Le lendemain en début d’après-midi, on a frappé à ma porte. Qadir s’est affiché devant moi, affublé d’un petit sourire pétillant. Transgressant sa pudeur, j’ai ouvert grand mes bras pour l’accueillir, constatant qu’il n’était vraiment pas épais après son séjour en tente. Il a sursauté en découvrant Aurore puis s’est avancé pour lui tendre la main. Elle jubilait de pouvoir rencontrer si vite le second personnage principal de mon récit islandais.

— Te voilà de retour ! Comment te sens-tu ?

— J’ai besoin d’une bonne douche.” a-t-il déclaré avant de disparaître dans son logis pour un bon moment. Il devait apprécier le retour au confort. De mon côté, je suis allée faire des courses à la supérette. Un dîner digne de ce nom serait de mise.

 Mon voisin est revenu vers nous avec les clefs de voiture d’Anoush en main. “L’heure du coucher de soleil approche, souhaiteriez-vous m’accompagner au phare de Seltjarnarnes ?”. Aurore a proposé d’emmener son accordéon, Qadir est parti chercher sa flûte, puis nous sommes partis avec hâte.

 Quelques voitures de locaux étaient garées sur le parking, le moteur en route, musique en sourdine. Nous avons longé la petite plage de sable noir jusqu’au phare. L’air était frais, Aurore et moi sautillions de joie entre les vagues qui se succédaient. Qadir avait tenu à prendre l’instrument d’Aurore sur son dos, il parlait peu mais son sourire disait tout.

 L’accordéon a sorti les premières notes lorsque nous étions installés sur le parapet à la base du phare. Nous avons écouté la musique vibrer dans nos corps en agitant un pied, la tête, jetant des coup d'œil à notre trio et au ciel changeant. Ayant ôté son bonnet, mon ami laissait un vent de liberté décoiffer sa chevelure. Quand la chanson a pris fin sous nos applaudissements, Qadir a positionné la flûte entre ses lèvres, les notes longues qui en sortaient nous plongeant dans une douce méditation. Je me sentais presque trop petite pour accueillir toute la félicité qui s’offrait à ce moment-là. Vibrante, j’étais submergée par la gratitude. Nos yeux se sont levés en chœur. Le soleil venait se briser au cœur d’un interstice, ouvrant ses ailes flamboyantes entre deux liasses de nuages bleus. Les mots sont parfois peu de chose…

 L’obscurité gagnant, nous avons clos la cérémonie par un bain de pied chaud aux odeurs de souffre dans la fameuse petite baignoire en pierre que j’avais découvert l’hiver précédent.

 De retour, Óskar et Anoush ont accepté de se joindre à nous pour le dîner. Chacun s’est jeté avec appétit sur le gratin dauphinois et le poisson que j’avais préparé. C’était un de de ces moments où le présent est trop beau pour accorder une place à la fatigue, si lourde qu’elle soit le reste du temps. L’espace d’une soirée, Dalil restait, telle une saule, tapis silencieusement au fond de l’océan, attendant son heure pour ressurgir.

 Une fois les assiettes vides et les ventres bien garnis, le sujet du mariage n’a pas tardé à être abordé. Óskar a mentionné un de ses amis, pasteur, lequel avait déjà marié plusieurs couples d’étrangers.

 D’ailleurs, tu l’as déjà rencontré Qadir, un jour vers le début que tu étais ici, nous sommes allés ensemble l’aider à déménager le piano de sa femme ?

— Mais oui, bien sûr ! Quel type formidable, nous avions eu tous les deux une longue conversation philosophique.

 Bien qu’il ait choisi l’église, a expliqué Óskar, cet homme avait l’esprit plus large, sa philosophie embrassait toutes les religions et il faisait volontiers le déplacement pour célébrer les noces dans des églises de campagne, et même dans la nature.

 Qadir m’a consulté du regard, séduit par l’idée. Se marier au nom de la liberté, au grand air sous l’incroyable ciel d’Islande… Tard le soir, Aurore et moi en discutions encore.