Chap. 1.D - Des réveils difficiles - P1

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 Je repris connaissance brutalement. Pendant un court instant, je me sentis flotter paisiblement dans le vide. Je ne voyais que l’obscurité. Mais lorsque vint la première inspiration, une grande quantité de liquide envahit mes poumons, me faisant éprouver une brulure à la gorge et au thorax. Paniqué, Je me débattis frénétiquement, et cherchais du regard une issue invisible. Je finis par apercevoir un infime scintillement lointain, et commença à nager dans sa direction. Malgré le manque d’oxygène, quelque chose me tenait étrangement conscient et bien en vie. La lueur s’élargit à mon approche, et j’atteignis finalement la surface.

 Je m’agrippai impulsivement à la première chose à porter de main, une grande dalle de pierre, et me hissai vivement hors de l’eau. Je vomis alors tout le contenu malencontreusement inhalé. Enfin la douleur s’estompait. Je m’écroulai sur le dos, toussant encore à moitié, et laissai mon regard se perdre dans un ciel étoilé. Passé l’instant de flottement, je pris sur moi pour réfléchir, cherchant à comprendre la situation. Cependant, ma tête resta vide. Vide de toute idée. Vide de tout souvenir.

 Lentement, je me redressai. Assis sur la roche taillée, le bras posé sur le genou, je réfléchis, encore et encore, mais n’eus pas la moindre trace d’une quelconque réminiscence. Plus je réalisais le trou noir que constituait mon existence, plus je voyais les tremblements de ma main se changer en d’incontrôlables spasmes. Enervé, serrant les dents, je l’attrapais avec l’autre pour essayer de me calmer. Je touchais cette main rugueuse, squameuse. Cette sensation me surpris. Pourquoi le touché de mon propre corps ne me paraissait pas familier ?

 Mes mains, tout comme le reste de ma peau, étaient recouvertes de larges écailles imbriquées les unes dans les autres. Elles me donnaient l’impression de porter des gants de fer articulés finissant par de petites griffes pointues et courbées. Néanmoins, le plus étrange se trouvait dans le fin cuir qui m’habillait, qui m’enserrait le torse, qui tombait sur mes cuisses comme un drap, et dans lequel j’avais des sensations de toucher. Je me mis à plat-ventre au bord de la pierre. Je cherchai à avoir le reflet de mon visage, mais l’obscurité nocturne ne me montrait qu’une eau d’encre noire. Je frappai la surface, frustré. Cependant, je compris vite que rester sur place sans passé ne m’apporterait aucun futur.

 Je regardai autour de moi, debout à présent. Je ne devais pas me trouver ici sans raison. J’étais sur un simple pont, un chemin de dalles successives surplombant de peu un grand lac immobile. Rejoint par l’une de ses extrémités, une forêt dense et haute m’entourait et s’étendait à perte de vue. Quant à l’autre bout, au milieu du plan d’eau, un étrange bâtiment pyramidale s’élevait jusqu’au ciel. La nuit profonde rendait sinistres et affreuses les gravures du mur d’enceinte ainsi que les statues qui surplombaient ce dernier. Cet édifice rongé par le temps et la verdure grimpante n’avait de toute évidence pas vu la vie depuis un long moment. Je ne trouverai personne là-bas.

 Je m’avançai difficilement vers les arbres. Je me doutais que je n’étais pas au meilleur de ma forme, mais je ne pensais pas que quelques pas m’épuiseraient à ce point. Je m’appuyai contre la haute arche qui délimitait la fin du pont, inspirai un grand coup, puis continuai.

 La forêt n’avait aucune entrée visible. Des troncs en pagailles ainsi qu’une dense végétation se dressaient devant moi. Je faillis perdre courage. Incertain, je m’avançai malgré tout droit devant moi. Un pas après l’autre, j’écrasais les feuilles, brisais les brindilles, et, malheureusement, m’écorchais un peu partout. Ma progression était lente, hasardeuse, toutefois je m’assurais au moins d’aller en ligne droite grâce à la tranchée que je laissais derrière moi.

 – Re… joi… gnez…

 Je sursautai.

 – Qui-Qui est là ? criai-je d’une voix tremblante aux ténèbres environnantes.

