2 - La lettre du destin
« Et si. »
Cette question, je me l'étais posé un million de fois. Assis sur mon fauteuil, face à l'écran allumé de mon ordinateur, je soupirais, perdu. Près de ma souris, une enveloppe des plus banales. Le papier kraft avait juste mon prénom griffonné rapidement dessus. Mon regard s'y attarda, me faisant sourire. Je me souvins alors de la surprise de l'avoir reçu de la personne dont je ne m'attendais pas forcément avant qu'elle ne file ailleurs, attendue, comme un mirage qui est balayé par le vent.
Je la pris, connaissant parfaitement le contenu. Je pris la première enveloppe indiquant qu'elle serait la moins longue à lire et sortis une carte postale. Des photos un peu floues d'un quartier historique d'une ville du sud de la France et quelques mots écrits, sans former une ligne droite par endroits. Un cadeau souvenir de voyage inattendu et qui faisait aussi un peu old school. Qui écrivaient encore des lettres et des cartes aujourd'hui ? Tout se faisait en ligne : cartes, mails, appels, messages. Cela m'avait fait sourire, comme ce soir. Je relus ce court message disant qu'elle avait pensé à moi et que j'aurais pu apprécier le quartier. « Sans le moindre doute » ai-je alors pensé.
Une première attention qui m'avait touché, tout comme le fait qu'elle ait pensé à moi alors qu'elle aurait pu s'en passer. Plus les jours avaient passé depuis ce jour, plus je me rendais compte de toutes les fois où elle m'avait surprise avec ses attentions. Je ne les avais pas vu sur le moment, incapable de me dire que c'était possible qu'une telle fille s'intéresse à moi de cette façon.
Je rangeais la carte avant de prendre la seconde enveloppe. Elle contenait une lettre, bien plus longue, écrite sur une feuille à carreaux des plus banales. Une déclaration que je n'aurais jamais envisagée. En tout cas, je n'aurais jamais pensé la recevoir maintenant. Les histoires d'amour et les déclarations se faisaient virtuellement, via des applications ou autre choses On ne les vivait plus réellement comme « avant ».
Même en étant imaginatif, je n'aurais pas pensé qu'une telle situation m'arriverait un jour. Je n'étais pas du genre à croire au coup de foudre, j'étais plus terre-à-terre que ça et tout ce qui touchait aux sentiments ne m'avait jamais vraiment parlé jusqu'à maintenant. J'appréciais mes amis, mes proches, ma famille. Je les aimais, d'une certaine manière, mais je ne croyais pas en toutes ces histoires à l'eau de rose où un regard pouvait suffire pour que ça chamboule une vie. C'était beau pour un film ou un roman, mais cela n'arrivait que très peu dans la vraie vie, non ?
J'avais beau parcourir à nouveau ses phrases, parfois maladroites, je les connaissais presque par cœur par moment. J'avais pensé à chacune de ces lignes, longuement, m'interrogeant sur ce qui m'avait échappé depuis le temps. Elle parlait en années et je n'avais rien vu alors que cela faisait plus d'un an que nous parlions plus ou moins souvent, que nous nous voyions à l'occasion.
Je fermais les yeux, repensant à elle. C'était une amie, je l'avais toujours vu comme telle, du moins, jusqu'à cette fameuse lettre. Je ne savais pas pourquoi, chaque fois que je la revoyais depuis que je l'avais reçu, une boule de chaleur s'installait dans ma poitrine. Elle me faisait du bien et elle avait tout remis en question, me faisant voir les choses peut-être différemment. Je ne lui avais toujours pas répondu, pourtant, il y avait quelque chose de plus dans chacune des rencontres que nous avions maintenant.
Je me souvenais de l'une des premières fois où je l'avais vu. Une petite brune que je ne connaissais pas, énergique, toujours avec ses amis tandis qu'elle s'en faisait de nouveaux et, pendant longtemps, nous n'avions échangé que des banalités. Je la voyais, mais elle était loin et rien n'avait fait pour que nous apprenions à nous connaître plus avant quelques années. Ce fut un simple message en ligne qui déclencha tout : des discussions, des moments où l'on s'était vu, juste tous les deux, et je ne m'étais jamais vraiment douté de ses sentiments à mon égard.
La première fois que nous nous étions vus, également, seuls. Quelqu'un d'un peu timide qui est facilement devenue une grande bavarde. Je me rappelais que j'avais été surpris qu'elle sache déjà certaines choses sur moi alors que, de mémoire, nous n'avions pas tant échangé que ça avant qu'on reprenne contact. Je ne doutais pas que nous avions des amis en commun qui avaient pu être bavards, notre cercle n'était pas si énorme que ça dans une certaine mesure.
Pourtant, en y réfléchissant, ça aurait pu me sauter aux yeux bien avant : son envie de me voir, nos discussions, le soin qu'elle mettait à prendre de mes nouvelles alors que je n'allais jamais vers les gens, son sourire et l'éclat de ses yeux noisette lorsque nous nous voyions. Je n'avais juste pas l'habitude de tout ça, je n'avais donc rien compris sur le coup.
Je soupirais, perdu. Je n'avais jamais forcément ressenti quelque chose pour quelqu'un et voilà que, soudainement, une fille avec laquelle je m'entendais bien, qui était adorable et mignonne me livrait ses sentiments. Je n'aurais jamais osé, même par écrit, le faire. Tout comme je n'avais pas compris que c'était déjà peut-être plus qu'une amie depuis un moment. J'avais déjà retenu des détails de ce qu'elle aimait ou de ce qui comptait pour elle, la surprenant. Comme si nous avions cet attrait naturel qui faisait que même un détail ou une attention était toujours la bienvenue et étonnait toujours l'autre.
