Le parfum Baldur
Tenez, Baldur, mon collègue référent. J’interagis avec lui tous les jours. Pourtant, il fait toujours partie de ces individus qui m’environnent tels des personnages. Sa silhouette me fait face, mais c’est comme s’il vivait sur un autre plan. Il constitue un tableau à part entière, un petit film où il joue l’employé dans son entreprise. Contrairement à moi, il me semble totalement imprégné de son rôle.
Exposée à sa réalité toute proche, je l’observe, je le flaire...
Sa tête autant que son corps m’inspire un cochon. Le matin à neuf heures et demie, il mange son poisson séché tartiné de margarine fondue dont la boîte gît sur son clavier d’ordinateur. J’ai horreur de le surprendre à ce moment-là. Lui n’apprécie guère non plus. Il me regarde par-dessus ses lunettes, les lèvres luisantes de graisse; examine ma requête sans cacher que je le dérange. Puis, dans un geste mou, une grimace faussement imperceptible au visage, il décolle ses fesses du tabouret à roulettes et se déplace vers le rayon dans une lenteur désespérante à suivre. Une fois face au problème qui nécessite notre attention, il se penche dans un râle, observe. Il se relève et se pourlèche les babines. La bouche entrouverte, il rote doucement en allongeant le cou. Les effluves de poisson finissent de compléter cette scène écoeurante pour le spectateur encore à jeun et mal réveillé que je suis. Un porc à lunettes. Chemise à manches courtes d’un bleu pâle infiniment ennuyeux. Il rentre sa chemise dans son pantalon et réajuste la ceinture qui soutient sa bedaine.
À midi, il nous remet ça avec la boîte de sardines. Je le repère à temps et maintiens un périmètre de sécurité. Après consommation face à l’écran d’ordinateur, la boîte où baignent les résidus dans l’huile odorante est restée sur son bureau, entre un sachet de vis et un carnet de notes taché.
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