2. Quand tout bascule
Anna ferme les yeux et tout d’un coup, elle entend des cris à l’avant de la cabine. Julio et elle sautent de leurs sièges et courent en direction de l’avant de l’avion. Très vite, ils se retrouvent face à face avec des passagers qui eux, se dirigent en panique vers le fond de l’appareil. Ils croisent Martin, un steward complètement paniqué : « Faîtes demi-tour vite ! Il y a un fou avec une lame qui vient de tuer deux passagers et une hôtesse ! Il a pris Lou en otage pour rentrer dans le cockpit ! ».
Camille est affolée et essaye d’appeler les pilotes depuis l’interphone. Aucune réponse. Anna et Julio aidés des autres PNC[1] ont rassemblé les passagers à l’arrière, une chance que l’avion n’était pas plein. Ils essayent tant bien que mal de rassurer le petit Mathéo qui pleure et réclame sa maman.
« On va tous mourir », « C’est un attentat », « On va s’écraser dans une tour comme le 11 septembre ». C’est la panique dans la cabine. Alors Camille prend son courage à deux mains et s’empare du Public Address[2]. Elle respire un bon coup et tente de masquer les tremblements de sa voix :
« Votre attention s’il vous plaît. Je suis comme vous, je ne comprends pas ce qu’il se passe. Mais essayez de garder votre calme, pour l’instant l’avion a conservé sa direction et son niveau de vol. Je vais essayer d’aller voir ce qu’il se passe à l’avant de la cabine. En attendant, veuillez attacher votre ceinture et relever vos dossiers de sièges ainsi que vos tablettes. Respirez calmement et prenez soin de votre voisin. S’il y a des passagers blessés, veuillez interpeler l’une des hôtesses ou l’un des stewards. Ça va aller ! ».
Un homme s’avance vers elle et lui propose de l’accompagner. Cet homme c’est Adrien, il part faire un road trip en solo de 3 semaines autour du Québec. Ils franchissent le rideau de la classe économique et découvrent une scène d’horreur. Deux passagers sont au sol, la gorge tranchée, décédés. L’un d'eux, c’est Léon. Il n’a même pas eu le temps de voir ce qui lui arrivait. Il n’a pas eu le temps de penser qu’il ne reverra jamais les siens et que sa vie s’arrêtait là, quelque part entre la France et le Québec. Camille prend son visage entre ses mains et lui ferme les yeux. Elle s’interdit de penser à cette famille qui doit sûrement attendre avec hâte le retour de leur fils. Pour l’instant la priorité est de savoir ce qu’il se passe dans le cockpit.
Alors qu’ils progressent vers l’avant, ils entendent un râle. C’est Olivier, le passager en fauteuil roulant. Il n’a pas été touché, mais il est terrorisé et ne peut pas se déplacer. Camille et Adrien l’aident et le portent vers l’arrière où il est vite pris en charge par quelques passagers qui s’activent à aider les PNC.
Elle retourne vers l’avant, toujours accompagnée par Adrien. Juste devant la porte du cockpit, elle marque un brusque arrêt. Là se trouve Lou. Allongée au sol, ses yeux bleus grands ouverts, elle a juste servi à aider les malfrats à entrer dans le cockpit avant qu’ils ne se débarrassent d’elle. Camille ne peut plus faire semblant et éclate en sanglots. Elles ne se connaissaient que depuis quelques heures, mais elles avaient très vite accroché. Elle savait que Lou venait tout juste d’avoir un bébé et ne peut s’empêcher de penser à cette petite fille qui devra grandir sans sa maman. Elle revoit le visage de la petite Lucie sur le fond d’écran du téléphone de Lou. Elle lui avait montré la photo de sa fille avec une telle fierté et tellement d’amour. Camille voit la terreur sur le visage désormais figé à jamais de sa jeune collègue de 28 ans. Incapable de bouger, Adrien la prend par les épaules pour la relever. Elle reprend conscience de la situation et tape de toutes ses forces contre la porte du cockpit. « Antoine répondez-moi !!! ». Mais rien. Elle tape de plus en plus fort, hurle aussi fort qu’elle le peut mais toujours aucune réponse de l’autre côté.
Avec la sécurité renforcée des avions d’aujourd’hui, elle n’a aucun moyen d’ouvrir la porte du côté cabine. Seuls les pilotes peuvent la déverrouiller. Elle essaye d’appeler à l’interphone, mais personne ne lui répond. Elle ne sait plus quoi faire.
Tout à coup, l’avion penche violemment vers la droite. Adrien et elle perdent l’équilibre et s’effondrent par terre. Le virage semble durer une éternité puis l’avion se stabilise. Elle peine à se relever, mais elle n’est pas blessée. Elle pense aux passagers au fond de l’avion.
