Ophélia Necrosis
Les nénuphars tremblent devant le corps qui passe entre eux. Flottant de voiles et pleine de sommeil, Ophélie. Ses jupons s'étiolent en étoiles, comme une grande méduse fluviale. Son visage est parfait. Peau d'albâtre et lèvres de sang. Adorables yeux clos, les paupières comme deux papillons endormis. Corps blanc et superbe de courbes dans la transparence de sa robe. Nulle vivante ne peut t'égaler.
Et pourtant, de là où je me tiens, sous l'eau, je n'oublie pas. Je fixe ton corps dans ma mémoire avant qu’il ne s'affaisse. Déjà sous ta peau chérie grouillent de petites larves. Des punaises d'eau fouillent l'or de tes cheveux. Tes poumons sont emplis d'eau saumâtre à la faune vorace et les scarabées explorent tes narines. Ta chair s'agite d'une vie nouvelle. Sur ta joue soudain, un petit trou se forme. Sous la pression interne d'un jeune ver, ce flasque épiderme se déchire ; au visage de la beauté se répandent les enfants des charognes. Ma Chère Ophélie, tes mains gonflent déjà de leur immersion. Et tes ongles délicats se perdent dans leurs plis boursouflés. Sous tes paupières paisibles fourmille une noire descendance, dévorant tes précieuses prunelles. Ta poitrine tendre et sucrée ne sera tétée que par les poissons et les nymphes. En ton ventre grandit une portée effarante, vies simples et sans heurt de ce que tu nommais autrefois vermine. Et ta fleur de femme, berceau chéri de ton amant sert de repaire aux serpents et de repas aux insectes. Belle Ophélie, du fond de l'eau où je glisse, je te regarde encore un instant. Puis tu disparais, beau déchet, mais déchet néanmoins.
Annotations
Versions