La vie des fourmis

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7 décembre 2019

 Longtemps, j'ai élevé des chenilles dans des boites d'allumettes.

 J'étais en primaire et je cachais mes trésors sous mon pupitre d'écolier. Plus tard, comme tout le monde, j'ai contemplé l'énigmatique déambulation des fourmis dans le jardin de mon grand-père. La seule expérience à laquelle je me livrais à l'époque était de recouvrir d'un peu de terre l'entrée des fourmilières pour observer la manière dont ses habitants surmonteraient cette épreuve. Mon intérêt pour la gent entomofaune ne s'est pas démentie au fil des années. J'ai même été abonné plusieurs années aux publications de l'OPIE (l'office pour l'information ecco-entomologique). J'ai toujours eu une prédilection pour l'étude des insectes sociaux ; les termites, les abeilles, les fourmis et bien évidemment, j'ai lu le triptyque que Maurice Maeterlinck (1862-1949) leur a consacré. Aujourd'hui, j'ai relu son ouvrage dédié aux fourmis. Celui-ci n'a pas perdu de son intérêt même si sa première publication remonte à 1930, on y trouve l'essentiel pour satisfaire sa curiosité. Maeterlinck n'est pas un scientifique, mais un dramaturge et poète dont l'œuvre éclectique témoigne d'un intérêt pour la musique, la biologie, la philosophie et le mysticisme. Il a obtenu le prix Nobel de littérature en 1911.

 On lui reproche dans ses ouvrages sur l'entomologie, un anthropomorphisme outrancier. Il prête aux insectes une intelligence et un comportement parfois comparables à l'homme. Mais il n'a pas tort lorsqu'il écrit : "La vérité c'est que nous répugnons à admettre qu'il se trouve sur cette terre d'autres êtres qui aient, par leur intelligence ou leurs qualités morales, les mêmes titres que nous à quelqu'importance spirituelle, à l'on ne sait quel rôle exceptionnel dans l'univers, à l'on ne sait quelle immortalité, quels vagues et grands espoirs. Qu'ils puissent partager avec nous un privilège que nous croyons unique, ébranle nos illusions millénaires, nous humilie, nous décourage...". Cette vision est toujours d'actualité.

 Bien sûr, son étude n'a pas la rigueur d'un ouvrage scientifique, mais c'est justement l'intérêt de son approche. Il dresse un parallèle entre les mœurs des insectes et celui des hommes en essayant d'en tirer un enseignement philosophique. Pour l'étude rigoureuse de l'entomologie, il existe de nombreux ouvrages très précis sur l'éthologie et la physiologie, ceux de Maeterlinck n'ont pas de prétention scientifique, mais ils sont une véritable introduction à l'étude et propices à déclencher des vocations. Dans ce domaine, il faut citer le maître entre tous, Jean-Henri Fabre (1823-1915) , dont Jean Rostand résume en une phrase la personnalité « Un grand savant qui pense en philosophe, voit en artiste, sent et s'exprime en poète ». On se reportera à son œuvre monumentale "souvenirs entomologiques".

 Pourquoi aujourd'hui, doit-on s'intéresser aux insectes et en particulier aux fourmis ? D'abord parce qu'ils sont présents sur terre depuis la nuit des temps et que selon certaines hypothèses, ils seront sans doute encore là après la disparition de l'humanité. Les premiers ancêtres des insectes seraient apparus il y a environ 450 millions d'années, c’est-à-dire bien avant les dinosaures. Quant aux fourmis, dont on a recensé à ce jour 12 000 espèces (il en reste probablement encore 30 000 à découvrir) elles représentent dans le monde animal l'exemple de vie en société organisée le plus abouti, à la fois sur le plan du nombre d'individus rassemblés dans une fourmilière, mais aussi par le degré de complexité de leur organisation. On trouve des fourmis éleveuses de bétail (pucerons) ou agricultrices spécialisées dans la culture des champignons. Elles développent des interactions complexes avec le monde vivant : guerre, mutualisme, parasitisme voire même esclavage (même si la très grande majorité des fourmis sont "pacifistes"). Enfin leur système de communication et leur sens de l'orientation font encore aujourd'hui l'objet d'études, car tout le mystère de leurs aptitudes extraordinaires n'a pas été percé. L'énumération de leurs qualités et de l'originalité de leur organisation ont fait l'objet de milliers de volumes très savants dont beaucoup parlent à leur sujet, d'intelligence, voire de culture.

 Et que dire de leur sens du partage et de l'altruisme ! Écoutons Maeterlink :

"La fourmi n'est pas prêteuse, disait le fabuliste. C'est vrai, elle ne prête pas, car prêter n'est qu'un geste d'avare ; elle donne sans compter et ne reprend jamais. Elle possède à l'entrée de l'abdomen une poche qu'on pourrait appeler le jabot social. Cette poche explique toute la psychologie, toute la morale et la plupart des destinées de l'insecte... Cette poche est un organe de charité, la fourmi n'a d'autres plaisir que d'offrir à qui le veut prendre, tout le fruit de ses peines... Pour s'en convaincre, il suffit de teinter de bleu quelques gouttes de miel et de les offrir à une de nos petites fourmis dont le corps est presque transparent. On voit bientôt le ventre s'arrondir, se tendre et prendre une teinte azurée. Une demi-douzaine de quémandeuses, alléchées par l'odeur, la caressent fiévreusement des antennes. Elle les satisfait à l'instant et tous les ventres qui l'environnent deviennent bleus... Après quoi, la première bienfaitrice qui a donné tout ce qu'elle possédait, allégée, s'éloigne en trottinant et visiblement plus heureuse que si elle venait de faire trois ou quatre repas plantureux."

 Exception à la règle, il existe pourtant une espèce moins altruiste, la fourmi amazone (Polyergus rufescens) qui s'introduit dans une fourmilière pacifiste et réduit tous ses habitants à l'esclavage. La cible est habituellement constituée par les placides ouvrières d'une espèce du groupe Formica fusca, celles-ci dans leur grande bonté, adoptent les fourmis amazone. Elles ont pitié de leur incapacité à subvenir à leur besoin, tombent sous leur sujétion, les nourrissent et les soignent comme des enfants de leur propre nid. Il est d'autres exemples humains tout aussi déshonorants que l'on pourrait citer. Le nom même d'Amazon(e) évoque un certain géant du Web, membre du club des GAFFA, faut-il le considérer comme un parasite ou un génie du commerce œuvrant pour le bien commun ?

 Voilà le type d'interrogation que peut suggérer l'étude d'un si minuscule personnage : La fourmi.

Bibliographie :

"La vie des Fourmis", Maurice Maeterlinck, Le livre de poche (1964)

"La vie des Abeilles", Maurice Maeterlinck, Le livre de poche (1965)

"La vie des Termites", Maudice Maeterlinck, aux éditions Monte-Carlo.

Pour une approche plus scientifique tenant compte des dernières découvertes sur le sujet :

La véritable histoire des fourmis, Professeur Luc Passera, Fayard, 2006.

Pour tout savoir sur tous les insectes :

"Souvenirs entomologiques", Jean-Henri Fabre, Editions du Layet, collection "les introuvables", 10 volumes plus un volume pour la biographie de Fabre, (1979).

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