Vendetta sacrée 

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Coup de pelle. Terre qui vole. Coup de pelle. Humus des sous-sols. Un tas informe se forme. Montagne sous laquelle la charogne sera sous peu dissimulée. Dérobée de la vue des impies. Son méfait oublié. Écrin du passé.

Sa main guidée par le démon avait frappé. Encore. Encore. De plus en plus fort. Son visage ravagé, sa voix brimée. L’ensellure vertigineuse de ses reins un peu plus accentué. À chaque fois que ses os cognaient contre sa peau. Elle se brisait en mille morceaux.

Le diable l’avait obligé. À se débarrasser de la zélatrice. À lui faire payer le prix de son insolence. Il devait la faire taire. Quoiqu’il lui en coûte. Quoi qu’il devienne de son âme déchue. Le silence! Sa récompense. Son absence. Sa pénitence.

Il l’avait aimée, depuis toujours. Il l’avait adorée, dès le premier jour. Comment avaient-ils pu en arriver là? Comme avait-elle pu se laisser glisser vers l’infamie? Elle avait accepté ses ténèbres. Pour mieux les rejeter, les abominer. Et finir engloutie par son obscurité.

Des regrets, il n’en avait aucun. La nostalgie heureuse, il savourait le souvenir de leur bonheur éphémère. Ses doigts sous l’eau glacée, il se débarrassait des ultimes reliquats de leur amour fané. Adieu ma bien-aimée.

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Terry trottina jusqu’au salon, une assiette de crevettes fumantes à la main. Ses pantoufles défraichies frottaient contre le parquet. Plus que ses pieds, son corps tout entier lui rappelait qu’il n’avait plus vingt ans. Il posa son mets de roi sur la grande table en bois. Il s’y installa, seul. Les autres chaises étaient vides de toute vie. Et sans doute le resteraient-elles éternellement.

Une année déjà qu’il était l’unique habitant dans cette immense demeure. Il s’en félicita, attrapa ses couverts et goba une bouchée brûlante de son repas. Il mastiqua, longuement, savourant le bruit de ses dents déchirant les chairs. Le son guttural de la nourriture glissant dans son œsophage. Extatique, il ferma les yeux et capta le chuintement de sa respiration. La solitude... le plus beau cadeau qu’il lui ait été donné de recevoir. Il reposa sa fourchette, joignit ses mains et remercia son Guide de l’avoir libéré, de l’avoir conduit jusqu’à la félicité.

D’enfant des rues, il devint propriétaire terrien. D’orphelin, il se maria à la créature la plus divine de son village. Richesse, sécurité. Mais il n’aimait pas partager.

La présence d’Aurélia possédait bien des avantages, certes. Son odeur de lavande lorsqu’elle sortait de la douche. Son corps palpitant lorsqu’elle s’agitait sur le sien. Ses petits plats mitonnés ou ses longues mélopées. Elle chantait divinement. C’était bien la seule chose qu’il tolérait de son immonde bouche. Car les mots de sa femme étaient comme des couperets tranchants qui lui lacéraient l’âme. 365 jours plus tôt, il dut intervenir et mettre un terme à la hardiesse de ses reproches.

Ce soir, il fêtait ce renouveau.

La pendule affichait 23 h 55. Il se glissa sous les couvertures, les ramena sous son menton et s’y calfeutra. Rapidement, il sombra dans un sommeil sans rêves, bercer par les murmures du vent. Le froid se faufilait par l’encadrement de la fenêtre mal isolée pour venir lui chatouiller le bout du nez.

Bientôt accompagné d’une odeur florale qui le plongea aussitôt dans un champ teinté de mauve, baigné par le soleil brûlant de l’été.

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Son cri se répercuta dans toute la pièce. Déchirant, térébrant. Terry plaqua ses mains sur ses oreilles, mais ses paumes n’étouffèrent pas le moindre décibel. Le hurlement résonnait dans sa tête plus que dans la chambre. Il le possédait, le torturait. Bientôt, Terry joignit sa voix à celle perçante de la créature. Dans un sanglot, il supplia, implora. Qu’elle s’arrête! Qu’elle se taise enfin!

Il s’avisa que ses oreilles saignaient, blessées par l’avertissement cabalistique qui hantait encore son esprit. Son nez rallia la danse funeste, déversant ses flots carmin sur le blanc immaculé de ses draps. Puis sa bouche, à son tour, se remplit d’un fluide vermeil et pâteux qui l’empêchait d’appeler à l’aide.

D’un bond, il se remit sur ses pieds, avant de sombrer. Ses genoux cognèrent le sol. Ses jambes étaient incapables de le porter. Paniqué, il rampa jusqu’à la fenêtre pour la débusquer. D’un mouvement saccadé, il se hissa sur le rebord et balaya les environs de son regard ambré.

Elle était là. Sa silhouette fluide, vêtue du suaire dans lequel il l’avait enveloppée un an plus tôt. Ses cheveux roux flamboyant avaient laissé place à de longues mèches fines argentées, quand ses yeux verts semblaient s’être noyés dans un océan sans nuances. Elle flottait, ses pieds nus ne touchaient plus terre.

Angélique, éthérée, bénie. Bean Sí.

Dans le ciel, les nuages se paraient d’un noir d’encre, prêts à libérer leurs larmes froides sur le monde. La tempête se préparait. Et Terry savait qu’elle l’emporterait.

Derrière son amante, une seconde forme se dessina. Son fantôme s’orna soudain d’une deuxième paire de bras, terminés par de longues griffes acérées. Deux ailes lui poussèrent dans le dos, se déployant dans un bruit feutré. Elles battirent la cadence, une fois, deux fois, avant de révéler leur abject propriétaire. Elle s’éleva au-dessus d’Aurélia, le sourire carnassier.

Son corps n’était que plumes noires, quand son visage arborait les traits disgracieux d’une femme. Elle le regarda, longtemps, avant de s’élancer dans sa direction, ongles en avant. Les yeux écarquillés, terrassé par la peur, Terry bascula sur les fesses. Tout son être se rebellait, refusait de consentir à fuir. Paralysé, il resta prostré, laissant la Harpie arracher son âme damnée.

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Au petit matin, on retrouva le malheureux dans une flaque immonde de fluides corporels. Le pauvre homme s’était vidé jusqu’à la dernière goutte. Sur son cadavre informe, nulle trace de coup, nulle blessure. Rien que le portrait d’Aurélia, déposé sur son morne faciès, comme un ultime pied de nez de la fatalité.

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