Chap 1.O - Des réveils difficiles - P1
Je me réveillai difficilement. J’avais la gueule en biais pire qu’un lendemain de cuite ou d’une nuit passée à boire de l’alcool de mana distillé. Le reste de mon corps n’était pas non plus sur sa faim. J’étais courbaturé de partout, tous mes muscles me tiraillaient, et ma fourrure était sale et rigide. Pour couronner le tout, je crevais de plus en plus de chaud.
– L’une de vous pourrait laisser la porte ouverte en sortant, lançai-je en l’air.
La seule réponse que j’obtins, cependant, fut le craquement d’une flamme sur un bois humide, trop proche de mes oreilles pour être ignoré. J’ouvris les yeux, et observai un instant le ciel de la nuit avant que ma tête embrumée fasse le lien. Je n’étais pas dans une chambre, mais en plein air. Je me redressai un peu trop rapidement pour mon état, et faillis rendre le contenu de mon estomac. A la place, je toussai une gerbe de sang et jurai contre mon torse douloureux.
La lumière du feu dansant tout autour de moi se reflétait sur les arbres. Cela me donnait le tournis et l’envie de frapper sur quelque chose. Je compris finalement l’urgence de ma situation. J’étais posé sur un tas de charbon ardant, mes poils long étaient noir de suie s’ils n’étaient pas complètement roussis et ma peau était cuite par endroit.
Je me relevai en grognant entre mes crocs, et bataillai pour avancer sur la pile de débris de bois calciné. Mes grosses pattes maladroites et mon corps de lourdaud n’aidaient pas non plus.
Je fis face ensuite au mur de flammes qui rongeait les bois. Je devais traverser, mais ne voyait aucune percée, et la chaleur me tapait sur les nerfs. Je frappai sur un tronc creux voisin, juste pour finir avec le bras bloqué au travers, m’énervant toujours plus. Un coup d’épaule me libéra, heureusement, et fit s’écraser l’arbre au travers du mur enflammé dans un nuage de poussière noire. Mon action réduisit à peine le feu, mais j’en profitai tout de même.
Je suivis le chemin charbonneux. Ma fourrure s’enflamma en plusieurs endroits au passage le plus intense, néanmoins, je me retrouvais de l’autre côté. Je regardai comme un crétin le feu installé sur mon bras. Je ressentais bien la chaleur, toutefois, la douleur n’était pas aussi horrible que je l’aurais cru. Plus étrange encore, mes poils ne se consumaient pas.
– C’est quoi le délire ?
J’éteignis tout à grandes tapes. Il n’y avait rien autour de moi à part une forêt plus sauvage qu’une tribu de l’Est, et le noir total de la nuit. Je n’y voyais pas plus loin qu’une poignée d’arbres devant moi. J’attrapai la grosse branche d’un arbre, la brisai en plantant mes longues griffes acérées dedans, et me servis du bois mort comme d’une torche avec l’étrange feu.
J’avançai à grand coup de griffe dans cette végétation irritante. Même ma fourrure, pourtant assez épaisse, n’arrêtait pas toutes les ronces et les stupides plantes à épines. Chaque éraflure me faisait grincer des crocs et pousser un juron. L’envie me démangeait de juste tout cramer.
Il était enfin temps que j’atteigne la lisière. Je me retrouvai devant une grande étendue d’eau morte, avec une étrange grosse baraque qui sortait en son centre. Je ne me souvenais pas avoir déjà vu une maison construite en pierre. En fait, je me souvenais même de rien.
– Je dois avoir la tronche encore plus frappée que je le pensais, maugréai-je en me penchant au-dessus de l’eau pour observer mon reflet. Ouais, t’es moche. J’ai vraiment forcé sur la boisson, cette fois. Où c’est que je me suis perdu ?
Mon double se contenta de me renvoyer mon regard vitreux et cerné avec ses deux globes aux pupilles noires. Je trouvais que mon petit museau dépourvu de poil faisait toujours aussi tâche à être blanc au milieu de tous mes poils noirs. Mais ce qui collait encore moins, et que les touffes qui sortaient de mes petites oreilles arrondies d’ours n’arrivaient pas à cacher, c’était les deux cornes lisses, bovines, qui me sortaient de la tête, faisaient demi-tour et se rejoignaient quasiment l’une l’autre. En plus, pour une raison bizarre, une flammèche ne cessait d’apparaitre entre les deux bouts à chaque fois que je l’éteignais. Peut-être un problème de frottement, je ne m’en souciais pas vraiment.
La fourrure de tout mon corps rondouillard était collée de partout et me démangeait par endroit. Je n’arrivais même pas à voir le grand demi-cercle brun qui devait se trouver sur mon torse. Un bon bain me ferait le plus grand bien.
Je plantai mon flambeau tortu dans le sol, et me jetai sans réfléchir d’un bond dans l’eau. Un bon rafraichissement. Je nageais probablement aussi bien qu’un poids mort, mais, au moins, je flottais. C’était plaisant de se laisser porter avec la tête vide, les yeux fermés. J’aurais pu rester là pour l’éternité. Malheureusement, Je ne suis jamais tranquille bien longtemps.
