12. Anna
Quelques minutes plus tôt.
Anna observe la scène qui se déroule sous ses yeux. Julio, à son chevet qui lui parle avec passion de son tout premier vol en tant que steward. Depuis son arrêt cardiaque au pied de l’avion, elle a l’impression d’être sortie de son propre corps et de voler au-dessus de lui. Elle a tout vu. Elle a entendu Docteur Mamour dire à Julio qu’elle ne survivrait peut-être pas. Elle voudrait revenir mais pas maintenant... Ici, tout est calme. Tout est apaisant, relaxant. Comme si toute la violence passée était envolée, toutes les douleurs effacées, les souvenirs, oubliés. La lumière et la chaleur qui l’entoure lui procurent une sensation de quiétude, de sérénité. Elle ne veut pas quitter ça...
Néanmoins elle perçoit Julio. Il est inconsolable depuis qu’elle a quitté son corps. Elle n’arrive pas à croire qu’il ne l’ai pas quittée une seule seconde alors qu’il y a quelques heures, ils ne savaient rien l’un de l’autre. Est-ce que l’amour peut arriver si vite ? Débouler sans prévenir dans une vie ? Être si fort sans qu’elle ne puisse l’expliquer ? Elle a l’impression de le connaître depuis toujours... Elle ne veut pas que cette histoire ne s’arrête... Ils ont tellement de choses à découvrir ensemble. Elle a envie de donner une chance à leur amour d’exister. Elle ferme les yeux et se sent partir.
Anna sent la main chaude et rassurante de Julio qui englobe la sienne. Elle profite quelques secondes de ce dernier moment en dehors du temps. Les paroles du jeune homme parviennent à ses oreilles... Qu’est-ce qu’il lui raconte ? Il parle d’abeilles ? Vraiment ? Anna a envie de rire. Elle ne peut s’empêcher de bouger les doigts. Elle sent Julio qui se raidit. Il stoppe son monologue. Elle a l’impression qu’il ne respire plus. Ah non hein, c’est pas le moment de flancher ! Elle imagine sa tête... Alors pour lui éviter une syncope inutile, elle rassemble ses forces, et quitte son lointain cocon. Elle ouvre les yeux.
D’abord, elle ne perçoit pas grand-chose. Tout autour d’elle est flou. Comme si elle avait ingurgité des litres d’alcool telle une ivrogne. Puis, petit à petit, les formes s’affinent, les couleurs deviennent plus intenses, les détails plus précis. Elle finit par croiser le regard intense de Julio. Elle ne peut s’empêcher de tenter d’esquisser un sourire.
Mais soudainement, elle a l’impression d’étouffer. L’intubation qui lui permettait de rester en vie quelques minutes plus tôt l’empêche de respirer. Elle suffoque. Julio hurle. Docteur Mamour accourt. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il délivre Anna de cette abominable machine qui lui fait du mal.
Elle retrouve son souffle et prend une grande inspiration. Elle sent sa cage thoracique se soulever, l’air entrer dans ses poumons, les battements de son cœur. La vie revenue en elle.
Mais rapidement, une douleur intense au niveau de la tête l’irradie. Elle a l’impression que son crâne va exploser. Elle voudrait hurler tellement elle a mal.
« Anna je sais que tu peux parler... Je t’en supplie dis-moi quelque chose... ». Les paroles de Julio parviennent difficilement jusqu’à ses oreilles. Elle tente de prendre sur elle pour ne par l’inquiéter mais la douleur efface son sourire et sa petite fossette au coin de la bouche. Elle entend le ‘bip-bip’ du monitoring qui s’emballe. Le Docteur Mamour, qui s’était retiré pour laisser Anna et Julio se retrouver, déboule en courant.
« Anna ! Dîtes-moi ce qui ne va pas ! ».
« Ma tête... ». Ce sont les seuls mots qu’elle arrive à prononcer. Si elle en dit plus, elle va hurler.
Tout s’enchaîne. Docteur Mamour l’envoie en urgence repasser une IRM. Avant de lui administrer une dose de morphine pour calmer ses douleurs, il veut être sûr qu’il n’a rien loupé, que toute l’hémorragie cérébrale a été absorbée... Que ce sont juste des douleurs normales d’une suite d’une si lourde opération.