 Finalement, quand bien même un peu d’aide ne me serais pas de refus, entendre cette voix grave, sinistre et caverneuse là où je me trouvais n’avait rien de rassurant. Apeuré, je regardai dans toutes les directions, tournant à m’en donner le tournis. Je répétai ma question, mais seul l’écho de ma voix me répondit. Soudainement, une douleur me perça la tête, comme un marteau frappant à l’intérieur de mon crâne. Je l’entendis alors encore :

 – Rejoignez… ensemble…

 Devenais-je fou, ou l’étais-je déjà ? Cette voix ne venait pas de l’extérieur. Cette voix, je l’entendais en moi.

 Je repris ma route, accélérant le pas. Ma migraine fulgurante était partie aussi soudainement qu’elle était apparue, et je préférai ne pas repenser à cette étrange voix. Après un certain temps, j’aperçu enfin une éclaircie devant moi. L’idée de me sortir de cette envahissante et pénible flore esquissa sur mon visage un sourire, qui disparut instantanément lorsque j’en franchis la lisière.

 Un lac noir. Une arche et un pont de pierre. Un temple pyramidal. Tout était absolument identique.

 La stupeur passé, je jetai un coup d’œil derrière moi. J’étais certain de ne pas avoir rebroussé mon chemin, les griffures sur mes jambes me le rappelant bien. Avais-je bifurqué dans mon délire ? Je pris le temps de faire le tour complet du bassin, mais ne vis pas d’autre percée dans les plantes. La seule réponse logique qui me vint à l’esprit fut que je me trouvais au milieu d’un ensemble de vieux sanctuaires. La ressemblance était tout de même troublante.

 Calmé légèrement, Je me choisis une nouvelle orientation, et m’engouffra, décidé, une nouvelle fois dans la forêt. Je n’étais malencontreusement pas au bout de mes surprises, quand arriva une nouvelle clairière.

 Un lac. Un pont. Un temple.

 Je courus dans un nouveau sens, puis un autre, et encore un autre, jusqu’à ce que mes jambes cessèrent de me porter. A bout de souffle, couvert de mon propre sang, je m’effondrai au pied de la voute surplombant le ponton. Je fis une pause à contrecœur, tandis que mes forces me revenaient lentement. Une fois relevé, je frappai du poing contre la pierre voisine.

 – Je suis là ! hurlai-je à plein poumon. Qu’est-ce que tu veux ?

 Seul le silence me répondit. Sans d’autre possibilité, je traversai le lac. Un frisson me parcourut l’échine en passant l’épais mur d’enceinte sous le regard inquiétant des gargouilles. Mon imagination aidait probablement le travail de l’obscurité. L’immense cour qui s’étendait au pied du monument n’avait pas mieux perduré que le reste. J’avançai donc sur des dalles bancales et branlantes, certaines ruisselantes d’eau croupie, d’autres se fissurant un peu plus sous mon poids.

 Un escalier s’étendait à présent devant moi, large et abrupte. Depuis son pied, l’édifice donnait l’impression de pouvoir rejoindre les étoiles, et marcher jusque là-haut était une randonnée à elle-seule. Dépité face à l’ampleur de la tâche à venir, je fis un pas hésitant sur la première marche. Elle se brisa ; je m’étalai au sol. Je venais de gagner un nouveau mal de tête, bien physique celui-ci.

 – Si c’est comme ça jusqu’au bout… maugréai-je entre deux jurons.

 Cependant, si l’idée de tourner les talons m’avait traversé l’esprit, un scintillement lointain attira mon attention. Un éclat brillant d’une couleur bleutée virevoltait dans les hauteurs du temple. Finalement, peut-être y avait-il quelqu’un dans ces ruines. Un sursaut d’énergie me remit sur pied, et j’attaquai l’escalade dans la foulée. Mon arrière train ne me remercia pas de m’être emballé, puisque je fini une fois de plus assis sur le sol.

 Je montais donc avec prudence et lenteur. Je m’accrochais à la moindre vigne qui me passait sous la main, et testais chaque pierre avant de m’appuyer dessus. A mi-chemin, je fus ravi d’arriver sur un palier. On aurait dit que l’on avait posé une seconde tour pyramidale sur une base bien trop grande pour elle. Ne voyant plus de marches à ma taille, je décidai d’en faire le tour pour voir les autres faces. Je trouvai mon bonheur sur le côté opposé. Toutefois, ce ne fut pas la seule chose qui s’y trouvait : un énorme trou circulaire, proprement découpé en oblique, de plus de deux fois ma taille, servait d’entrée descendante vers la base du temple. Je passai la tête au coin de cette porte, intimidé par la profonde noirceur qui résidait derrière.

