Revendication
J'ai reçu un étrange message l'autre jour : "Rendez-vous le 2 avril, 21 heures à la gare désaffectée du Soleil, tu ne seras pas déçue". C'était signé "N". Intriguée et malgré le couvre-feu, je m'y suis rendue, c'est pas trop loin de chez moi.
En fait, j'arrive 15 minutes plus tôt. Je repère une sorte de balcon devant l'horloge dont les aiguilles sont bloquées depuis des années sur le 12. Ce belvédère surplombe la salle des pas perdus. Je m'installe où plutôt je me dissimule, avant de patienter...
À peine quelques instants passent, qu'un jeune homme à l'étrange chevelure tricolore pénètre sur les lieux, je le reconnais immédiatement, c'est Alexir, il est accompagné par Piotr, blond, longiligne l'air nonchalant, mais qui pose sur son meilleur ami un regard énamouré, voire légèrement concupiscent. Alors que je m'interroge sur leur présence, d'autres arrivent : Ovaïa, avec son épée ornée d'Onyx, fixée dans son dos, et aussi son bébé pelotonné contre elle. Alexir lui lance :
"T'avais besoin d'emmener ton mouflet ?"
Sur un ton autoritaire elle réplique :
"Je te signale que je le traîne comme un boulet durant presque toute l'aventure que cette chère Béatrice m'a concoctée, il a donc sa place ici !".
Cependant, je vois, un autre homme les rejoindre, c'est Xavier alias X212.
Piotr demande : "Où est donc Naël ?"
"Il garde les gosses, il m'a dit que je pouvais parler à sa place."
Je remarque qu'une barbe de trois jours orne son menton, il sort de la poche de sa veste un paquet de cigarettes. Je suis intriguée, je ne l'ai jamais imaginé si négligé, fumant des substances nocives qui plus est, je remarque les cernes qui entourent ses yeux, Ovaïa s'étonne :
"Tu as l'air au bout du rouleau !"
"Oui, ben essaie de gérer des jumeaux qui braillent toute la nuit et tu verras... Parfois je me dis que j'aurais préféré rester sous les ordres d'Auker !"
Je sursaute, mais que raconte-t-il, je l'ai délivré de son oppresseur. Cependant, il ajoute :
"Ah, Penny ne viendra pas et la licorne non plus, elles préfèrent se tenir à l'écart de nos décisions !"
"M'étonne pas de cette greluche !" raille Ovaïa. Je me demande de laquelle elle parle...
Le soleil se couche sur la gare, deux autres de mes personnages entrent dans la bâtisse et les rejoignent. Lothéo accompagné de Sombre, mon dernier-né.
Alexir déclare :
"Bon la réunion est ouverte, cette fois, nous sommes au complet."
Tous s'installent en tailleur sur le sol, en cercle, Je vois Sombre qui fixe Xavier de ses prunelles flamboyantes, il tend la main en demandant :
"Tu m'offres une clope ?"
Il sort son paquet et son briquet et les lance à mon vampire qui les attrape adroitement, extirpe un des petits cylindres et l'allume. Piotr demande soudain :
"On n'attend pas Napoléon ? "
Je fronce les sourcils, je songe à la signature sur le message : "N" Serait-il possible que cela soit ce cher matou ? J'entends Alexir répondre :
"Je n'ai pas de nouvelles, le connaissant il s'en fiche !"
Brusquement une boule de poils tigrés bondit au milieu d'eux, ils sursautent tandis que l'arrivant déclare :
"Miaou ! Comme tu te fourvoies, Lion de Naourk !"
Souplement sous le regard méfiant des autres, il prend sa place dans le cercle. C'est Lothéo qui traduit le mieux ce qu'ils pensent tous :
"Je n'ai pas confiance en ce chat !"
Napoléon qui a commencé une minutieuse toilette l'interrompt et rive son regard félin à celui si clair et glacial de Lothéo. Il semble sourire et se moquer, mais reprend sa toilette sans broncher.
