Les trois loustics

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 Le dimanche, nous avons rendu visite à deux amis de Bilal. C’est dans une rue du centre-ville, dans un petit appartement sous les combles que j'ai fait connaissance avec Qadir et Anoush.

 Un personnage en tunique sombre et sarouel blanc s’est présenté dans la pénombre du couloir d’accueil et nous a fait signe de monter l’escalier. Ce n'est que lorsque j’ai pu l’observer sous l’éclairage de la chaleureuse tanière que j’ai pris conscience d’un délicieux détail. Le portrait de Qadir, barbu au teint noisette, était animé par deux grandes prunelles vertes. En contraste avec une peau marquée par le soleil, ces nuances de mousse forestière et de vert sapin apportaient une touche de fraîcheur humide dans laquelle il était doux de se réfugier. Cette particularité m’a tout de suite hypnotisée. Il aurait fallu me contenir, mais je me trouvais sottement dans le même état que lorsqu’on aperçoit soudain un oiseau rare dans la nature et qu’on n’ose plus le quitter du regard.

 En hôte prévenant, Qadir n’a pas attendu notre assentiment pour préparer de grands verres de thé parfumé à la cardamome. Il les a déposés sur la table avec précaution, accompagnés d’un plateau d’amandes et de dattes, puis s’est assis sur le magnifique tapis persan qui recouvrait l’espace. Les jambes pliées devant lui et le dos courbé, il minimisait son volume, telle une créature préférant la position de serviteur en retrait à celle de personnage central. Bilal et lui discutaient en ourdou, la langue commune au trio. Ils riaient de bon cœur à chaque réplique. Sur le canapé, Anoush avait les yeux rivés sur son téléphone. Son profil, pas moins séduisant, était dissimulé dans la capuche de son sweat rouge. Il ne me prêtait aucune attention. Pourtant, il me semblait l’avoir déjà croisé lors de ma première venue en Islande. Il se contentait de lever les yeux vers ses compatriotes de temps à autre en lâchant une phrase sur un ton défensif mais joueur.

 J’essayais de me joindre à leur conversation par le biais de quelques questions en anglais. Qadir m’expliquait qu’il travaillait dans une boulangerie-pâtisserie située au rez-de-chaussée d’un hôtel. Pas mécontent du tout, il se levait chaque jour avant quatre heures et s’y rendait à pieds dans le froid et parfois la neige, alors que tout le monde dormait encore. Ces quelques heures de travail par jour lui permettaient de vivre correctement. J’avais malheureusement de la peine à croiser son regard. À défaut, je m’attardais aussi sur son nez en losange légèrement recourbé. Celui-ci me paraissait tantôt trop présent, tantôt d’un charme volé au diable lorsqu’il souriait. Ses cheveux bruns comme le thé étaient couronnés d’un béret en velour noir, lequel réhaussait d’élégance son visage creusé par les cernes. Comme je lui disais chercher un emploi et que j’allais certainement démarrer chez Timburland, l’entreprise de Billy, il m’a fait remarquer qu’Anoush aussi y travaillait. C’est là que lui et moi nous sommes reconnus.

 “C’est bien toi que j'ai vue une fois, cet hiver, animer notre salle de pause en dansant sur des musiques françaises ?”.

 J’ai souri. J’aurais peut-être dû me faire plus discrète ce jour-là, devant les gars de Timburland. J’avais apprécié l’instant dans mes baskets de voyageuse, loin d’imaginer que, quelques mois plus tard, je retournerais dans cette entreprise pour y demander un contrat.

 Avant de m’en aller, j’ai noté le contact de Qadir. Grâce à lui, je pourrais éventuellement trouver un emploi à l'hôtel, si besoin. Bien qu’un peu distant, ce jeune homme m’avait paru tout à fait affable et dévoué. J’espérais que nous pourrions devenir amis et que je serais amenée à croiser de nouveau son regard de velours vert.

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