Julie Jolie
La jolie trottine.
La joie collée à ses talons.
C'est une petite fille, un souvenir, une bulle de savon.
Elle n'est plus vraiment là. Elle est un regret profond. Sa mère la rêve et c'est ainsi que trottine la jolie Julie.
Mimine travaillait beaucoup, pour gagner quelques sous. Elle voulait conduire sa fille sur ces chemins du bonheur dont on fait grand cas et qu'elle-même n'avait jamais empruntés.
Dans les gorges souterraines de la ville, dans les tunnels sombres et brûlants, à l’affût des dangers latents, Maman poussait sans fin les poussières d'espoirs tombées au sol. Frottait obstinément les larmes et les renoncements imprimés sur les miroirs. Essuyait et lavait avec patience les boues immondes des fluides de l'abandon, des poisons de l'âme.
Maman travaillait beaucoup, vraiment.
Julie souffrait des longues absences sa mère. Son amour si tendre, si doux lui manquait ; il s'épuisait dans les tunnels en dessous. Mimine rentrait accablée de fatigue et son désir de partager des paillettes de bonheur avec son enfant, sombrait de sommeil, s'effondrait dans son lit.
Il y avait bien quelques jours dans l'année où la mère et la fille pouvaient se nourrir de leur amour, mais plus Julie grandissait et moins ces quelques jours suffisaient à ses besoins.
Les enfants de solitude s'égarent, ils leur manquent la lumière et les horizons en perspective.
Julie se perdit.
Maman souffrait beaucoup des blessures de son enfant. Mais l'amour sans l'argent, l'amour sans nourriture et sans toit lui paressaient une construction impossible pour atteindre son but. Elle sacrifiait donc l'affection de son enfant pour lui garantir les chemins du bonheur.
Julie lui en voulait beaucoup. Elle ne manquait jamais de rien. Elle n'avait pas l'expérience de sa mère pour se représenter la douleur du dénuement. Elle était sûre, néanmoins, que sa maman la privait de l'essentiel. De temps pour la grandir, d'amour pour la nourrir et d'un père pour compenser.
Elle avait essayé de dire son urgence, elle avait de colère et de larmes allumé des alarmes. Mais maman était liée aux tunnels. Elle n'avait pas la magie nécessaire pour s'en sauver.
Julie chercha des mages et des prodiges. Dans les antres glauques, elle se lia à des pactes, enchaîna ses vœux à son âme. Elle échangeait son temps à vivre contre quelques charmes. Par petits bouts sa bonté, sa joie, son étincelle se délitaient. Le temps croque l'enfance, Julie n'est plus petite et elle comprend mieux les tunnels mais sa colère ne s'émousse pas et les démons des hommes s'attachent à ses pas.
Lorsque maman rentre le soir, elle est seule, bien souvent. Et un soir elle est seule sans enfant. Très loin des chemins du bonheur.
Mimine ne sait pas, pauvre femme, que les souterrains rongent l'âme et partout accompagnent.
Pleure maman et dort, rêve de jolie Julie trottinant sur les chemins de tes chimères.
*
Un démon plus malfaisant que les autres enserre dans son poing la jolie qui se perd.
Il la noie de maléfices, la conduit dans les gorges profondes bien plus bas que les souterrains de maman. Les yeux de Julie se vident : son âme morcelée la blesse tellement.
Le démon est fort. Julie ne se débat plus. Il la dévore et laisse son corps qu'il croit sans vie au bord du gouffre des abandons.
Il y a, dans l'obscurité la plus profonde, parfois, des étincelles qui brillent comme des soleils. Il y a des hommes qui s'attardent au bord des gouffres pour écouter les corps, quand ils parlent encore.
Julie rejoint l'îlot d'un possible.
*
Mimine s'affole, son enfant est en danger immédiat. Elle court, elle court, elle vole. dans les couloirs du purgatoire. Quelques anges la guident et elle retrouve enfin sa Julie, bien moins jolie, dans son lit au drap bleu comme un ciel.
Maman n'a pas su les secrets qui conduisent au bonheur. Elle croyait que les imaginer suffit à les enfanter.
Maman comprend que sans toit ou sans toi, c'est pareil. Si Julie s'en va, elle s'en ira aussi.
Mimine récite comme un mantra, la force de son amour à travers les deux mots qui donnent du sens à tout : « Julie jolie, Julie jolie, Julie jolie... »
Veilles jours, veilles nuits…
Les souterrains perdent leur emprise.
Veilles jours, veilles nuits…
Julie s'accroche. Les mantras l'appellent.
Veilles jours, veilles nuits...
Dans un rayon d'aurore, Julie se réveille.
Le poison s'écoule en larmes, en cascades, secoue le corps épuisé d'une toute jeune femme.
Maman l'accompagne.
Elle lui demande pardon, elle lui dit son choix coupable d'un toit sans toi, elle la supplie de vivre.
Julie lui parle d'amour, elle lui dit sa douleur, sa colère inutile. Elle la supplie de partir, de quitter le monde d'en bas.
Renoncer aux souterrains n'est pas si difficile quand il y a "toi" pour se mettre à l'abri.
Partir est un bon choix qu'elles font ensemble. C'est la première clef, la première pierre, la première fleur et plus loin un chemin de bonheur.
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