Humiliations - 3
Le lendemain matin, je m'éveillais plongée dans la confusion la plus totale.
Entre les exigences impossibles de mon maître et la tendresse torride dont avait fait preuve Nunzio, il m'était impossible de décider de quel côté mon cœur penchait.
Mais la semaine de punition touchait à sa fin. Essaierait-il de reprendre contact avec moi à l'issue du délai ? Devais-je revenir vers lui ou attendre son bon vouloir ?
Telles étaient les interrogations qui m'occupaient en permanence l'esprit... Mais le temps passait et rien ne venait, l'incertitude virait à l'obsession.
Ce jour-là, mes collègues me reprochèrent à plusieurs reprises ma distraction. Je ne les entendais même pas, répondant d'une simple onomatopée la plupart du temps. L'ordre de mes préoccupations était bouleversé.
A tout moment, je ne pouvais m'empêcher de jeter des coups d’œil angoissés au cadran de ma montre. Heure après heure, minute après minute, le silence se faisait toujours plus oppressant.
Vers seize heures, ne pouvant fixer mon esprit sur le travail, je feignais une indisposition et m'échappai, les yeux rivés au sol, pour ne pas éventer le subterfuge.
De toute manière, j'avais à peine menti, j'étais réellement au bord du malaise, crispée par la tension nerveuse qui comprimait ma poitrine.
Sur le chemin, j'eus encore grand-peine à me concentrer sur la route, et je crois bien que je manquai de renverser un passant sur un passage protégé, n'ayant pas même remarqué sa présence.
Le choc de découvrir si près de ma voiture la jeune piétonne m'agita d'un sursaut qui m'aida à me reprendre et à recentrer temporairement mon attention.
Mais à peine arrivée à la maison, les démons qui m'avaient poursuivie toute la journée me reprirent, et je m'enfouissais sous les draps pour leur échapper.
Dans le noir, mon esprit parvint à se rasséréner et je glissais doucement vers un sommeil bienvenu quand une brève sonnerie déchira le silence.
En tâtonnant, je recherchais mon portable qui était branché en charge sur la table de chevet. Le réveil indiquait onze heures, qui pouvait m'écrire à cette heure avancée ? Bien évidemment, ce ne pouvait qu'être Lui, et la lecture du message me le confirma dans la seconde.
" Bonsoir, comment vas-tu?" me demandait-il simplement.
Mais ces quelques mots me mirent tant en émoi que mes doigts tremblants faillirent laisser échapper le téléphone. Me réfrénant, je répondis sybillinement tant j'avais peur de commettre un nouvel impair et risquer ainsi de perdre le contact à nouveau.
Mais Il éteignit mon anxiété en engageant une conversation des plus banales sur nos occupations respectives pendant la semaine écoulée.
Je n'avais rien de particulier à lui raconter, mais lui avait fait de nombreuses randonnées à moto. Mon imagination vagabonda à cette évocation, je me le figurais tout de cuir vêtu, chevauchant sa moto d'un main experte dans les lacets d'une route de montagne.
Sûr de lui et dominateur, c'était ainsi que je l'aimais. Il me parla également des petits plats qu'il avait concoctés, révélant un autre aspect de sa personnalité auquel je ne m'attendais pas du tout.
Mais ce petit côté artiste n'était pas pour me déplaire non plus, même s'il jurait un peu avec le personnage très viril à qui je pensais avoir affaire.
Toujours était-il qu'en discutant nous nous découvrîmes des atomes crochus, une origine commune. La conversation avait franchement dévié de nos relations de domination-soumission, mais cela me détendit extraordinairement et j'en conçus une autre forme d'estime pour lui.
C'était un homme aux multiples facettes, pratiquant les sports extrêmes, mais qui ne rechignait jamais à rendre service, assez bonhomme au fond. Mais sorti de notre contexte particulier, il ne m'en parut à mes yeux que grandi, et je me livrai un peu à mon tour.
Je lui racontai un peu de mon histoire, la façon dont j'avais été éduquée selon un modèle très strict, soumise à un haut degré d'exigence dans une famille où la réussite sociale était primordiale, mais ayant échoué là où ma soeur avait brillamment réussi.
En lui exposant tout cela, je me rendis compte que j'en avais développé une sorte de complexe qui avait affecté mon estime de moi. Était-ce cette profonde humiliation qui me poussait vers le BDSM ?
Désirais-je inconsciemment exorciser cette blessure ? Comme s'il lisait dans mes pensées, mon maître évoqua le rôle de catharsis que pouvait remplir un rapport de domination-soumission bien mené.
