chapitre 17

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17

Vendredi matin, rues de Clermont

Comme tout détective privé qui se respecte, Marie partait à la pêche aux indices, aux informations pouvant l’aiguiller sur un début de piste. Elle faisait le tour des journalistes qu’elle côtoyait, des agents de police qui lui devaient des services ou qui, voulant coucher avec elle, lui rendaient des services. Elle faisait également le tour des bars, qui étaient de bons lieux pour glaner des renseignements. Avec le temps, Marie avait pris certaines habitudes que ses informateurs réguliers connaissaient. Jean-Luc Marstel, journaliste pour Centre France, savait qu’elle lui rendait généralement visite sur les coups de dix heures à la brasserie des Gaulois, non loin des bureaux de La Montagne. Il la renseignait sur diverses informations qui pourraient l’intéresser et, en échange, elle lui donnait la primeur des scoops pour ses prochains articles. Une information contre une autre.

— Pile à l’heure, Marie, quelle ponctualité ! Vendredi matin, dix heures à la brasserie ! s’exclama Jean-Luc en montrant le siège vide en face de lui.

— Toi aussi à ce que je vois, comme d’habitude !

— C’est que je travaille essentiellement ici, ma chère amie ! Le cadre y est agréable, la taulière charmante, et la bière délicieuse, un cadre idéal. Sur quoi travailles-tu ce matin ? Un salaud infidèle ? Un escroc évanoui avec la caisse ? Une femme voulant voir si l’herbe est plus verte dans le camp du voisin ? Ça arrive plus qu’on le croit ! lança Jean-Luc d’une voix grave et mélodieuse.

— Je ne sais pas encore de quoi il s’agit. Je sais juste qu’une épouse a disparu. Elle travaille au Scotchees bar, elle en est même la gérante. Mariée, deux enfants, vivant à Chamalières.

— Oh ! Très joli quartier ! Alors, je suis navré, mais je n’ai rien d’extravagant à te dévoiler. Le week-end a été relativement maussade ! Un accident de la route, mais du côté de Romagnat, un pauvre bougre a fini sur le toit à trois grammes de surcroît, multirécidiviste. Et ivresse sur la voie publique près de la fac de droit. Comme je te l’ai dit, rien de palpitant. Oh si, une femme est partie précipitamment sans payer un café la semaine dernière et semblait très agitée. Mais peu fiable comme info !

— Pourquoi ? Ça peut être important.

— Si à chaque fois qu’un patron de bar devait signaler un client qui a filé à l’anglaise de son établissement, le poste de police serait noyé de barmans. C’est comme chercher une aiguille dans une meule de...

— Merci ! coupa Marie sans le laisser finir.

— Et toi, qu’as-tu pour moi cette fois-ci ? s’enquit Jean-Luc intéressé.

— Demande à l’agent Bonnal, je lui ai passé le dossier. Un père a enlevé sa fille, ça s’est passé il y a deux semaines. L’affaire est toujours en cours. C’est un coup de la mère et de son nouveau compagnon. Elle voulait la garde exclusive, mais le juge a refusé, et elle a monté cette histoire d’enlèvement pour retirer la garde au père, qui malheureusement n’y était pour rien ! Mais le pauvre s’est fait avoir en beauté.

— Et c’est ton truc, ton don qui t’a aidé ?!

Marie commanda son café caramel et esquissa un sourire qui en disait long.

— Et je te répondrais comme d’habitude, aucun commentaire sur mes méthodes de travail, Jean-Luc ! Comment va ta femme ? Son cancer ?

Son interlocuteur se redressa sur sa chaise et afficha une sombre mine. Les bras croisés, Marie sentit, même sans la synesthésie, qu’il était mal à l’aise. Un fin nuage grisâtre flottait autour de lui, signe de stress et d’angoisse. Elle sentait également dans sa bouche comme un goût amer, presque âpre. Il était évident qu’il regrettait quelque chose et qu’il se sentait impuissant face à cette situation. Même s’il faisait tout pour ne pas le montrer, il en était dévasté.

— La dernière chimio n’a pas fonctionné et les effets secondaires sont de plus en plus violents. Selon l’avis du médecin, nous sommes sur la fin. Et Claire le prend bien, c’est moi qui ai l’air le plus affecté. Elle a accepté l’issue depuis longtemps, je crois. Alors, nous passons le reste de notre temps ensemble à profiter des petites choses de la vie tant que nous le pouvons.

Marie posa sa main sur celle de Jean-Luc en lui adressant un regard compatissant.

— Même si je n’ai pas ton truc pour déceler les sentiments ou je ne sais quoi, je vois que tu es sincère. Merci, Marie, de ton soutien, ça fait chaud au cœur. Si tu as besoin de plus d’infos, tu me téléphones et si j’en trouve sur une femme disparue ou un truc dans le genre, je te textote. Je vais aller voir ma femme !

— Tu as raison, ne perds pas une seconde, passe tout le temps que tu peux avec elle ! Prends soin de toi, mon ami ! rétorqua Marie, contrite.

Jean-Luc la salua et partit la tête basse, dans l’air frais du matin. Marie, quant à elle, savourait son café caramel en lisant différents articles de presse sur le net tout en ayant une pensée émue pour son ami journaliste.

Les minutes passaient, Marie se perdait sur le net en quête d’informations. Les articles les plus récents parlaient d’agressions, de vols, et de rixes dans des débits de boissons. Mais rien concernant le bar où travaillait Judith ou tout éventuel lien qu’elle pourrait faire avec elle.

