Tôt le matin
Il est très tôt le matin, dans les nappes de brume bleue. La voiture avance, glisse, se fraie un sillage parmi les pliures de l’air. Il fait si doux et l’existence est si réelle, si aisément préhensible. Il suffit de laisser sa main passer par la vitre ouverte et on sent l’écume des jours glisser entre les doigts. L’évidence de juillet est là, posée comme le papillon sur la poussière jaune du pollen. A l’intérieur du ventre, derrière le bouton de l’ombilic, c’est le déroulement léger d’une mousse, la tension d’une spirale attendant que tout se déplie dans le bonheur immédiat de vivre. Plus tard seront les échardes de chaleur, la sueur profuse, les yeux rougis par les premiers assauts de la fièvre estivale. Après Valencia, l’hispanité est là avec ses contrastes violents, le bleu intense des eaux, le si beau langage, chantant, modulé, comme l’empreinte des hommes sur la terre aride, exigeante, serrée dans sa gangue de poussière. Bientôt l’Hôtel Miramar à Denia avec son atrium de faux marbre, ses chambres blanchies à la chaux, ses antiques robinets fuyant continuellement, les traces de rouille sur la faïence. Etonnante Espagne où la façade le dispute au dénuement des arrière-cours, aux alignements hasardeux des briques gauchies, aux déchets qui jonchent le sol de leur géométrie étique. Sur les falaises, de l’autre côté de la baie, les moulins aux ailes déployées, les villas accrochées au calcaire, pareilles à des griffes de sorcières. Fenêtres ouvertes sur la nuit, avec le grondement continu de l’existence ibérique, le battement des tortillas dans des écuelles de fer, les notes claires des guitares sous le chant des étoiles. Le lendemain, la suite du voyage est une prouesse météorologique : jamais il n’aura fait aussi chaud sur l’ensemble de la péninsule. L’arrivée à Almeria, loin d’être une délivrance, est le point d’orgue d’un voyage épuisant. Le petit appartement loué au centre ville est une étuve. Le thermomètre géant de la pharmacie, en face, n’arrête pas de monter, comme si la colonne de mercure était soudain devenue folle.
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