Au fond, il était bienveillant, j'en étais maintenant persuadée... Allongée sur mon lit, je rêvais de me donner à lui, quelle saveur pourrait bien avoir une relation " vanille" avec lui ? L'intéresserais-je autrement qu'en soumise ?
C'est alors qu'une nouvelle sonnerie retentit, me tirant de mes douces élucubrations.
Il réitérait son ordre, et cette fois, tout refus serait sanctionné d'une rupture définitive.
Violemment bousculée, je lâchais le mobile, qui rebondit au sol dans un grand éclat sonore.
J'étais maintenant au pied du mur, sommée de faire un choix entre deux alternatives qui me semblaient presque également inacceptables. Presque...
Allais-je le perdre, ou me perdrais-je moi-même ? Voilà les seules options qui s'offraient à moi...
Faisant un effort surhumain, je tentais de me calmer, il était certain que je n'arriverais à rien dans cet état.
Bousculée, secouée, je n'avais pas les idées claires, et malgré mon tempérament tout de premier mouvement, je savais que la précipitation était mauvaise conseillère.
Laissant le téléphone au sol, je m'enroulais dans mes couvertures et me résolus à dormir, repoussant le choix au lendemain.
Naïve que j'étais ! Comment trouver le sommeil dans ces conditions ? Je me tournais et me retournais dans mon lit, me refusant à jeter un œil au réveil, réveil qui marquait l'inexorable avancée du temps alors que je m'enfonçais dans l'insomnie.
Dur il était, dur il resterait donc !
Mais c'était inflexible que je l'aimais, je le réalisais.
En réalité, je n'avais pas le choix.
J'abdiquai. Saisissant le portable, je lui signifiai que je m'inclinais. Je le ferais, aussi répugnant que cela paraisse, je le ferai pour lui.
Quelle aurait été la signification de ma soumission, si je me complaisais dans la facilité, si je ne lui offrais que l'évidence ?
C'était aussi une bataille contre moi-même qui se jouait là, il me fallait me débarrasser des derniers débris de mon orgueil, et je les sacrifierais sur son autel.
J'avalai ma salive péniblement, et descendit à la douche. Promptement, je me dévêtis. Il fallait faire vite, comme on arracherait un pansement usé, et je m'exécutai, prenant une photo pour preuve de mon obéissance, photo que je lui envoyai sans délai.
Je l'avais fait en retenant ma respiration, en fermant les yeux, pour ne pas sentir le filet s'écouler entre mes cuisses, et je rinçai immédiatement pour effacer la souillure.
Une fois séchée, je soufflai. L'épreuve était passée, je l'avais surmontée et n'en étais pas morte.
Pourtant, c'en était fini de moi. Je n'étais plus rien, plus rien que sa soumise. Par cet acte, je m'en étais complètement remise entre ses mains, finalement je n'avais plus à me soucier du reste.
Un semblant de soulagement détendit mon corps alors que je m'ensevelissais sous les draps. Afin de m'endormir, je tentais de faire le vide dans ma tête, d'oublier cette scène qui venait de se dérouler là. Mes membres me semblaient fourbus d'avoir couru trop longtemps, et les oreilles bourdonnaient, meublant le silence environnant. Un silence que je n'avais pas envie d'entendre de toute façon, le silence de la solitude.
Cette fois, le sommeil arriva vite, me plongeant dans une torpeur bienvenue, bien que sans rêve. Comme si j'avais fourni un colossal effort, je dormis bien longtemps. Sans m'en rendre compte, j'avais dépassé mes limites, et mon corps me le faisait payer, réclamant un repos réparateur que ma conscience ne pouvait lui donner.
Le soleil finit par me réveiller alors qu'il était bien haut à son zénith, j'en tressautai en le réalisant, puis me tranquillisai en me souvenant que nous étions samedi et que je n'avais pas à me rendre au travail.
Puis, ce qui s'était passé la veille me revint en mémoire, un flot d'émotions contraires me submergea. Mille questions m'agitèrent : avais-je agi trop vite ? Avais-je pris la bonne décision ? Pourrais-je encore me regarder dans le miroir ? Cet acte à la fois si insignifiant et si avilissant, qu'entraînerait-il pour moi ? Et pour lui ?
Je me jetai sur mon téléphone pour avoir la réponse :
" Tu as passé le test. Désormais je te prends au sérieux. Tu es prête pour notre rencontre".
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