Je me mis à repenser la fois où ça avait été sûrement le plus évident et où j'avais presque nié les choses, me construisant une explication plus logique. Prendre la tradition comme une sorte d'excuse pour faire un premier pas pour la fameuse fête des amoureux...et ma semi-réponse le mois suivant, comme on le fait en Asie, ce qui était parfait pour une amoureuse du pays du Soleil Levant comme elle. Les phrases bredouillées quand elle m'a offert son cadeau, ma surprise et la situation presque identique, à l'inverse, à quelques semaines près. Je n'avais pas compris pourquoi j'avais senti ce besoin de lui répondre à ce moment-là, mais tout faisait de plus en plus sens aujourd'hui.
Je rangeais la lettre, glissant l'enveloppe entre d'autres documents, avant de tout éteindre et d'aller vers ma fenêtre. Il faisait bon ce soir et le ciel était étrangement étoilé. Je pris mon téléphone pour regarder l'heure et rapidement mes réseaux sociaux. Il était tard, mais elle était connectée, comme la plupart du temps. « Sûrement une nouvelle insomnie », pensais-je. Elle avait toujours un mal de dingue à dormir à ce que je voyais. Je faillis aller sur son prénom pour lui envoyer quelque chose, mais je savais que je ne ferais pas. Ce n'était pas mon genre et je ne saurais pas quoi lui dire.
Je savais qu'elle était également du genre à penser beaucoup, sûrement trop, et je ne pouvais m'empêcher de me demander si j'étais à l'origine de ses insomnies. « C'est possible, pour bien des raisons » me soufflais-je. Cela faisait des mois que je n'avais toujours rien dit. Même si j'avais déjà reçu, en cours de soirée potentiellement arrosée de son côté, des messages sur « sa » compréhension de ma possible réponse – visiblement très loin de la réalité –, je m'étonnais toujours un peu qu'elle n'ait pas profité d'être seule avec moi récemment pour l'avoir de vive voix.
Je lançais mon portable sur mon lit avant de m'adosser au mur, le regard tourné vers les étoiles. Il faudrait bien qu'un jour, je lui dise. J'avais beau y avoir réfléchi, pris des avis totalement extérieurs, ils avaient raison : pourquoi ne pas tenter ? Après tout, même si je n'y connaissais rien, elle m'intéressait. J'avais de plus en plus souvent son regard et son sourire en tête, ses expressions parfois si explicites et sa voix en tête. Ce n'était pas une obsession, mais je voulais passer du temps avec elle, sentir sa présence et l'apaisement qui en résultait. Il était indéniable que je ne pourrais plus être indifférent en la voyant, tout au contraire. L'observer parler de ce qu'elle aimait avec passion, voir revenir sa timidité dans une sorte de réprobation de certains de mes gestes que beaucoup d'autres auraient adoré avoir de la gente masculine. Elle était particulière, de bien des manières, mais j'appréciais tout ça au final.
Je pris une longue inspiration, me demandant si ma réponse serait la bonne, si elle n'avait pas déjà tourné la page. Une fille comme elle devait être courtisée, quelqu'un avait peut-être réussi à retenir davantage son attention. Peut-être que j'arriverais trop tard. J'avais remarqué que beaucoup de ses amis étaient des hommes et elle avait l'air particulièrement proche ou complice avec certains d'entre eux. J'avais l'impression de ne pas faire le poids malgré sa déclaration. « Peut-être était-ce mieux si cela se passait comme ça » m'étais-je mis en tête à un moment. Je ne voulais pas qu'elle rate une belle histoire pour quelqu'un qui pourrait la décevoir, qui ne saurait pas forcément comment être celui qu'elle attendait. Mais étais-je vraiment d'accord avec ça ?
Je baissais la tête, miné par cette pensée. Une simple lettre avait bouleversé mon petit monde, celui où je regardais mon entourage avoir de plus en plus de projets d'avenir alors que je n'avais rien de plus que mon travail, mes hobbies et mes proches, amis et ma famille. Elle avait réussi à me faire envisager la possibilité de quelque chose qui pourrait pourtant si facilement me glisser entre les doigts désormais.
Je ne pouvais plus nier qu'il y avait quelque chose, depuis un moment, bien avant sa lettre, qui existait. J'appréciais sa compagnie, ses aventures, son Histoire, sa présence. J'avais appris à la connaître un peu plus, me surprenant à nous trouver des points communs qui nous rapprochaient. Je tenais à elle, sans avoir compris pourquoi ni comment, et ses mots avaient mis le brouillard dans mon esprit, comme s'ils voulaient que je trouve ce qui m'avais perturbé à ce point.
Et depuis cette lettre, ce petit stress au moment de la voir, en attendant le moment propice pour lui dire ce que j'avais en tête. J'avais trop de questions, trop de doutes, trop d'incertitudes. Sans que je ne sache vraiment pourquoi. Je pouvais repousser beaucoup de choses au lendemain, mais j'abandonnais rarement. Alors pourquoi ce sentiment me venait-il si soudainement ? Parce que c'était la première fois que je ressentais ça ? Serait-ce cela « l'amour », comme beaucoup aime le dire ? Cette sensation de marcher sur un fil où un simple mot, une petite phrase pourrait tout faire basculer ? Pourquoi y penser, de manière négative, m'empêchait-il presque de respirer comme il le fallait ?
Je serrais les poings et secouais la tête. Je ne devais pas penser ainsi, j'avais juste à trouver la bonne occasion. L'avenir n'était pas si tracé que cela, je pouvais encore faire bouger les choses si je savais saisir le moment propice. Elle devait le savoir, à un moment où un autre.
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