Prologue (Part. 2/3)
Sans plus attendre, Abilio et Maître Pagara descendirent les étages retraversant couloirs et escaliers vertigineux. Si monter les étages avait été compliqués, les descendre en présence de Pagara était bien plus aisés. Les juristes et majordomes s’écartaient pour les laisser passer.
Abilio voyait les regards venimeux le recouvrirent. Ils se sentaient de plus en plus mal à l’aise. Pagara vint le raccrocher au présent.
- Vous vous attendiez qu’on vous feriez bon accueil ?
- Non, marmonna-t-il. Seulement qu’il aurait laissé cela derrière eux.
Elle esquissa un léger sourire narquois.
- Dénoncer la justice… En voilà une idée sotte venant d’un vice-ambassadeur. Vous étiez trop jeune pour obtenir un poste aussi important. Votre père, sa Majesté de Gilao, a joué de ses contacts pour vous fournir un poste important, mais vous n’étiez pas à la hauteur.
Abilio ne répondit pas. Ses yeux fixèrent ses pieds marchant sur le sol sombre du hall. À deux, ils traversèrent l’immense pièce d’entrée pour atteindre un coin plus sombre, protégée des regards derrière un paravent opaque et quelques plantes. Un homme armé gardait sérieusement l’entrée, une lance dans ses mains.
- Maître Pagara et Monsieur Abilio de Gilao. Nous venons voir la prisonnière qui nous cause tant de trouble.
L’homme s’exécuta et ouvrit une porte vers un sombre couloir taillé dans la pierre. Une fois les oreilles curieuses éloignées, Abilio reprit la discussion :
- Vous pensez vraiment que l’Ambassadeur est à Zeliha ?
- Son navire est parti vers le Désert, s’impatienta Pagara.
- Il n’y a pas que la ville de Zeliha dans le Desert. Il aurait très bien pu aller se cacher dans les confins des dunes de sable : à Hazal.
Pagara lui fit un geste de suffisance dans la pénombre.
- Il montrera son nez lorsque le tribunal commencera, c’est tout ce qui m’importe.
Abilio se sentait de moins en moins a sa place. Il n’aurait peut-être pas dû répondre à cet appel. Toute sa haine de la Justice biaisée refaisait surface. Maître Pagara ne voulait que de lui qu’il enfonce Mayrissa pour que la peine de mort, sentence interdite depuis cinquante ans, soit plausible.
Au fond d’un des couloirs, une cellule plongée dans une quasi-obscurité se dévoila. Au milieu de celle-ci, la jolie femme de l’image avait été remplacée par un pantin désarticulé. De puissantes chaînes lui maintenaient fermement les poignées, l’empêchant de s’asseoir. Abilio grogna :
- Desserrez donc les menottes !
- Elle se débattait, répondit méthodiquement un garde. Elle a tenté d’étrangler un de nos hommes avec les chaînes. Le seul moyen que nous ayons trouvé est de la maintenir ainsi. Bras et jambes maîtrisés.
Maître Pagara reprit de suite d’un ton sévère :
- Vous vivez sur un véritable nuage, Maître Abilio ! Vous vous imaginiez qu’elle serait la petite princesse que nous croisions aux festivités. Laissez cela a sa demi-sœur. C’est un monstre. Je vous laisse la voir pour que vous vous rendiez compte qu’on ne peut plus enfermer une chose pareille dans une prison ou elle pourrait aisément s’échapper.
Abilio resta de marbre.
- Pourrais-je entrer ?
Le garde jeta un regard interrogateur vers la dame de la Justice. Cette dernière souffla :
- S’il faut qu’elle vous agresse pour vous en rendre compte…
Elle donna l’accord a l’homme qui ouvrit à son tour la serrure de la geôle. Abilio rentra prudemment. De toute façon, Mayrissa de Nuo ne pouvait plus bouger d’un petit doigt. Il la connaissait… l’avait connu du moins. Il voyait ses cheveux bruns et sales lui recouvrirent son visage. Le jeune homme se discernait encore dans ses souvenirs ses yeux clairs au milieu de sa peau bronzée et un nez fin remontant légèrement.
Son regard longea la prisonnière. L’un de ses bras était brûlé. Il s’en rapprocha stupéfait. La voix de Pagara lui parvint :
- La Sériane. Vous connaissez les conséquences, n’est-ce pas, Maître Abilio ?
- La maladie qui ronge les contrées nordiques, répondit le jeune homme sombrement. Je suis au courant et mon père craint qu’il ne dépasse les frontières de la Gilao. Je n’avais jamais vu une atteinte de mes propres yeux.
- Ancienne atteinte, rectifia la juriste. La brûlure est le seul moyen de terrasser cette infamie. La Sériane lui a atteint le bras et l’arrière de son crâne. On pense qu’elle aurait pu attaquer son cerveau.
Abilio sentit sa poitrine se compresser. Sur le second bras de Mayrissa, le tatouage d’un serpent blanc trônait sur sa peau foncés. Le tatouage était le symbole des Nuo. Le serpent semblait comme endormis, les paupières fermaient et les crocs rangés dans sa mâchoire. L’ancien vice-conseiller la bouscula un peu pour la réveiller. Rien ne se passa.
- Elle dort ? questionna-t-il
- Non, affirma le garde. Lorsqu’elle a été arrêtée, elle se débattait comme le diable. Une fois emprisonnés, nous avons cru qu’elle somnolait. C’est là qu’elle nous a attaqués. Il y a de fortes chances qu’elle nous écoute.
- Ou qu’elle fasse la morte pour mieux nous agresser après, renchérit Pagara. C’est un animal, Maître Abilio. Ne traînons pas !
L’homme s’apprêtait à faire demi-tour lorsque les lueurs des torches se reflétèrent sur un objet au sol. Il s’accroupit pour le ramasser et l’observer attentivement. Des lunettes. L’un des verres était brisé.
- À qui appartiennent-elles ?
- À Mademoiselle Mayrissa, Monsieur Abilio.
Dans sa tête, quelques rouages rouillés se réactionnairent. Un animal, disait Pagara. Quel genre d’animal porte des lunettes ? Son mentor lui dirait de ne pas s’arrêter sur chaque détail pourtant, que faisait Mayrissa avant d’être arrêté. Que faisait-elle en liberté alors qu’elle était sensée être enfermé ? La peine de mort avait ça d’intéressant, c’est qu’elle ne laisserait pas le temps a la prisonnière de parler. Il prit les lunettes dans sa poche, sortit de la cellule et partit faisant dos a la prison.
Sur le bras de Mayrissa, le serpent de marbre ouvrit ses paupières en l’espace d’une petite seconde dévoilant la fente de ses yeux verts, puis les referma aussitôt.
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