Mais qui es-tu ?

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Sera t-il là ?

Seule, dans mon appartement, le jour se levant, je me prépare.
Je sors et comme d'habitude je me dirige vers le Tram.

Le café prit chez moi n'ayant pas encore fait effet, je décide, bien que sache que cela ne servira à rien, de faire une halte afin d'en prendre un à emporter. Je ne sais quel est ce sortilège qui nous fait apprécier autant le café, son goût si particulier et qui nous oblige à en prendre plus que de raison.

Il devrait y avoir une option pour les rares personnes comme moi qui le préfère froid. Non pas spécialement par choix, plutôt par habitude. Je le déteste chaud et comme je préfère qu'il soit tiède mais attends toujours trop longtemps, eh bien je me retrouve avec du café froid.

Je poursuis ma route vers le Tram avec mon café pour le moment encore brulant dans la main.

Le verrai-je aujourd'hui ?

J'arrive à l'arrêt du T1, me place devant la porte de la rame habituelle et attends comme le reste de la foule, bondée à cette heure matinale.

Je le cherche des yeux de manière irréfléchie, tout en sachant qu'il n'est pas là, son arrêt n'étant pas celui-ci. Si tout se passait bien, il serait déjà dans le wagon.

Je tate mon café afin de voir s'il est à la bonne température. Toujours trop chaud. Je patiente encore un peu.

Le Tram arrive. Je baisse les yeux afin que ma maladresse légendaire ne me fasse pas rater la légère montée. Cela signifierait une chute magnifique : du café partout, probablement sur les gens autour et en face de moi, du café sur moi, mon portable sous le Tram, une cheville et/ou un genou et/ou un poignet blessé, un retard du départ du T1... etc. Je vous laisse imaginer la scène. Le pire serait qu'IL me verrait et ferait partie des potentielles victimes !
Me mettre en avant ainsi n'était absolument pas une option à aucun moment de ma vie.
En bref, baisser les yeux était une obligation.

Je me trouve une place contre une fenêtre tant bien que mal vu le monde présent et lève mon regard attiré inévitablement par celui qui hante mon esprit.

Mon radar, aimant à sa présence, est bien en place. Le café ? Non seulement l'habitude je pense.

Il est en face de moi. Les yeux plongés dans un livre, il est bien là.

Je soupire d'aise. Me voilà partie pour trente-cinq minutes de plaisir visuel et imaginaire.

Il n'a rien de spécial, mais c'est ainsi.

Je m'imagine mille et une paroles que je pourrais dire pour entamer une simple conversation. Aucune ne me satisfait.

Il continue de lire. Son activité préférée. La mienne s'il n'était pas là.
Cela nous faisait un point en commun.

Je prends moi-même mon livre, cette arme me permettant de garder ma retenue, afin de ne pas paraître trop intéressée. Ce serait malvenu, surtout quand je repense au fait que son regard n'a jamais croisé le mien !

Le rituel est le suivant :

Je l'observe une trentaine de seconde de manière directe. Lis quelques phrases de mon livre. Regarde son reflet dans la vitre en faisant mine de regarder le paysage. L'observe une trentaine de seconde de manière directe. Puis recommence...

Jusqu'à aujourd'hui, ce petit manège a fonctionné à merveille sans que je n'attire l'attention de manière inopportune.

Pendant les phases d'observations, je me plais à inventer une manière physique de l'aborder. Lui rentrer dedans ? Trébucher ? Simplement me poser à côté de lui et faire en sorte que les secousses du train fassent effleurer nos bras ? M'arranger pour sortir du Tram en même temps que lui et grâce à la foule être dans l'obligation de se serrer ?

Evidemment je ne ferai rien de tout cela. Je ne le faisais jamais.

Mon manque de confiance en moi était un réel frein au quotidien, mais il me permettait de vivre et de m'imaginer de jolies histoires avec de parfaits inconnus. La réalité, pensais-je, serait sans doute moins douce que mon imagination.

Comme il est charmant ! Je remarque que régulièrement, je ne suis pas la seule à l'observer. Pouvait-il en être autrement ?

Son stoïcisme me fascine.

Je rêve d'un jour pouvoir croiser son regard. Je le sais gris/vert pour en avoir vu la couleur par bribes. C'est un très beau regard. Assez fascinant et mystérieux je dois dire. Est-cela qui m'ensorcèle chez lui ? Je me sais sensible à cela. Mais est-ce vraiment cela ?

Et une question en particulier me brûle les lèvres.

Le Tram s'arrête. Les trente-cinq minutes sont passées. Trop vite comme toujours. Il range son livre. Je range le mien. Il lève les yeux sans me regarder, ni rien observer en particulier, perdu dans ses pensées, puis part.

Mais qui es-tu ?

Ma phrase est silencieuse. Toujours la même. Hurlante et brulante sur mes lèvres. Un jour ne le sera t-elle plus ?

Mon café est froid.

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