Chap 1.S - Des réveils difficiles - P1
Il reprit connaissance faiblement. Il se sentait faisant face à une tempête. L’air agressif lui giflait le visage, cahotait tous ses membres et le faisait tournoyer sur lui-même comme une simple feuille. Il ouvrit les yeux assez longtemps pour comprendre qu’il chutait depuis une altitude incommensurable, mais céda devant les nausées qui le gagnaient et replongea dans le noir. Il attendit sa fin, incapable d’une réflexion correcte, le cœur battant à vive allure. Il patienta un moment, mais trouva le temps long.
Puisque sa rencontre avec le sol se faisait désirer, il puisa dans ses maigres forces pour étendre du mieux qu’il put tous ses bras et ses jambes. Son geste fut bénéfique. Il se stabilisa ; mieux encore, il avait changé les coups brutaux du vent en délicieuses caresses.
Il observa la terre ralentir son approche, bien plus qu’il ne l’aurait cru. Une résistance lui tirait sur le dos. En regardant par-dessus son épaule, il comprit que c’était ses petites ailes arrondies qui le faisait planer. Finalement, son heure ne fut pas venue.
Il fut cependant l’heure d’apprendre promptement à atterrir. Bien qu’il agitât ses bras dans tous les sens, il ne sut pas opérer ses membranes dorsales suffisamment. Il traversa donc un peu trop rapidement feuilles et branchages, et heurta la surface péniblement.
Sonné mais conscient ; écorché mais entier. Il apprécia le calme de l’immobilité et la douceur de l’herbe sur son corps allongé. Quand il se sentit assez reposé, il se releva tant bien que mal. Il se trouvait au milieu d’une forêt belle et verdoyante. Pourtant, un frisson lui parcourut l’échine lorsqu’il réalisa qu’absolument aucun mouvement ne se faisait connaitre. Les arbres pouvaient être réels comme illusoires, aucune vie ne s’en dégageait. Il préféra se sortir de là avant toute chose.
Par bonheur, il s’était écrasé non loin de la lisière, qu’il rejoignit en sautillant. Il faisait des petits bonds planés, que ses ailes encore engourdies aidaient.
Son dernier saut lui valut de manquer de peu un plongeon direct dans un lac sombre. Il atterrit de justesse sur le rivage, gigotant dans tous les sens pour recouvrer son équilibre. Luttant contre son inertie, il finit à l’oblique, sauvé par réflexe en plantant le dard de sa queue dans le sol.
Il faisait face à une étrange créature. Son visage long aurait été complètement plat si cela n’avait été pour la petite bosse en son centre, fendue par deux fins naseaux. Au-dessous, une bouche sans lèvres laissait entrevoir une succession de petits crocs. Au-dessus, deux yeux ovales reflétaient un bleu azuré dans chacune de leurs dizaines de facettes. Sa tête était cernée de touffes de poils sans direction logique, et de la crête qui lui servait de cheveux sortaient deux longues antennes arquées.
En revanche, et à l’exception de ses deux paires d’ailes en forme de demi cœur chacune, le reste de son être n’avait rien d’un papillon. Dénué de toute fourrure, son corps fin était composé de successions de plaques noires en guise de carapace. De fines jointures liaient celui-ci à six courts bras brun et deux longues jambes, tous terminés par deux crochets articulés en guise de doigts. Enfin, son tronc se terminait en une queue aussi longue que lui, une succession d’anneaux clos par la pointe acérée d’un scorpion.
Il se tira lentement de sa position, perdu dans ses pensées. Il égara son regard dans le bleu profond du ciel nocturne, tandis qu’il cherchait à se souvenir comment il était venu dans ce lieu. Puis il réalisa l’évidence : il n’eut pas la moindre souvenance, ni d’un passé lointain, ni de l’immédiat de sa situation.
