Match retour

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Dans mon état normal, aurais-je répondu favorablement aux quatre textos que Joseph m’a envoyés le soir même du pique-nique ? Tu es bien rentrée ? Pas trop fatiguée ? Tu ne joues pas si mal, pour une fille (smiley clin d’œil). Tu m’offriras une revanche ?

Je l’ai convié, samedi, à « un café ». 14 heures. Traduction implicite : sieste crapuleuse. Ben oui, ne jouez pas les effarouchés…

Je sers les cafés, le mien me reste un peu dans le gosier, un premier rendez-vous trimballe tout de même son lot de nervosité. C’est tout le sel du truc, d’ailleurs, le petit stress, non ? Café salé, bravo pour l'image, je grimace. C'est le moment qu'il choisit pour son offensive. Son initiative. Sa tentative :

— Est-ce que je peux t’embrasser ?

Oh, le tue-l’amour ! Bougre d’andouille, pourquoi tu crois que je me sticke contre ta jambe depuis une plombe alors qu’il y a plein de fauteuils ? Putain, ça me gonfle, leur histoire de consentement ! Ce n’est pas de sa faute, mais il prend pour les autres :

— Je t’attends au lit, ce sera peut-être plus clair ?

Il me laisse les cinq minutes réglementaires. Coutumier des plans cul, j’apprécie. Il se déshabille calmement, sans se cacher, vérifie que la marchandise me convient. J’apprécie. Il attend que je lui ouvre la couette, tout en affichant son impatience grandissante. J’apprécie.

Les filles, leçon une du néo-féminisme : simuler le non-orgasme pour garder le contrôle. Pas sûre qu’il ait remarqué le mien, je me suis bien retenue. Wouh, n’empêche… Il a décroché la timbale du premier coup ! Le courant sous le nombril irradie jusqu’au plus petit nerf périphérique. Missionnaire en plus. Mon vieux, zéro marge de progression ! Lui n'a pas terminé.

Je le regarde, il a les yeux mi-clos, le visage détendu, un demi-sourire. Sérieux, concentré. Ce gars-là a une distinction sexuelle naturelle… Un métronome. Un économe. Chaque geste maîtrisé, pas de fioritures inutiles. Jusqu’à l’enfilage du préservatif, pfuit, une formalité. Bordel ce qu’ils sont beaux, ses cils longs, le lobe de l’oreille fin, le cou délié, les épaules tendues, le torse doré, les tétons écartés. Son nombril, que j’aperçois entre deux ondulations niché dans un duvet noir. Une odeur d’homme, de coït, un léger effluve de parfum musqué.

Je surveille sa respiration, ses paupières, je guette ses bruits, mais je ne le sens pas venir avant qu’il éjacule. Il poursuit sur son beat, jusqu’au dernier frisson, et même après, de plus en plus lentement. Tout le monde sait l’effort de continuer après avoir joui. Il me lance un défi. Le premier qui se retire perd. Alors, je me calque sur son allure, ferme les yeux, comme portée par un bateau qui tangue. C’est une danse, un slow l’un dans l’autre. Puis il rebande, et mon sang se remet à pulser à l’intérieur. Cette fois, je ne parviens pas à me retenir, mes doigts agrippent ses cheveux, mon bassin part dans un délire autonome, mes jambes le plaquent, plus près, plus profond, plus vite.

Je crie. Je perds. J’ai perdu. Essaie de faire durer, mais retombe, vidée. Vexée. Comblée. Lui, je ne sais pas. Je m’en fous. Je me détourne en chien de fusil. Normalement, il vient contre mon dos ? Je l’entends se lever, ramasser ses vêtements, et puis la douche coule. Il sort de la salle de bains. J’entends la cafetière.

On est chez moi, et c’est lui qui donne le tempo ! Il va se barrer ? S’il croit que je vais lui courir après ! J’enfouis ma tête de mule sous l’oreiller. J’espère qu’il en a eu pour son déplacement !

Couchez avec un Africain. D’après ma copine martiniquaise, le black a un gène qui le pousse à s’accoupler avec plein de partenaires, comme certaines races d’animaux. Elle justifie ainsi les trois enfants de trois pères différents qu’elle élève seule. Ce n’est pas du racisme, c’est la nature, dit-elle. Plouf ! fait le caillou dans ta mare, cher lecteur que je n’oublie pas, qui s’émeut de mes ronds dans l’eau, et heureusement ? Comme quoi on ne s’indigne pas de tout avec n’importe qui. Un pauvre caillou, pas de quoi remuer la vase au plus profond des marais nauséabonds.

Énervée, je passe après lui sous le jet. Pas un poil de cul dans le receveur. Ma serviette : sèche. C’est superman ce gars-là ? Ou l’homme invisible ? Dans la cuisine, pareil, rien ne traîne. À croire que je l’ai inventé !

Ah, non : Un SMS !

J’ai du boulot. Tu me rappelles ce soir ?

Nan, mais je rêve ? Avant de baiser, SFR fournissait la vaseline, mais maintenant que le trou est fait, pourquoi s’emmerder à lubrifier ? C’est ça ouais, tu peux toujours te brosser, connard !

Trois jours après, je suis à l’atelier, auscultant une corvette avec Kévin pour voir si on change toute l’aile ou si on martèle pour débosseler, et je consulte distraitement le message qui vient de déclencher le signal de mon téléphone :

Besoin d’un entretien de tuyauterie ?

Joseph ! Totalement en dehors de son registre. Pourquoi ce message ? Il s’est trompé de destinataire ? La phrase me dit quelque chose. Convocation fort fort profonde de mes souvenirs pour raccrocher les wagons. Si, je l’ai, une blague lourde que j’ai faite quand nous étions tous bien désinhibés, à la fin du pique-nique de Cécile !

Je tends l’appareil au copain, on n’a pas de secret, ça va le faire marrer.

— Oh, oh, réagit-il, le Renoi ?

— Hum.

— C’est un bon coup ?

— Hum.

— Alors, on dit oui ?

— « On » ne dit rien du tout, tu permets, tu n’es pas invité.

— Dommage.

— Ssé sssa ouais.

Je relis le message. Au-delà de la petite pirouette émotionnelle au creux de ma poitrine, il m’agace, surtout. Pour qui il se prend ? Ne pas être impulsive. Ne pas l’envoyer chier. Se montrer plus intelligente que cela. Une réplique des plus terre à terre :

Je ne crois pas avoir demandé de plombier.

Le téléphone reste silencieux si longtemps que j’ai déjà commencé à faire un trait sur la réponse.

Excuse-moi si je t’ai choquée. Je ne sais pas comment j’ai pu être aussi maladroit. Oublie, s’il te plait. Sans rancune ?

Ah non, mais c’est trop facile, l’excuse : J’avais mal compris. Sous-entendu : Tu avais envoyé des signaux de merde. Me soûle, ce gugusse. Je muselle mon téléphone pour travailler tranquille, mais évidemment je vais y penser tout l’après-midi. Kévin enfonce le dernier clou :

— Je me disais bien que tu étais toute guillerette ces temps-ci.

— Tu me lâches ou je te fous à la peau de chamois pour le reste de la semaine.

— Oh, oh, sujet sensible. Il t’a siphonné le ciboulot avec le reste… Tu le mérites, ma chérie.

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