La réunion débute enfin, Alexir prend la parole :
"Bien, nous devons définir les doléances à communiquer à Béatrice. Il faut vraiment qu'elle mette de l'ordre dans sa tête, qu'elle cesse de s'éparpiller, de créer des récits et des personnages à tout bout de champ, en résumé qu'elle termine ce qu'elle a commencé d'abord !"
"C'est pour moi que tu dis cela ?" intervient la voix suave de Sombre.
"Ou pour moi, peut-être ?" renchérit Lothéo.
Xavier en bâillant intervient :
"Pour ma part, en quoi cela me concerne-t-il, mon histoire est terminée ?"
"Oublierais-tu qu'elle envisage une réécriture, savoir ce qu'elle va te préparer !" réplique Piotr.
Xavier lève les yeux au ciel, tire sur sa cigarette et répond :
"Si elle fait en sorte de m'éviter des jumeaux, pourquoi pas ?" Il ajoute : "De toute façon, la connaissant, c'est pas demain la veille !"
Alexir saisit la balle au bond en déclarant :
"Justement, il est grand temps pour elle de s'organiser, car à la sortie, c'est nous tous qui en faisons les frais !"
Tous approuvent vivement. Je suis troublée et attristée, sont-ils si malheureux ? Ovaïa dit alors :
"Moi pour ma part, mon histoire aussi est terminée, justement je veux qu'elle m'oublie un peu. Car elle envisage une suite... une suite vous imaginez ? Je ne suis pas d'accord !"
Lothéo et Sombre se regardent, l'un et l'autre apparemment ne savent que penser. Je vois Piotr écrire avec fébrilité dans un cahier, apparemment, c'est lui qui est le scribe du groupe. Soudain il cesse de noircir les pages, car tous parlent en même temps, chacun défendant son opinion, son bout de gras, même l'impassible vampire et Lothéo s'y sont mis.
Brusquement je décide d'intervenir, je me redresse et lance :
"Silence !"
Tous se taisent et lèvent les yeux sur le balcon. Ils ont le même mouvement de recul. Je profite de leur consternation pour descendre au milieu d'eux. Je les regarde tour à tour, mes chères créations, toutes ont leur importance, toutes continuent à m'inspirer. Que leur dire pour les rassurer ? Une seule phrase me vient à l'esprit :
"Je vais essayer !"
Alexir fronce les sourcils, ses yeux d'ambre sont dubitatifs, il n'est pas convaincu. Il objecte :
"Seulement essayer ?"
"À quoi bon faire une promesse ferme et définitive, vous me connaissez, je fonctionne ainsi, si ce n'était pas le cas, aucun de vous ne serait là pour me le reprocher, alors oui, je vais essayer, seulement essayer !"
Ils sont déçus, je le vois bien, mais je ne veux pas leur mentir. Ils le savent d'ailleurs, car s'ils ont une vie propre, ils sont moi aussi...
Soudain la voix de Xavier s'exclame :
"Je n'aurais pas dû venir !"
Il récupère ses clopes que Sombre a posées sur le sol et quitte la gare sans rien ajouter d'autre. Les autres résignés le suivent, cependant Napoléon vient se frotter à mes jambes et Alexir s'attarde, je vois qu'il est amer. Son regard d'ambre brille de reproches et de déception. Je le soutiens sans faillir, il abdique, se détourne et vide les lieux...
En définitive, je tiens leur vie à tous dans le creux de ma main, tel une déesse omnisciente. Je suis décidée quand même à faire un effort ; soudain Napoléon saute dans mes bras, ronronne doucement, puis tel le chat d'Alice, disparaît progressivement...
Je quitte la gare en dernier, mon espoir à ce moment-là : Ne pas être contrôlée par la police, l'heure du couvre-feu est dépassée depuis longtemps !
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