Si le grain ne meurt...
5 novembre 2019
Si le grain ne meurt, André Gide.
Pour moi, Gide est encore une énigme. Qu'en sais-je ? Peu de choses. Je me souviens de deux livres de poche alignés sur l'unique tablette de mon lit cosy qui contenait tous mes livres à l'époque (Une centaine). Je devais avoir treize ou quatorze ans. Parmi ces livres, il y avait Balzac, Jules Verne, Victor Hugo, Anatole France, quelques livres de la collection spirales et d'autres de la bibliothèque verte des éditions Hachette. Dans mes souvenirs, il y avait deux livres de Gide : Isabelle et la Symphonie pastorale. Je me souviens bien de ce qui a motivé mon intérêt pour Balzac, Victor Hugo ou Jules Verne en revanche, je n'ai aucun souvenir qui puisse expliquer la présence de Gide. Sans doute, ai-je été attiré par le titre et l'illustration de la couverture du livre de poche, chose à laquelle je suis encore sensible aujourd'hui. J'ai lu ces deux livres à l'époque et ils m'ont laissé une bonne impression. Ils représentent pour moi, avec d'autres, une certaine nostalgie de mes premières lectures. J'ai gardé aussi un goût particulier pour les livres de poche dont les illustrations de couverture, souvent des aquarelles, étaient magnifiques. Elles invitaient à la lecture, au mystère, à l'aventure, j'ai rarement été déçu d'un texte dont l'illustration m'avait attiré.
Quelque temps plus tard, j'ai acheté "les nourritures terrestres", les premières lignes m'ont rebuté. Les années ont passé et je n'ai plus jamais relu Gide, ni ses œuvres ni sa biographie. Depuis, il est tombé un peu dans l'oubli. Pourquoi cette désaffection et ce regain pour Gide entre mon adolescence et aujourd'hui ? Gide n'est pas un auteur populaire et il n'a pas écrit beaucoup de romans. Il fait parti des grands écrivains, avec Proust et Valéry, qui ont dominé la période entre les deux guerres mondiales. Aujourd'hui plus personne ne lit Gide, même s'il est toujours considéré, du point de vue du style, comme un écrivain majeur du XXe siècle.
Il est né à Paris en 1869 dans une famille de la haute bourgeoisie protestante. Il perd très tôt son père, à l'aube de sa douzième année. Il restera marqué par l'éducation stricte de sa mère contrastant avec le souvenir d'un père doux et compréhensif. La fortune familiale lui permet de bénéficier de précepteurs particuliers, il apprend à jouer du piano et deviendra un bon musicien amateur. Il s'intéresse à la science, à l'entomologie, mais surtout à la littérature et produira très tôt un premier recueil de poésie à compte d'auteur qui passera complètement inaperçu. A l'école Alsacienne à Paris, il se lit d'amitié avec Pierre Louys. Plus tard, il fréquentera les cercles littéraires parisiens et rencontrera Paul Valéry et Stéphane Mallarmé. Il obtient un grand succès avec la publication des nourritures terrestres dont le lyrisme est salué par une partie de la critique. Son roman le plus lu sera "La Symphonie pastorale" publié en 1919 qui traite du conflit entre la morale religieuse et les sentiments. Il est aussi connu pour son journal qu'il rédigera toute sa vie. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1947 et meurt à Paris en 1951.
Dans "Si le grain ne meurt" Gide raconte ses souvenirs de jeunesse et ses débuts littéraires. On découvre un personnage très complexe, tourmenté, incertain dans ses opinions (plus tard, il sera antidreyfusard sans doute par antisémitisme, puis reviendra sur ses convictions tout en restant un peu ambigu, il se fera le chantre du communisme en 1930 puis exprimera sa désillusion après son voyage en URSS en 1936). Son autobiographie est une sorte de confession. Ce qui frappe le plus c'est l'auto dénigrement de l'auteur partagé entre le souhait de contrôler ses sentiments et ses pulsions et l'envie d'y céder pour mieux les dépasser. Dans la deuxième partie de ce livre Gide, révèle et assume son homosexualité et raconte sans vergogne quelques expériences avec des enfants lors de son voyage en Afrique du Nord. Ce type de confession serait inimaginable de nos jours, ce qui montre bien la distance qui nous sépare de cette époque. Gide serait aujourd'hui considéré comme un pédocriminel (terme qui tend à remplacer celui de pédophile), même si ses déviances ont été peu nombreuses et limitées dans le temps. C'est ce type de comportement qui sera la cause de sa rupture avec Paul Claudel le porte-drapeau d'un catholicisme sans concession.
Quant au style, c'est celui d'un grand écrivain maîtrisant parfaitement son art. Il a porté à des sommets la concision et la pureté de la langue française. J'ai beaucoup aimé son respect absolu des règles de concordance des temps, il emploie volontiers l'imparfait du subjonctif : "...je les retrouvais pendant quelques semaines chaque été, soit qu'elles vinssent à la Roque, soit que nous allassions à Cuverville..." (Si le grain ne meurt page 94). Cette manière d'écrire est complètement dépassée aujourd'hui et plus un seul écrivain contemporain ne maîtrise le subjonctif.
Je reste un peu secoué par les révélations de Gide dans son autobiographie, mais j'admire néanmoins la sincérité et l'honnêteté d'un homme qui n'a pas cherché à cacher les misères de la condition humaine qu'il personnifiait à certains égards. Je ne peux pas dire que je connais André Gide, mais je commence à percevoir à la suite de ces quelques lectures un personnage étonnamment complexe et intriguant. Sans doute vais-je poursuivre ma découverte de Gide en lisant quelques-unes de ces œuvres les plus connues comme l'immoraliste et les caves du Vatican, sans oublier son journal ou sa correspondance avec Paul Claudel.
Explication du titre, d'après Wikipédia :
Si le grain ne meurt fait allusion aux versets de l'Évangile selon Jean : " Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit.Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. "
Jean 12, 24-25
Ce choix de titre exprime l'enjeu de la vie de Gide :L'enfant qu'il reconnaît en lui-même, oppressé et paralysé par l'éducation puritaine et sévère de sa mère, doit mourir et céder la place au jeune homme épanoui, créatif et libre d'esprit.
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