Il voulut en voir davantage sur son environnement, sa vision étant bloquée par une montagne géante. Il grimpa à l’un des massifs arbres, sautant d’une branche à l’autre. Une fois au niveau de la cime, il bondit dans les airs à plusieurs reprises, espérant trouver un quelconque signe de vie. Malheureusement, la forêt s’étendait à l’infini, partout où il jetait son regard. Pas la moindre clairière, pas la moindre habitation, pas le moindre relief.
Seul ce qu’il avait pris pour une grosse montagne s’élevait hors du lac et de cette monotonie. Une grosse structure lisse, proprement taillée en trois pyramides empilées, et cerné d’un trop haut mur pour qu’il puisse planer jusqu’à elle.
Il prit donc sa patience en main, et longea la bordure de l’eau. Il trouva un large pont fixe, précédé d’une grande arche. Les gravures, plutôt harmonieuses, présentes sur toutes les pierres de ces deux monuments ressemblaient à de grandes fresques pouvant conter histoires ou légendes. Il était fasciné par sa découverte. Evidemment, sans connaissance de base, il ne put qu’interpréter vaguement les images.
La porte rocheuse était assez simple. Elle représentait une dualité entre deux paysages, comme le passage d’un monde vers un autre. Le pont, en revanche, demeura mystérieux. Il n’y avait pas de référence à un au-delà, comme il s’y était attendu, mais plutôt des représentations d’un peuple humain et de leur roi, vénérant un dieu à l’apparence de dragon à quatre bras.
Sa soif de connaissance avait pris le dessus. Il passa un petit moment à aller et venir, le nez rivé au sol, cherchant lien et indice. Chaque fois qu’il pensait tenir une explication logique, un détail ne s’emboitait pas. Néanmoins, il restait concentré.
– Re… joi… gnez…
Il perdit le fils de ses pensées.
– Plait-il ? s’exclama-t-il en relevant la tête.
Un autochtone se présentait-il à lui ? Une telle introduction était étrange, et surtout, personne ne sembla être visible. Avait-il halluciné ? Avec le silence pesant qui l’entourait, il était fermement persuadé d’avoir entendu quelque chose. Nonobstant cet évènement, il voulut reprendre ses analyses, quand une soudaine douleur lui traversa le crane.
– Rejoignez… Ensemble…
Ce n’était pas correct. Il n’avait pas entendu cette voix au travers de ses oreilles. Etait-il contacté psychiquement ? Le ton inquisiteur et hargneux de son interlocuteur ainsi qu’avoir un invité soudain dans sa propre tête ne lui inspira pas une grande confiance. Cependant, cela ressemblait bien à une incitation à entrer dans ce bâtiment.
La douleur s’évapora ; ses pensées lui revinrent. Il hésita. Allait-il reprendre ses analyses sans finalité réelle, ou devrait-il répondre à ce commandement ?
Après avoir pris le temps de bien peser le pour et le contre, il avançait dans l’enceinte du temple. Cet endroit était abusivement vaste et vide, que ce soit un monument sépulcral ou religieux. Ce n’est qu’en arrivant au pied de l’escalier principal qu’il eut sa révélation. Ce n’était pas le décor qui est excentriquement grand, c’était lui qui faisait une petite taille. Les marches faisaient la moitié de sa taille.
Il grimpa donc une cabriole après l’autre. Le bon côté avec cet entrainement intensif était que ses ailes lui revenaient peu à peu fonctionnelles. Il trouva une entrée vers la base au premier palier, mais voyant l’escalier redescendre autant que celui qu’il venait de monter, il préféra persister dans son ascension. Du moins, c’est ce qu’il se dit, enfouissant la pensée du mauvais pressentiment qu’il avait eu en observant ce gouffre .
Il arriva sur un nouveau plateau. Il manqua de peu de retomber lorsque, dépassant la hauteur des coupoles, la lumière des flammes l’éblouit et un réflexe lui fit avoir un mouvement de recul. Il plissa les yeux du mieux qu’il put jusqu’à s’adapter.