Pendant qu’Anna est envoyée faire des examens, Julio se retrouve seul – encore. Ça ne finira jamais... Elle ne va jamais avoir un tout petit moment de répit... ?! Bon déjà, il est rassuré : elle peut encore parler. Et en français... Pas en allemand ! Il se surprend à rire tout seul imaginant sa belle parler allemand. Cette langue n’irait tellement pas avec son visage.
Alors qu’il est perdu dans ses pensées, un homme accourt dans la chambre où il attend le retour d’Anna. C’est un ado, de grandes bouclettes brunes qui l’aveuglent à moitié, des beaux yeux verts en amande, quelques tâches de rousseurs... Le portrait craché d’Anna !
« Excusez-moi, je cherche ma sœur... Anna Delcourt... On m’a dit qu’elle était ici ! ».
« Salut, je suis Julio. Le... Enfin... Un collègue d’Anna... Hum... Elle est parti passer une IRM... Mais elle s’est réveillée ! ».
Le jeune homme pousse un soupir de soulagement, prend une chaise et s’assoit à côté de Julio. Il le regarde sans savoir vraiment quoi dire.
« Ta sœur m’a parlé de toi dans l’avion... ».
« Ah... Elle a dit quoi ? »
« Que tu étais l’amour de sa vie... ! ». Un sourire se dessine sur le visage de l’adolescent dévoilant la même fossette que sa sœur. Ses yeux s’embrument. Il se présente à Julio. César, 16 ans, il était en soirée avec ses amis quand la compagnie aérienne l’a appelé pour le prévenir de l’accident mais que sa sœur était vivante, à l’hôpital. Les deux hommes font tranquillement connaissance quand deux infirmiers ramènent Anna.
Son visage s’illumine quand elle aperçoit son petit frère. César se jette sur elle et la serre dans ses bras. Anna éclate de rire en grimaçant. « Doucement tu m’écrases microbe ! ».
Julio ne peut s’empêcher de sourire devant la beauté de la scène qui se déroule devant lui. Les retrouvailles d’un frère et d’une sœur. Les larmes lui montent aux yeux. Alors que César quitte les bras de sa sœur en lui faisant un léger baiser sur le front, Anna attrape la main de Julio et dit en souriant. « César, je te présente Julio... Il m’a sauvé la vie... Aussi bien avant qu’après le crash... De tellement de manières... ». Leurs regards ne se détachent plus. César rigole et se moque gentiment de sa sœur « Bon ben je vais vous laisser hein... ! ».
Alors qu’Anna et César s’envoient des petites piques devant le regard amusé de Julio, le Docteur Mamour entre dans la chambre. Son brushing est toujours aussi impeccable. Ce mec n’est pas humain se dit Julio. Il tient le dossier d’Anna au creux de ses bras et affiche un sourire en coin.
« Bon, nous avons reçu vos résultats. Et j’ai une excellente nouvelle... Tout va bien !! Vos douleurs à la tête étaient bien dues à l’opération et devraient disparaître petit à petit. Vous avez reçu une injection de morphine tout à l’heure, n’hésitez pas à nous appeler si la douleur revient et qu’elle est trop forte. Hum... Sinon... Ah oui ! Étant donné les antidouleurs injectés, vous ne sentez rien mais vous vous êtes cassé trois côtes dans l’accident ainsi que le fémur. Donc prudence dans les câlins... ! ». Il prononce son ultime phrase avec un petit sourire moqueur accompagné d’un clin d’œil à Julio et César. Ce dernier éclate de rire. Un brin de légèreté flotte dans la petite chambre. César et Julio resteront aux côtés de la belle Anna à rire et se moquer les uns des autres jusqu’à ce que des médecins les obligent à quitter l’hôpital pour qu’ils aillent se reposer.
Alors que Julio se lève résigné, Anna lui attrape la main. « Viens-là ! ». Ses yeux espiègles le regardent avec intensité. Il avance son visage vers le sien pour l’embrasser sur le front.
Et alors que leurs visages se rapprochent, Anna se dresse légèrement et avec sa douceur légendaire, elle lui dépose un tendre baiser sur les lèvres.
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