Célébration
Les tuiles de ta maison s'enrosissaient sous l'astre levant. Ton regard s'ouvrait sur ce nouveau jour, la joie envahissait ton cœur.
C’était ta journée d’anniversaire.
Volets claquant sur les murs éclaboussés de soleil, visages ensommeillés et heureux des tiens penchés aux fenêtres, cheveux blonds et bruns qui se déroulaient, s'entortillaient, s'envolaient, s'agitaient au gré d'un vent tiède ; la vaste demeure s'épanouissait. Les heures à venir se pressentaient ardentes. Qu'importe, les prunelles scintillaient d'impatience. Heureuses, les dames s'empressaient pour commencer l'ouvrage.
Des senteurs de café fraichement moulu se répandirent bientôt dans la maisonnée. De quelques débelloises débordant du puissant breuvage aux mugs fumants, le voyage était odoriférant. Impatient de déguster l'élixir, tu t'attablas avec les hommes. À l'écart, elles s'activaient au sein des cuisines, grillaient les toasts, jetaient dans des poêles brûlantes des tranches de bacon, battaient en omelette les œufs frais du matin. Les enfants s'égaillaient. Alors, des brocs déversaient dans les bols le lait qui ornerait de moustaches mousseuses le dessus des lèvres impubères. Craquant serait aussi le pain qui croustillerait sous leurs dents tandis que la confiture et le miel dégoulineraient et poisseraient leurs doigts gourmands.
Votre quotidien restait délicieux et apprécié, pour ta plus grande joie. Il encotonnait les bambins, les parents et toi, vénérable patriarche de ces lieux tranquilles. Tous se mouvaient volontiers dans cette bienheureuse immuabilité. Au diable ce qui sévissait ailleurs, ça n'avait pas voix au chapitre. Le temps s'arrêtait, il écartait avec pudeur les réalités du monde pour vous préserver.
Savais-tu que cela ne durerait pas ? Hors de cette bulle, l'horreur sévissait, guettait, patientait.
Mais tu ne voulais pas y penser, tu désirais juste apprécier la joie de ce jubilé. Les tiens te réservaient une surprise. Tu attendais de la découvrir avec une frénésie croissante, dissimulée sous une dignité apparente.
Tu laissas passer la matinée. Bientôt midi arda sous l'éther estival ; alors, tu t'installas dans la cour intérieure. Là, sous l'ombre des pins-parasols, les hommes plaçaient les tables, les dames approchaient, les bras chargés de nappes immaculées. Tu remarquas des jeunes gens monter une estrade. Elle serait ornée de guirlandes de fleurs, des airs joyeux s'y joueraient, et naitraient alors des farandoles. Les voisins ne tarderaient plus à présent à envahir le domaine familial, pour ta plus grande joie.
Sur les tables, les assiettes s'alignaient, la cristallerie étincelait, les couverts cliquetaient. Des pichets de vin guilleret et frais arrivaient accompagnés de cruches d'eau puisée aux sources limpides du pays. Cela précéda de peu l'assistance : jeunes filles corolles, garçons endiablés, hommes - plus sages ? - aux voix graves, femmes souriantes à la démarche assurée ou légère, matrones avançant dignement, douairières à l'œil acéré, anciens s’appuyant sur leurs cannes ouvragées.
Toi, tu étais là, trônant sur un siège éminent, aïeul heureux. Tu jetais sur eux un regard aimant et peut-être légèrement condescendant.
Entendais-tu au loin ? Un grondement menaçant, impatient et sombre.
Tu t'y refusais, ton inquiétude, brève, s'effaçait. Tu la fuyais ! Autour de toi, les effluves des nourritures musardaient ; rôti doré aux champignons, gratin de pommes de terre crémeuses, haricots verts fins, agrémentés de persillade. Les regards s'éclairaient à la vue des plats emplis de crudités croquantes, de tourtes charcutières, d'entremets sucrées, de crèmes glacées et de fruits doucets ou acidulés.
Que d'abondance, de prodigalité, et là le couronnement de ce repas : le gâteau aux cents bougies allumées. L'orchestre commença à jouer l'hymne du jubilé. Exclamations ! On s'avança vers toi, les tiens t'entourèrent, les voisins restèrent en arrière, le chant s'arrêta. Profonde inspiration et d'un seul coup, tu éteignis ton siècle de vie.
Applaudissements.
Ne voyais-tu pas les nuées approcher ; ourlées de feu, prêtes à te dévorer? Le monstre glissait vers toi !
Tu détournas ton regard et commença à ouvrir tes cadeaux, nombreux, colorés et enrubannés. Voilà que le soleil se voilait, la chaleur s'intensifiait. Les éventails œuvrèrent, s'agitèrent, déplacèrent des parcelles d'air brûlant. Ils jetaient des éclats irisés parmi tes convives. Pourtant, le ciel s'enténébrait.
N'étais-tu pas obligé de penser à la bête ? Son regard, impitoyable, embrasé, te fixait.
Non, tu ne voulais pas revivre ça !
Tu devais faire face à la réalité.
Jamais tu n'obéirais à l'injonction !
Tu n'avais pas le choix.
Tu implorais à présent, demandais leur pitié !
Tu ne l'ignorais pas, aucun droit à la rédemption.
Tu tentais de fermer les yeux.
Malgré toi, ils restaient élargis et larmoyants.
Tu criais ton refus de revivre ça.
DÉFLAGRATION !
L'embrasement se saisissait des êtres et des choses. Pas le temps pour les victimes de crier. Tu assistais à la souffrance silencieuse de torches vivantes et flamboyantes. Les bouches tordues, les dents noircies, les yeux fondus dans leurs orbites, les chevelures embrasées s'imposaient à toi.
Ta famille et tes amis se faisaient décimer et tu étais aux premières loges pour y assister. Cloué sur le siège dominant, incapable de bouger, tu ne pouvais qu'assister à la fin tragique de la célébration.
Jusqu'à ce que toi-même, tu sois consumé, perclus de douleurs abominables et inapte à crier. Leur prolongement te sembla infini et tu accueillis l'obscurité avec reconnaissance. Tu sombras ; enfin, tu pouvais te reposer. Tu te laissas aller au néant qui t'emporta au gré du vent et des poussières mêlés des tiens, cruellement assassinés.
Enfin, tu ne pleurais plus sur tes responsabilités…
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"Programme punitif 25BC, récurrence 1542 : terminé.
Mise en place de la simulation suivante dans 30 minutes.
Sujet : Homme
Numéro d'immatriculation : 2012-1-53 H
Profession : Ministre des Armées.
Crime : donneur d'ordre pour des actions de bombardements successifs sur des zones civiles habitées.
Nombre de victimes : 514 9023.
État de Santé actuel : satisfaisant.
Attente…
Attente…
Attente…
Récurrence 1543 enclenchée...
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Les tuiles de ta maison s'enrosissaient sous l'astre levant. Ton regard s'ouvrait sur ce nouveau jour, la joie envahissait ton cœur.
C’était ta journée d’anniversaire…
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