Chapitre 2
Une fois le panier rempli de sandwiches salés au hareng et de petites tartelettes à la myrtille confectionnées la veille, Judith entendit la sonnerie retentir. Elle ne se posa pas la question concernant la personne qui venait la voir.
Comme de coutume en début de soirée, cette dernière faisait toujours un crochet dans sa demeure afin de savoir si tout se passait bien. "Vous pouvez entrer Tante Nora, fit-elle en fermant délicatement le panier de victuailles.
La porte s'ouvrit sur une longue silhouette élancée recouverte d'un manteau blanc en hermine des glaces, un animal hivernal mignon comme tout mais très féroce et nuisible pour les fermiers. Contrairement aux renards des rivières friands de poissons, les hermines adorait les poules.
"Bien le bonsoir, ma petite Judith, la salua alors Nora en fermant doucement la porte, ah, il fait bon dans ta chaumière, poursuivit-elle en laissant échapper un sourire de bien-être, l'hiver a beau être doux cette année, il fait quand même froid."
Un petit sourire se dessina sur les fines lèvres rosées de Judith en entendant Tante Nora se plaindre avec bonhommie pendant qu'elle se tourna vers le porte-manteau près de l'entrée.
Eleonora Townsend, Nora pour les proches, avait tendance à se décrire comme une "dame qui veillissait avec grâce"’, ce qui signifiait qu'elle ne faisait pas cas des rides qui s'étiraient un peu au moindre sourire, ni celles qui plissaient un peu près de ses yeux d'un doré fauve.
Sa flamboyante chevelure, aux allures de crinière de lion des volcans, avait été domptée par des tresses descendant jusqu'à sa fine taille et malgré son très grand âge, Tante Nora gardait encore cette allure altière et imposante. "Bonsoir Tante Nora, fit Judith en prenant la pellerine ocre que lui tendit son amie, nous pouvons rester un peu ici, si vous le souhaitez.
- Ça ira, la rassura Tante Nora, tu sais très bien la raison de mes venues même si en aucun cas je juge ça comme une corvée, précisa-t-elle en regardant Judith enfiler sa pellerine, tout va bien, sinon?
- La canne a encore plein de mana, lui répondit Judith en finissant de boutonner sa veste, et celui-ci arrive à se diffuser donc pas de souci." Elle savait cependant que, malheureusement, le mana n'arriverait toujours que sporadiquement sur sa jambe impactée mais au moins, elle pouvait quand même se déplacer. Tante Nora ne dit mot et se contenta de hocher la tête avec compassion.
La petite Judith avait accepté ce coup du sort tôt dans l'enfance. Toujours avec un sourire réconfortant pour sa famille même si elle avait l'air de pleurer à l'intérieur. Toujours à essayer tant bien que mal d'ignorer les quolibets de ses stupides confrères lorsqu'elle marchait dans les rues de la ville haute de Théosia la canne à la main.
Eleonora avait donc promis à la mère de la jeune femme qu'elle veillerait à ce qu'il ne lui arrive rien. Sa pauvre soeur Demetria croulait sous les responsabilités depuis le décès de leur père. "Je compte aller voir Demetria au labo, déclara d'ailleurs Judith en la mentionnant, la connaissant, je doute qu'elle ait mangé grand chose, ces derniers temps. Je lui ai donc préparé de quoi se restaurer un peu."
Eleonora prit le panier et attendit que Judith enfile ses bottines épaisses d'hiver pour ouvrir la porte. La neige tomba à peine dehors. "Ta soeur et toi faites toujours preuve de sérieux bien que votre abnégation m'inquiète des fois, pour l'une comme pour l'autre, ajouta-t-elle avec un soupir, mais j'aurais aimé que mon fils prenne exemple sur vous deux."
Judith eut un petit rire à la mention de l'enfant de Tante Nora.
Auguste Townsend ne jouissait pas d'une bonne réputation en ville.
Si la famille de Tante Nora était connue pour leurs esprits libres et avant-gardistes dont l'innovation contribuait à la prospérité de Theosia et ses alentours, le dernier né Auguste ne faisait que monter par son allure désinvolte et hédoniste au possible que ses mauvais cotés.
Seules sa mère et Demetria le poussaient à se tenir au pas et encore.
Judith se leva une fois ses chaussures mises et prit le bras de Tante Nora, son autre main tenant fermement sa canne, une fois la porte fermée. Un sceau magique faisait office de clé que seuls Phillip ou elle pouvaient rompre le temps qu'ils restent chez eux. Ce mécanisme servait de verrou pour toutes les habitations de la ville haute afin d'éviter les vols.
Il existait quelques foyers qui en possédaient dans la ville basse mais le don de magie des propriétaires y contribuaient beaucoup. Les autres maisons se fermaient avec des serrures et des clés traditionnelles.
Judith et Eleonora partirent donc au lieu de travail de Demetria, visible de loin de part sa tour albatre dont les reflets irisés furent davantage réhaussés par la magnifique aurore boréale sous le ciel étoilé.
L'observatoire lunaire, crée par ses ancêtres depuis des générations.
Le bastion de la famille Livingstone.
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