 – Hé… Oh… dis-je doucement.

 Seul l’écho de ma voix me répondit. Heureusement, ou malheureusement, je n’arrivai pas à savoir ce qui aurait été le pire, préférant ne pas trop penser à la carrure de quiconque aurait besoin d’une telle ouverture.

 Un long moment et des jambes endolories plus tard, j’arrivais enfin à l’étage d’où provenait la source lumineuse. Il s’agissait de six simples coupoles, une à chaque coin, dans lesquelles dansaient des brasiers. Néanmoins, lorsque je m’en approchai, je remarquai une étrangeté : les coupes étaient totalement vides. Aucune buche ne servait à entretenir les flammes, celles-ci sortaient de nulle-part en forme de petite boule. Je touchai prudemment le support. A ma surprise, il était froid. Je m’essayai ensuite à passer la main dans le feu directement, et ne sentis qu’un courant d’air légèrement tiède.

 Je m’amusai un instant avec. Je saisis la petite sphère enflammée par le dessous et la retirai de son socle. Avoir une lumière me serait fortement pratique, si l’intégralité du temple supérieur est aussi obscure que sa base. Avant de reprendre mon exploration, je fis une dernière observation : Les flammes semblaient plus vives et plus lumineuses depuis que je les avais saisies, ma paume suintant de fines gouttelettes bleues qui leurs servaient de combustible.

 – Ça… n’a pas l’air de me faire de mal, me dis-je. Enfin, je crois.

 Un tour de bâtiment plus tard, je trouvais une nouvelle entrée imposante. En l’absence d’escalier pour continuer à monter par l’extérieur, je n’avais maintenant pas d’autre choix que d’aller dedans.

 Si ma lumière dansante fraichement acquise m’aidait à voir où je mettais les pieds, elle ne m’avançait pas tant pour comprendre vers où je me dirigeais, tant ce vieux temple me donna plus l’impression d’être un labyrinthe. Je montais souvent ; je descendais parfois ; je tournais sans cesse. Par chance, les plantes et l’eau qui s’étaient infiltrées partout avaient érodé la pierre et fait s’écrouler certains murs, me permettant d’y voir un peu plus clairs dans cet entrelacs d’étroits couloirs.

 Je passais par de grandes pièces à vivre et de petites chambres, ou du moins les restes de celles-ci, et fut frappé par leur grand nombre. Ce sanctuaire avait dû être une ville complète à lui seul. J’étais même persuadé d’avoir trouvé les cuisines, ce qui me fit penser que malgré toutes mes escapades, je ne ressentais ni faim ni soif. Quelle étrange envie que d’envier cela.

 Un énième corridor plus tard, je me stoppai soudainement. J’avais été surpris par le touché de mon pied nu sur le sol. Les dalles devant moi n’étaient pas différentes de toutes les autres derrières, pourtant, quelque chose changeait. Elles étaient sèches, elles étaient propres, elles étaient lisses. Elles étaient parfaites. Quelqu’un vivait-il encore dans ce dernier étage ? Je redoublai de prudence dans mon exploration, à l’affut du moindre son. Et il y en eu un.

 En entrant dans l’ultime salle, tout au sommet, le bruit d’une feuille, d’une page que l’on tourne, se fit entendre. La pièce était, comme toutes les autres, plongée dans le noir. Elle était si vaste que ma lumière n’atteignait pas les murs adjacents. Avait-on fuit en me voyant arriver ?

 – Il y a quelqu’un ? demandai-je hasardeusement.

 Mais rien n’y fit, je n’avais toujours que le silence comme seule compagnie. Je préférai alors longer l’un des murs, voulant d’abord mesurer la taille de la salle avant de chercher à en savoir d’avantage. Je gardai néanmoins les yeux rivés vers l’obscurité centrale, et ce fut là mon erreur. Je tapai la cheville contre un objet reposant au sol, et me vautrai à plat ventre dans un fracas métallique. Cherchant évidemment à amortir ma chute, j’avais mis les deux mains devant moi, écrasant jusqu’à extinction la boule de feu.

 Les ténèbres m’envahirent. J’étais perdu de nouveau.

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