Shae était allongée sur son canapé, une couverture sur les genoux. Alors qu’elle lisait The Guardian, ses yeux tombèrent sur un entrefilet macabre : « Mort de Jake Clarke: retour sur l’affaire de la route de Coventry ».

L’article continuait ainsi :

Début décembre, un jeune homme de 24 ans a été retrouvé sans vie dans sa voiture aux alentours de Coventry (West Midlands). La cause de la mort ne serait toujours pas connue.

Selon une source policière, la victime serait venue déposer plainte contre X en automne dernier pour « harcèlement ».

« Il se plaignait souvent de voir une femme en blanc quand il conduisait la nuit hors de la ville », raconte Nicolas Wright, un proche de la victime. « Ça a duré plusieurs semaines ».

Après le drame, la West Midlands Police a découvert au domicile de la victime du sel arrangé en lignes droites sur le pas de la porte, ainsi que sur les fenêtres. Les enquêteurs tentent de faire la lumière sur le possible lien entre cet élément et la disparition de Jake Clarke.

Shae marcha quelques minutes dans son salon, le journal en main ; puis elle descendit à Lamb Street, intriguée et nerveuse. Elle traversa la rue à pied, entra dans un immeuble résidentiel vieux et mal entretenu puis toqua à une porte au premier étage. Quelques minutes après apparut dans l’encadrement Erin, le visage mi-fermé mi-interrogateur. Shae lui montra le journal. Elle y jeta un bref regard avant de répondre : « Je l’ai déjà lu » puis disparut à l’intérieur de l’appartement.

Fatiguée mais sérieuse, elle expliqua à Shae qu’elle avait déjà fait ses recherches et que le responsable de la mort de Jake ne pouvait être qu’un fantôme. « Tout correspond : le sel chez lui, pas d’empreintes, complètement inexplicable. Et j’ai mieux : je sais qui est Casper. » Elle l’entraîna dans une autre pièce et lui désigna une large image accrochée au mur au milieu d’articles de journaux: une femme en robe blanche au milieu d’une large route, transparente et semblant aussi irréelle qu’un hologramme.

« La Dame Blanche », souffla Shae.

Erin acquiesca. Tout devint limpide dans la tête de Shae, comme si les explications de son amie avaient provoqué un déclic. Elle découvrit qu’elle se souvenait de tout ce qu’elle avait étudié lors des traques avec Erin.

Son amie la fit asseoir dans le salon, et Shae lui demanda :

« Donc, on parle de fantôme ?

— On dirait bien.

— Elle se la joue comment, cette fois ? Baba Yaga, Vivianne ou laveuse de linge nocturne ? »

Erin poussa devant elle trois articles de journaux :

« Plutôt tueuse en série. Elle zigouille des types aux alentours de Coventry depuis au moins plusieurs mois, et aucun lien entre les victimes. On dirait qu’elle a juste pété un plomb et qu’elle a décidé de se la jouer Aileen Wuornos surnaturelle.

— On connaît son identité ?

— Je crois que c’est Emmanuelle Chester. C’était une teinturière morte dans les années 60 et elle est enterrée à Nathan Hale Cemetery. Je prévoyais d’aller y faire un tour cette nuit avec une poignée de sel et un briquet.

— Okay. Bonne chance. »

Alors que Shae se levait, Erin la retint par le bras :

« J’aurais bien voulu que tu viennes. T’étais douée, avant. »

Shae ne put plus en supporter d’avantage. Calmement, les lèvres serrées, elle demanda à Erin de la lâcher. Puis elle partit avec précipitation de l’appartement en lui souhaitant une nouvelle fois bonne chance.

À quoi jouait t’elle ? Après la mort de Kerry, Shae avait évité de renouer une relation proche avec Erin, se contentant de la tolérer ou de la subir. Bien que Erin se comportait comme si elle voulait la soutenir après cette tragédie, Shae avait fini par croire qu’elle voulait juste retrouver leur duo doré et qu’elle parsemait cette idée par certaines allusions à chaque fois qu’elles se voyaient.

Ces réflexions se poursuivirent jusqu’à l’heure du dîner. Devant son assiette, Shae gardait la tête basse. Puis un bruit sourd, comme un meuble que l’on traînait par terre. Et l’apparition d’une femme en robe blanche, tellement transparente que Shae voyait le mur et les meubles à travers elle. Shae souffla simplement, froide :

« Le problème avec les fantômes, c’est qu’on ignore combien de temps ils vous suivent. »

Le monstre fit un pas, puis un autre.

« Salut, Emmy’. »

Sa main avait trouvé la salière.