« On doit retourner là-bas, il faut essayer d’appeler quelqu’un, n’importe qui ! ».
« Attends... Je ne me sens pas très bien... ». Adrien a le visage ensanglanté... Camille n’a aucun doute, il s’est cogné en tombant. Une chute sur la tête peut engendrer des conséquences graves, elle le sait, elle l’a appris dans ses cours de secourisme.
« Non c’est bon, ça va mieux ». Il se relève, fait un grand sourire et tend la main à Camille. « On y va ? ». Camille est perplexe. Ses connaissances en secourisme lui disent de le faire rasseoir sur le champ, mais son instinct lui intime l’ordre de l’emmener au plus loin du cockpit. Alors elle attrape sa main et l’emmène vers le fond de la cabine retrouver les autres passagers.
Julio les attendait. En voyant Adrien couvert de sang sur la tête, il sort la trousse de secours et lui intime l’ordre de s’asseoir.
Anna s’avance vers Camille le regard affolé. « Alors ? ». Camille s’effondre de nouveau, elle lui raconte la découverte du corps de Lou, le cockpit qui n’a pas répondu malgré ses appels, le virage où Adrien s’est blessé. D’un coup elle repense à ce virage. A-t-il eu des conséquences sur les passagers ? Anna la rassure rapidement : quelques chutes mais rien de grave, personne n’est blessé.
« Tu as vu Olivia ? ». Camille fait des yeux ronds. Olivia, 36 ans grande blonde aux yeux verts, est hôtesse de l’air depuis 6 ans après une courte carrière dans l’éducation nationale. Divorcée depuis peu, elle se démène pour élever ses deux jumeaux de 8 ans et sa petite dernière de 4 ans. D’une patience exemplaire avec les passagers, c’est toujours elle qu’on appelle lorsqu’il y a un différend entre passagers.
« Non pourquoi ? »
« C’est la seule PNC qu’il manque... J’ai fait le tour 3 fois, elle n’est pas là. Elle est forcément devant... ».
C’est à ce moment que Martin intervient. « Anna... Lors de l’attaque... Enfin, quand tout a commencé... Olivia était en train de parler avec une passagère... Elle était au milieu du couloir. Elle... Elle n’a pas eu le temps de comprendre ce qu’il lui arrivait... L’homme s’est planté devant elle et il l’a poignardée avec son espèce de lame... C’est là qu’un deuxième homme s’est levé et a tué deux passagers. Mais Olivia... Elle s’est effondrée sur le sol... Je ne sais pas je n’ai pas vérifié, mais elle ne s’est pas relevée... Je suis désolé Anna... Je suis désolé... ».
Anna s’élance en courant vers la classe économique. Si jamais il y a la moindre chance qu’elle soit encore en vie, il faut qu’elle la sauve. Olivia a été sa formatrice il y a quelques mois. C’est par elle qu’elle a appris ce métier. Il y a tellement d’hôtesses et stewards que c’est rare de voler plusieurs fois avec la même personne, alors ce matin, quand elle a vu Olivia, elle était si heureuse de la retrouver pour la première fois depuis sa formation et de pouvoir lui raconter ses débuts. Elle lui avait confié ses doutes sur sa fatigue et Olivia l’avait rassurée.
Elle enjambe les bagages tombés des coffres pendant le virage de l’avion et retrouve rapidement son amie. La jeune femme est inconsciente, mais elle respire encore. Anna la prend dans ses bras, et les larmes aux yeux et la voix chevrotante, lui hurle de se réveiller. C’est alors qu’elle ouvre les yeux. Elle essaye de parler, mais sa voix se perd. Anna comprend tout de suite que son amie ne va pas survivre à ses blessures. Elle a reçu plus de 5 coups de lame dans l’abdomen et elle a perdu beaucoup trop de sang.
Alors elle la prend dans ses bras, lui parle doucement de leurs souvenirs en commun, de ses enfants, des plus beaux paysages, au-dessus des nuages et ailleurs. Elle lui caresse la joue et lui tient la main sans jamais cesser de parler.
C’est Julio quelques minutes plus tard qui vient vers elle, la prend dans ses bras pendant que Martin ferme les yeux d’Olivia. Elle voudrait hurler mais rien ne sort de sa bouche. Les larmes et les sanglots l’empêchent presque de respirer. Julio essaye comme il peut de la calmer mais il est bien impuissant face à ça. Finalement, avec l’aide de Martin, il réussit à l’emmener derrière, laissant le corps sans vie d’Olivia derrière eux.
[1] PNC : Personnel Navigant Commercial (Ce sont les hôtesses de l’air et stewards)
[2] Public Address : Interphone qui sert à s’adresser aux passagers.
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