C’est une fin d'après-midi d’automne. Je marche le long de l’océan, en chemin vers l’école d’islandais. Le retour du froid éveille en moi un sentiment d’excitation. La tête au chaud dans un bonnet confectionné par Qadir, les mains enfoncées dans mes poches, je laisse mon regard se perdre à l’horizon. La lumière d’octobre est comme une couverture dorée projetant de longues ombres élastiques sur le sol. Je retrouve ce pincement euphorique de la première fois que j’ai foulé cette promenade. Le choc de la découverte, ces paysages qui ont soulevé mon cœur au point de me ramener ici et d’y rester.

Tout à coup, une vague de peur naît dans mon ventre. Je tourne la tête et vois une silhouette s’avancer à contre-jour sur la piste cyclable parallèle à celle des piétons. Le casque avec sa lanterne perchée au-dessus me fait l’effet d’un gong dans la poitrine. Dalil file sur son vélo en regardant droit devant lui. Comme chaque fois qu’il m’arrive de le voir, ma gorge se serre, mon cœur bat plus vite. J'oscille entre l’envie chatouilleuse d’une connexion et celle de me protéger en déportant mon regard sur je ne sais quoi d’autre. Qui sait si je me serais installée dans ce pays sans cette rencontre ? Sans lui, je me serais évité des galères, mais je n’aurais pas connu mon amoureux ni les sensations d’être au siège des commandes, là-haut entre deux ailes. Au dernier moment, son regard percute le mien sans qu’il n’ait le temps de marquer une quelconque réaction. L’ombre de Dalil le pilote file droit, le courant d’air me fait vaciller. L’éclair est passé, un morceau précieux de mon existence, un passage fondateur.