La Boîte
Pandore. La responsable de tous les maux. La toute première femme, envoyée par le puissant Zeus pour punir les hommes innocents. Celle qui libéra les malheurs qui s’abattirent sur la Terre en une tornade de souffrance. Pandore. Celle qui mit fin à l’Âge d’or, celle qui obligea toute une espèce à travailler pour se nourrir, à suer pour survivre. Pandore.
C’est à elle que songeait Monsieur de A… en regardant la boîte. Cela s’était passé hier. Le facteur avait déposé un étrange colis chez lui : une boîte. Une petite boîte en sapin, sombre et fermée à clé. Avec pour seules explications une lettre : « La Consigne est la suivante : NE PAS OUVRIR ». Tels étaient les mots de ce mystérieux émetteur. Huit mots, une instruction. « NE PAS OUVRIR ». Pourquoi envoyer un colis s’il devait rester fermé ? Monsieur de A… ne comprenait pas. Était-ce une blague ? Peut-être. Peut-être pas. Il ne connaissait personne qui possédât un humour de la sorte. Et puis, la Boîte semblait avoir coûté son prix, avec sa serrure dorée et les jolies spirales gravées sur le couvercle. Acheter un tel ouvrage pour une simple farce… C’était tout bonnement idiot.
Très contrarié, Monsieur de A… se prépara un repas et alla se coucher. Cette nuit là, il rêva de la Boîte. Il la vit sur la table et la contempla. Pendant toute la nuit il songea à elle.
Quand vint le matin, il s’aperçut qu’un nouveau colis était arrivé. Deux expéditions en deux jours ! Voilà qui bouleversait sa vie jusque-là tranquille et monotone. Il était réellement impatient de découvrir la suite de cette intrigue aussi amusante qu’effrayante. C’est sur une clé que s’ouvrit le paquet. Une petite clé plaquée or, minuscule. Sûrement celle qui ouvrait la Boîte ! Il s’en saisit, pressé comme un enfant devant le sapin de Noël. Il allait ouvrir l’étrange récipient quand un bout de papier enroulé autour de la clé l’arrêta. Il le déroula : « Rappelez-vous la Consigne ». Il pesta, râla, grogna. Il injuria l’auteur de cette sinistre plaisanterie, qui avec le temps devenait de moins en moins sympathique. Il réfléchit longuement. Si on lui avait envoyé une clé, c’était logiquement pour ouvrir la serrure… Mais les messages étaient clairs : il ne fallait en aucun cas défaire la Boîte. Il était confronté à un véritable casse-tête. Il essaya de penser à autre chose, mais c’était impossible. Chaque parcelle de son cerveau était obnubilée par cette Boîte. Encore une fois, il se convainquit qu’une bonne nuit de sommeil lui changerait les idées. Encore une fois, ses rêves furent tournés vers cet objet maléfique. Mais durant cette nuit, il prit conscience de l’importance de tout cela. La Consigne était cruciale, tout comme son choix. Obtempérer ou refuser ?
En se levant, il jura de ne jamais ouvrir la Boîte. Il essaya alors de la jeter, mais il prit conscience de l’impossibilité d’effectuer cette action. Il était incapable de la déplacer. Sur la table elle était, sur la table elle demeurerait. Les jours passèrent, sans que Monsieur de A… ne pût quitter son appartement, et il ne fit rien d’autre que de penser à la Boîte. La chose l’attirait, elle semblait presque avoir une sorte de gravité. L’attraction de cet objet à son égard croissait inexorablement. Dès qu’il s’éloignait, il se sentait lourd et fatigué. Il en vint à dormir dans la salle à manger. Rapidement, ne pouvant quitter son appartement, la faim s’incrusta en lui et il commença à se rationner. Il maigrit fortement. Il était épuisé rien qu’à marcher quelques secondes. Et l’étau de la Boîte se resserrait autour de lui. Il était désormais contraint à vivre sur une petite surface. Le simple fait de se trouver à cinq mètres de la Boîte lui contractait les poumons et lui donnait une affreuse migraine. La tentation de l’ouvrir était infinie, mais il résistait. Sa détermination était sans faille, et son mental de fer. La Consigne était son unique principe, sa seule valeur. Il la récitait continuellement, la psalmodiait sans cesser. Il devait avoir l’air d’un gourou exécutant ses rites, d’un pauvre fou desséché. Bientôt, il ne put plus se lever, ses muscles étaient faibles comme ceux d’un nouveau né. Il se retrouva collé à la Boîte, qui lui laissa une marque sur le ventre, comme un fer brûlant.
Combien de temps il résista, il ne pouvait le savoir. Dix jours ? Un mois ? Une année ? Son cerveau était embrouillé comme sous l’effet narcotique d’une drogue, et son corps était dans un état pitoyable, proche du comas.
Mais quand il sentit la mort le frôler, le caresser de ses doigts froids et osseux, poussé par un sentiment de survie, il désobéit. Par pur égoïsme. Pour ne pas mourir. Car un homme s’accroche à la vie, et il peut tout faire pour survivre. Tout.
C’est alors qu’il prit la clé dans sa main squelettique, et il ouvrit la Boîte.
Aussitôt, le couvercle se souleva, s’arracha sous la puissance de ce que contenait la Boîte. Il fut littéralement soufflé tel une bombe atomique. Il libéra les Maux sous la forme d’une bourrasque titanesque. Ceux-ci parcoururent la salle en hurlant, comme des âmes châtiées heureuses d’être libérées. Monsieur de A… se recroquevilla pour essayer d’échapper à cette chose insidieuse. Mais il ne pouvait lutter contre un ennemi intangible. Il tressaillait de tout son corps, secoué de terribles spasmes. Il fut vite vaincu par l’ouragan perfide, qui s’engouffra en lui par le nez, la bouche, l’embrassant tout entier. Il étouffait, criait miséricorde, implorait pitié.
Les Maux le submergèrent. La souffrance, le malheur, le froid, la mort. Un océan de douleur insurmontable. Il connut tous les supplices : la faim et la soif de Tantale, le poids du ciel d’Atlas, la roue de feu d’Ixion, le foie dévoré de Prométhée. Il subit toutes les tortures ; il fut brûlé, fouetté, écartelé. Toute l’horreur inventée par les Hommes passa en lui comme une rafale électrique. Il était brisé. De par sa désobéissance, il était condamné à languir éternellement.
Mais au fond de la Boîte demeurait l’Espoir, l’Espoir qui maintient les hommes en vie, l’Espoir qui permet à tous de survivre aux pires tragédies. L’Espoir qui offre à chacun l’occasion d’espérer. Une étincelle d’Espoir était encore présente quelque part dans son être. Alors il espéra.
Il espéra qu’un jour ce châtiment éternel prendrait fin.
Annotations
Versions