai entendu parler, sans plus.
— Ok, silence tout le monde ! cria-t-il, interrompant Ronan dans sa description de l’église. On a un cas d’extrême urgence ! Cette personne ici présente ne connaît pas Le Seigneur des Anneaux !
— Aïe aïe aïe ! Toute une culture à refaire, déplora Raphaëlle. Et Star Wars, ça te parle ? La Revanche des Sith est sorti il y a quelques mois, c’est LE film de l’année !
— Oui, mais j’ai jamais vu. Je connais pas l’histoire, avoua Avril, de plus en plus gênée.
— Et Gremlins ? Les Goonies ? E.T. l’extra-terrestre ?! poursuivit Raphaëlle.
— Bon, les films, on verra plus tard, coupa Hippolyte. Qu’est-ce que tu lis ?
— Jules Verne, Victor Hugo, Charles Dickens, Alexandre Dumas, … J’emprunte des livres au père Mathieu, le prêtre du village. C’est le seul endroit où je peux en trouver.
— Le Petit Prince ! On lit Le petit prince ! s’écria Ronan.
— Bon, tout n’est pas perdu. Tes devoirs pour la prochaine fois, déclara Hippolyte en tendant le vieux livre bleu à Avril.
— Merci, répondit-elle désemparée.
— Et moi je me ferrai un plaisir de te faire rencontrer E.T., proposa Raphaëlle.
— Ah non, c’est bon, on l’a déjà vu cent cinquante fois ! s’écria Tim.
— Justement, une fois de plus ou de moins, répliqua Raphaëlle.
Ils s’engagèrent dans un débat sur les films à faire voir en priorité à Avril. Ronan suivait leur discussion avec un intérêt particulier, regardant tantôt l’un, tantôt l’autre, bougeant la tête au rythme d’un match de ping-pong.
— T’inquiètes, ils font ça tout le temps, dit Hippolyte en se penchant vers Avril. Et si ça peut te rassurer, je n’ai jamais lu Jules Verne.
— Je peux peut-être t’en passer un si tu veux.
— C’est vrai ? Ce serait génial !
Avril se détendit et s’adossa à la banquette. Elle chercha un sujet de conversation, tentant de lâcher prise et posa la première question qui lui passa par la tête.
— La maison est à vous ?
— Pas vraiment. Elle appartenait aux grands-parents de Raphaëlle et Etienne. On a décidé de venir passer un peu de temps ici.
— Et vous restez combien de temps ?
— On ne sait pas encore. Tout l’été, ça c’est sûr, peut-être plus puisqu’on n’a rien prévu pour l’année prochaine. Ils ont eu leur bac en juin, expliqua-t-il en désignant ses amis, et je fais ma terminale par correspondance. On nous prête la maison, nos parents nous offrent les courses et l’essence, et pour s’amuser, on a nos économies ! La tante de Raphaëlle et Etienne habite à deux heures d’ici, en cas de pépin. On avait besoin d’une coupure, l’année passée a été compliquée.
Si Avril enviait leur liberté, l’idée de vouloir rester dans ce village perdu lui semblait étrange. Il n’y avait rien à faire, pas de bibliothèque, pas de cinéma, la seule activité quelque peu attrayante était le magasin de bricolage ou la boutique de déguisement. Et encore, les articles y étaient toujours les mêmes. L’ennui était tel que dès que les perceuses changeaient de place, le village en parlait pendant des semaines.
— Et vous venez d’où ? demanda Avril.
— Un petit port de pêche, au nord-ouest.
— Près de la mer ?! s’écria Ronan qui s’était désintéressé du débat interminable entre Raphaëlle et Tim. Vous avez-vu la mer ?!
— Oui, confirma Hippolyte. Je la vois de ma chambre.
— Elle est comment ?
— Euh… C’est la mer quoi.
— Tu en demandes trop à Scooby-Doo, intervint Raphaëlle. La mer c’est grand, c’est beau. C’est jamais la même, elle est toujours différente. Parfois elle brille, parfois elle est toute grise. Il y a des jours où elle danse, d’autres où elle dort. Tu n’as jamais vu l’océan ?
— Non, c’est notre plus grand rêve ! Même qu’Avril m’a promis qu’on irait la voir un jour, tous les deux.
— Je te montrerai des photos si tu veux. Et qui sait, peut-être qu’un jour, vous pourrez venir chez nous.
— Oh oui ! Ce serait trop bien !
— En attendant, vous allez nous faire visiter la forêt, proposa Tim.
— Oui ! Je serai votre guide !
Ronan semblait prendre son rôle très à cœur et entreprit de décrire les différents sentiers possibles qu’il fallait absolument découvrir, ce qui revenait pour lui à la forêt toute entière. Avril sourit en le voyant parler avec fierté de ce grand espace qu’elle avait tenté de lui montrer comme étant leur refuge. Bidouille s’était rapproché du petit garçon, réclamant des caresses à défaut d’obtenir du gâteau.
— Vous n’êtes jamais parti d’ici ? demanda Tim en se penchant vers Avril, toujours assise sur le carrelage.
— Non. Je vis ici depuis que j’ai cinq ans, quand ma mère a emménagé avec mon beau-père, ça va faire treize ans maintenant. On ne part pas en vacances et j’ai été au collège et au lycée dans une autre ville, à vingt minutes en bus, mais Ronan est encore à la maternelle de la commune, il n’a jamais quitté le village.
— Du coup Ronan est ton demi-frère, c’est ça ?
— Oui, si on veut. Mais ça ne change rien.
— Bien sûr que non ! J’essaye juste d’en savoir un peu plus sur toi, rétorqua-t-il en lui adressant un clin d’œil.
— Venez avec nous demain, proposa Hippolyte exaspéré par les manières de son frère. On comptait partir faire une balade en vélo et pique-niquer.
Avril hésitait. Bien que l’idée de partir une journée entière loin du village, avec Ronan, la tentait grandement, elle était également intimidée par la présence de ces jeunes qu’elle connaissait à peine.
— Allez, venez, ça va être bien, insista Tim. Il ne devrait pas faire trop chaud en plus.
Elle se sentit plus légère après avoir accepté et une pointe d’excitation lui chatouilla le ventre. Lorsqu’elle rentra quelques heures plus tard avec Ronan, elle était déjà impatiente à l’idée de revenir le lendemain et se dit que ces vacances pourraient finalement être plus supportables que prévu, surtout si leurs nouveaux amis lui permettaient de tenir ses pensées loin de chez eux. Loin de Lui.
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