– Quelle intensité ! Quel être aurait besoin d’y voir si clair ?
Il joua un instant avec ces grosses lucioles flamboyantes, cherchant à comprendre le stratagème par lequel les flammes brulaient sans combustible. Il n’eut malheureusement pas le choix que de laisser le mystère irrésolu, le notant dans un coin de son esprit pour plus tard avant de continuer son chemin. Bien évidemment, il dut attendre face au sombre et unique accès qui se présentait à lui. Il tourna un instant sur lui-même, impatient.
Comme tout le reste, l’intérieur était en ruine. Il escalada plus de tas de gravât qu’il ne voulut en compter, passa au travers de portes qu’il pensait à sa taille quand, en réalité, il ne s’agissait que de gros trous dans les murs, et explora les lieux. Brièvement, car il fut interrompu par une nouvelle trouvaille.
Il observa avec un grand intérêt une haute bibliothèque, certes délabrée, mais contenant des livres trop proprement organisés aux vues du reste du bâtiment, et ayant des dos colorés et chatoyants. Il grimpa sur les étagères, tira comme il put ces ouvrages à peine plus petits que lui, et en fit tomber quelques-uns afin de les feuilleter facilement.
Sa déception fut grande quand il réalisa que toutes les pages étaient vierges, peu importe le nombre qu’il en tournait. Alors qu’il allait reprendre son chemin, il remarqua un bureau un minimum équipé. Une plume décrépite plongeait dans une bouteille d’encre séchée, et l’ensemble surmontait un livre étrangement petit pour aller avec. En effet, ce livre semblait avoir été fait pour lui. Peut-être était-ce même le sien ? Il sauta sur rebord et fut plaisamment surpris d’y voir de l’écriture. Une cacographie pour sûr, mais enfin un point d’intérêt. Il remonta son récit qui, curieusement, ne commençait pas en première page, et lut.
Il suivit l’histoire d’un être à écaille émergeant de l’eau pour se retrouver piégé dans un lieu curieusement similaire à celui où le scorpion se trouvait. Sa lecture fut brève, car, bien vite, une seconde écriture se superposa à la première. De petites lettres venaient se mêler aux autres, rendant le récit illisible. Il essaya malgré tout de continuer à lire, décryptant lettre après lettre. Plus il se concentrait, plus il réussissait à isoler les deux œuvres, et crut résoudre son problème avec le temps. Malheureusement, une troisième vint ajouter de la difficulté. Une écriture maladroite, usant d’un langage plutôt rustre. Mais il persista.
Il passa plus de temps qu’il ne l’aurait pensé, ou voulu. Néanmoins, ce temps fut loin d’être perdu. Il en avait autant découvert sur son environnement que sur lui-même, par ce qui était noté et par son obstination. D’un mouvement circulaire de ses mains, placées au-dessus de ce journal, il projetait les inscriptions devant ses yeux et pouvait ainsi jouer avec les formes de l’encre. Mieux encore, les écritures étant significativement différentes, il arrivait à isoler chacune d’elles en trois projections, et lisait plus agréablement chaque histoire.
Il voulut avant tout reprendre l’histoire du premier personnage, mais certains mots de la seconde ne cessaient d’attirer son regard. Il était question d’une chute et d’un petit être perdu au milieu d’une forêt. Alors il lut cette histoire. Son histoire.
Il ne comprenait pas ce qui le liait à ce livre. Il l’avait décortiqué, retourné, secoué, analysé. Rien n’indiquait la moindre connexion, ni un nom, ni une marque magique. Pourtant, tout y était, des actions qu’il avait fait jusqu’aux mots propres à lui. Et l’encre continuait d’apparaitre, quoiqu’il se passât. Il se prit au jeu un instant et attendit de voir ses actions présentes apparaitre, bien qu’il y eût un léger délai.
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