Chapitre 22: Le Caire
Lorsque Abdel sortit de la maison de correction, il était méconnaissable. Le manipulation de Rami avait fonctionné à merveille. Le jeune homme colérique et impulsif avait laissé place à quelqu’un de plus calme et de plus apaisé. Abdel avait embrassé la foi, ses journées étaient désormais rythmées par les cinq prières quotidiennes et les visites à la mosquée. Moktar et Fatima, soulagés dans un premier temps de le voir rentrer, pensèrent que peut-être, cette expérience l’avait changé pour le mieux. Mais très vite, ils réalisèrent que quelque chose ne tournait pas rond.
Ses discours étaient rigides, il pouvait déblatérer des heures sur la souffrances des Palestiniens et des Ouïghours. Quand ses parents essayaient de le tempérer, Il explosait et les insultait. Eux, qui ne pratiquaient pas l’Islam authentique de Mahomet, qui avaient vendu leur intégrité à la nation belge qui ne voulait pas d’eux. Qui s’humiliaient jour après jour à nettoyer leur merde et construire leur bagnoles sans pouvoir se les payer. Le couple était choqué, ce n'était pas l'Islam qu'ils connaissaient, celui de leur enfance, fait de paix et d’humilité, et de respect pour les aînés. Non, les paroles de leur fils résonnaient comme des échos du passé, comme la voix d’un fantôme, celui de Mourad. Cinq ans après, ce même vomi verbal, cette rhétorique toxique des extrémistes religieux, qui parlait de pureté, de justice divine et de punition dégoulinait de la bouche de leur petit Abdel. Moktar et Fatima se retrouvèrent plongés dans leurs pires souvenirs. Avec Mourad, ils avaient tenté de le raisonner, de lui inculquer la discipline, de lui montrer de l’empathie. Ils l'avaient même fait parler avec un Imam local, espérant qu’il le ramènerait à un Islam de modération. Mais Mourad avait balayé toutes ces tentatives, qualifiant l’Imam de révisionniste et d’apostat, fermant son esprit à toute autre interprétation que celle des extrémistes.
Cette fois, avec Abdel, ils savaient que la même approche ne fonctionnerait pas. Ils prirent une décision difficile, une décision de la dernière chance. Pour l’éloigner des recruteurs et de son réseau de mauvaise influence qui l’avaient dévoré, ils décidèrent de l’envoyer au Caire, à l'université Al-Azhar, l'un des bastions de l'Islam modéré. Là-bas, il pourrait apprendre le "vrai" Islam, celui qui prône la paix, la tolérance, et la connaissance.
Dans leur esprit, c’était leur dernier espoir. À Al-Azhar, il vivrait au cœur d'une société musulmane, moderne et séculaire. Il y côtoierait des jeunes musulmans et musulmanes, des étudiants passionnés par l’apprentissage, des gens qui vivaient leur foi dans une société libre, loin des ombres oppressantes du Califat fasciste et violent. Moktar et Fatima espéraient que cette immersion lui offrirait une nouvelle perspective, une façon de reconnecter avec une version de l'Islam plus saine, et peut-être, de sauver leur fils avant qu’il ne soit trop tard
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Abdel était plein de bonne volonté à son arrivée au Caire. Il espérait trouver un refuge, un endroit où il pourrait enfin vivre sa foi sans compromis. Il croyait que l'université Al-Azhar lui offrirait cet environnement pur, dévoué à l’Islam. Mais rapidement, la réalité le rattrapa.
Au début, Abdel se conformait aux attentes. Il suivait ses cours, fréquentait la mosquée, essayait de s’intégrer. Mais partout où il allait, il voyait une société qui, selon lui, n’avait plus rien de sacré. Les Égyptiens semblaient aspirer à la même consommation et à la même décadence que les Occidentaux. Les rues étaient pleines de jeunes insouciants, les femmes portaient des vêtements modernes, et la vie quotidienne était bien éloignée de la vision d’une société islamique qu’il avait rêvée. Il était déçu. Même ici, sur une terre islamique, il se sentait étranger.
Cette frustration le poussa à chercher ailleurs. Il commença par explorer les mosquées des quartiers plus isolés, à la recherche d’un Islam plus dur. Dans ces cercles, il trouva des étudiants comme lui, mais aussi des prêcheurs qui critiquaient ouvertement le gouvernement égyptien. Ils parlaient de la soumission du pays aux intérêts occidentaux, de la corruption qui rongeait la société. Ils dénonçaient la laïcité, les compromis faits au nom du commerce et de la diplomatie.
Il ne fallut pas longtemps pour qu’il retrouve des contacts plus radicaux.On y parlait ouvertement de l’oppression des musulmans dans le monde, des guerres menées contre eux, et de la nécessité de répondre par la force. Les prècheurs donnaient la vision d’un monde musulman unifié et prospère. Une puissance mondiale qui s’étendrait de l’Est de la Chine jusqu’à l’Ouest du Sahara. Une puissance qui imposerait sa volonté et ses termes, les musulmans du monde ne serait plus des untermenschen mais les décideurs. C'était exactement ce qu’Abdel cherchait, sans même en être conscient.
Ce fut là, au milieu de ces discours enflammés, qu’il comprit que son destin n’était pas à Al-Azhar, mais sur le front. L'éducation islamique, à ses yeux, ne suffisait plus. Le vrai Islam, celui qui méritait d’être défendu, ne se trouvait pas dans les livres, mais sur les champs de bataille. Abdel, au cœur de l'Egypte, avait finalement trouvé sa voie.
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