– Re… joi… gnez…
– Pas maintenant. J’me repose.
Ma réponse paresseuse ne sembla pas avoir convaincu mon interlocuteur. Après un trop court instant de silence, cette personne revint me prendre la tête, autant figurativement que physiquement. Je dus m’agripper au bord du lac pour ne pas couler comme une enclume, et avait très envie de me frapper la tête contre celui-ci. La douleur était à peine supportable. J’entendis une seconde fois la voix grave :
– Rejoignez… Ensemble…
– Ta gueule ! C’est quoi ton problème ? lâche-moi.
Les yeux plissés, je regardai à droite comme à gauche de la rive, il n’y avait personne. La douleur s’en alla tandis que je me sortis de l’eau, et fut remplacé par de la colère. Je m’égouttai à peine et repris la torche violemment.
– Tu trouves ça drôle ? criai-je en l’air. Je sais pas comment t’as fait, mais si je t’attrape…
Je continuai à rager contre le vent en suivant la bordure de l’eau. Je gardai les yeux rivés sur la lisière, à la recherche du plaisantin qui s’y cacherait. Rien ne bougea. J’atteignis ensuite un chemin de pierre, le seul passage qui menait à ce gros bâtiment.
– T’es là-bas ? attends que je te trouve, que mon poing rejoigne ta face.
Marcher sur la pierre froide était plutôt désagréable, ce qui n’aida pas mon humeur. Je ne résistai pas à lancer une raillerie en voyant les gravures et les sculptures de la cour. Quiconque vivait ici devait être plus moche que moi.
Evidemment, la place était vide. Pour quelqu’un qui m’avait tapé sur les nerfs avant même notre rencontre, il ne semblait pas pressé de me croiser. Je soupirai arrivé au pied d’un trop long escalier. Quel idiot pouvait vivre dans une habitation aussi peu pratique. Et autant en ruine. Je touchai à peine la première marche qu’elle s’effondra en miettes, me faisant perdre l’équilibre. Je finis la truffe écrasée contre le mur montant.
– Je suppose que tu trouves ça drôle ?! m’exclamai-je, une fois de plus en vain.
Je frappai la paroi, la creusant plus facilement que je ne l’aurais cru. Cela me donna une idée. Puisque les autres marches étaient dans le même sale état, c’était évident qu’aucune d’elles ne supporterait un gars fort comme moi. J’escaladerai donc à ma façon, à l’ancienne.
Je creusais la roche à coup de poings et de griffes, grimpant ridiculement mais effectivement à quatre pattes, la torche dans la bouche. J’arrivai avec peine et fracas jusqu’au premier étage. Essoufflé, je jetai un regard derrière moi et souris. J’aurai mis un peu de relief dans ces pierres toutes plates. J’hésitais à continuer à monter le nouveau mur qui me faisait face. Cependant, je ne vis pas d’autre escalier, je me dis qu’il y avait peut-être un moyen moins fatiguant ailleurs.
Quel espoir stupide. Je trouvai un nouvel escalier au dos du bâtiment. Je ronchonnai déjà en m’imaginant gravir ce mur, si haut que mes yeux apercevaient à peine le bout. Par bonheur, une entrée se trouvait à côté. Un bref coup d’œil me suffit à comprendre que la descente va être longue, quand bien même l’obscurité était si dense que mon feu la perçait à peine.
Je décidai donc, par un grand élan de courageuse fainéantise, de passer l’ouverture. Je descendis un moment, soupirai entre mes crocs, fulminai contre ces marches interminables, frappai sur les pierres, et descendis toujours plus.
Une éternité infinie plus tard, j’arrivai en bas. La grande pièce mal éclairée dans laquelle je me retrouvai n’avait rien de spécial. Quelques établis vides adossés aux six murs de la salle semblaient sur le point de s’effondrer, une petite marche formait une estrade centrale, craquelée et fissurée de partout, et en son centre s’élevait une drôle de vitre lumineuse mal décorée.
– T’as intérêt de te montrer, si t’es dans le coin ! grognai-je encore. Je suppose que non, ça aurait été trop simple.
Pourtant, une odeur familière me chatouilla les naseaux. L’odeur de marbre froid mêlée au sable chaud. L’odeur d’un oasis ancien florissant au milieu d’un désert hostile. L’odeur de chez moi.
J’avançai d’un pas convaincu vers le miroir vieillot, guidé les yeux fermés par la douce senteur nostalgique, et me fracassai malheureusement le crane contre le verre froid. Je finis avec la tête entre les mains, assis sur mon derrière et jurant tous les mots que je connaissais.
Je vis rouge. D’abord un gars m’avait fait douloureusement venir, sans que je sache comment ni pourquoi, dans cette grotte taillée, bizarre et vide, et maintenant il s’amusait avec mon amnésie en me faisait croire que je pourrais rentrer. Je me relevai et martelai de toutes mes forces contre le portail infranchissable. Mes griffes grinçaient contre la paroi et mes doigts craquaient un peu plus à chaque coup. Du sang apparut progressivement là où je tapais, coulant à la fois le long du verre et de mes bras, mais je continuai. Par toutes mes forces possibles, je passerai.
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