Lundi 6 octobre : Un homme vient d’être interpellé pour violence conjugale.
Mercredi 8 octobre : Bagarre entre rugbymen au Clermon’s bar, deux blessés légers.
Jeudi 9 octobre : Conduite à contresens sur l’autoroute en état d’ivresse.
Samedi 11 octobre : Dégradation boutique, centre-ville.

Le dernier article retint l’attention de Marie. La boutique se trouvait dans la même rue où travaillait Judith. Étant voisine, la patronne pourrait lui parler de madame Lonval ainsi que de ses habitudes. Marie, afin de ne pas se perdre dans ses tâches, inscrivit diligemment tout ce qu’elle devait faire :

Aller voir collaboratrice de Judith, Pauline Garde.

Aller voir boutique vandalisée.

Interroger voisinage des Lonval et de la famille.

Voir café avec impayé (on ne sait jamais).

Le barman, amateur de jazz et de classique, voyant Marie plongée dans son travail, joua une musique de John Coltrane, "In a Sentimental Mood" pour la détendre. Depuis le temps qu’elle venait, ils avaient appris à se connaître. Il connaissait ses goûts et ses habitudes.

— Merci, Franck ! lança Marie en lui adressant un sourire amical.

Également amatrice de musique en tout genre, elle vouait un amour inconditionnel pour le classique et le jazz. Durant son enfance, elle passait de longues heures avec son père à écouter les vieux vinyles dans son bureau. Tandis qu’elle se plongeait dans son travail, son regard croisa celui de Christopher, un agent de police avec qui elle avait l’habitude de collaborer. Soudain, son regard s’illumina, elle afficha un large sourire, porte ouverte pour une brève entrevue. Christopher, en uniforme, entra et salua le barman avant de rejoindre Marie à sa table.

— Bonjour Marie, comment allez-vous ? Je pensais à vous justement.

— Quelle chance ! s’exclama Marie en posant délicatement son téléphone sur la table en montrant la chaise vide. Que faites-vous par ici ?

— Je suis en plein service, et je viens juste de vous croiser, alors je me suis dit pourquoi ne pas faire un coucou.

— Bonne initiative !

Au même moment, Marie reçut un message de sa fille lui indiquant le drame qui avait secoué le quartier de Chamalières. "Maman, j’ai besoin de toi ce soir, la matinée est chargée. Je viens d’apprendre qu’une de mes copines vient de se suicider chez elle." Au vu de l’expression soucieuse de Marie, Christopher s’interrogea tout en prenant place.

— Une mauvaise nouvelle ? Rien de grave, j’espère !

— Ma fille vient de me dire qu’une de ses copines de classe vient de se suicider. La pauvre, elle en est toute chamboulée.

— Je sais, oui, c’est affreux. J’étais sur le lieu du drame. Tout suicide est affreux et d’autant plus quand il s’agit d’un enfant. Je vais tenter de comprendre pourquoi.

— Si tu as besoin d’aide !

— Merci, Marie, mais ça va aller et tu dois avoir pas mal de boulot toi aussi, s’exclama Christopher en esquissant un sourire enjôleur.

— Tu ne crois pas si bien dire, j’ai pas mal de demandes en ce moment, je n’ai jamais de temps morts. Là, je viens de passer un dossier, et je démarre sur une soi-disant disparition. Le mari inquiet m’a appelée pour retrouver sa femme.

— Infidélité ? suggéra machinalement Christopher.

Marie, n’étant qu’aux prémices de l’affaire, ne se prononça pas. Elle ne voulait pas être trop prompte à juger, à se focaliser sur des hypothèses. Elle voulait garder un regard objectif et le plus large possible afin d’être la plus efficace.

— Je ne sais pas, je viens de prendre l’affaire ce matin même ! Je fais du repérage comme d’habitude. Je sais qu’elle vit à Chamalières et qu’elle gère le bar irlandais en centre-ville près de la cathédrale.

— Le Scotchees ? Je connais, j’y vais souvent avec les collègues, c’est très sympa. Tu as bien dit Chamalières ? s’enquit Christopher, étonné.

Marie capta aussitôt le changement d’émotion, qui au départ était d’un rouge pourpre, ce qui ne passa pas inaperçu, à un bleu pâle proche du gris clair. Elle sentait un certain doute chez lui, une préoccupation naissante.

— Oui, mon client habite là-bas, je pense m’y rendre dans la journée. La jeune fille qui s’est suicidée vivait dans le même quartier ! annonça-t-elle d’un ton péremptoire. Et sûrement elle devait être très proche des enfants de mon client !

Christopher était toujours admiratif de ses déductions et de sa capacité à analyser avec pertinence les situations. Même s’il pouvait se targuer quant à son efficacité et son professionnalisme, il était loin du niveau de Marie.

— Vous me surprendrez toujours, Marie ! Et je sais, vous ne pouvez pas parler de vos méthodes, mais cela étant, c’est prodigieux ! avoua Christopher admiratif.

— Oh, vous savez, c’est une aide, ça ne fait pas tout ! Je peux être convaincue d’une chose même si, malheureusement, les preuves révèlent tout autre chose. Mon don me permet de me donner une route à suivre, et je peux choisir de la laisser de côté. Je ne fais confiance avant toute chose qu’aux preuves, au réel ! expliqua Marie avec tendresse.

Christopher, avant de prendre congé, adressa un grand sourire à Marie qui le lui rendit.

— Alors je crois que nous sommes amenés à nous revoir rapidement ! suggéra Christopher, plutôt ravi.

Marie s’empourpra légèrement et acquiesça d’un hochement de tête. Sans perdre une seconde, elle nota dans son carnet ce que venait de lui dire Christopher.

Suicide dans le même quartier que la disparition. ÉTRANGE !

Une fois son café terminé, elle régla sa note et quitta l’établissement pour se rendre au Scotchees bar.

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