Le rêve
24 décembre 2019
Ceux qui ont connu le service militaire se souviennent des corvées pas toujours agréables que les gradés infligeaient à leur troupe. Pourtant, il en est une qui me laisse un excellent souvenir. Pour des raisons qui m'échappent aujourd'hui, on m'avait affecté, avec mon ami Serge, à la bibliothèque du CFM Hourtin. Notre mission était de faire l'inventaire de la bibliothèque. Je me souviens de cet immense bâtiment dont le toit en forme de coque de bateau retournée était vraiment très original. À l'étage se trouvait le foyer où trônait un vieux piano sur lequel je jouais en boucle le seul morceau que je connaissais ; "My year is a day". Mais il y avait aussi une bibliothèque.
Avec Serge, nous avons passé des heures à colliger sur un cahier d'écolier, un catalogue à la Prévert, qui n'avait rien à voir avec une liste exhaustive des livres disponibles, car nous avions décidé de faire une sélection composée uniquement des auteurs que nous souhaitions lire. Figuraient dans cette liste Giono, Balzac, Victor Hugo, Flaubert et bien d'autres, car notre appétit était insatiable. Je possède encore ce petit cahier et je peux dire, près d'un demi-siècle plus tard, que j'y suis resté assez fidèle. Emile Zola figurait en bonne place parmi nos sélections et j'ai régulièrement puisé dans son œuvre tout au long de ma vie. Aujourd'hui, j'ai lu le 16e volume des Rougon-macquart et je suis toujours aussi enthousiaste.
Zola fait partie de ces écrivains dont le don est si aiguisé qu'ils sont capables d'aborder n'importe quel sujet avec facilité. Ce talent peut parfois les conduire à sortir de leur domaine de prédilection pour créer des œuvres marginales. Tout en présentant des qualités indéniables, ces œuvres peuvent parfois décevoir ou tout au moins ne pas correspondre aux attentes des lecteurs. Les raisons qui peuvent pousser un auteur à s'engager hors des sentiers battus relèvent soit d'un défi personnel soit de l'amour-propre. Le 16e volume des Rougon-macquart "Le rêve", appartient sans doute à cette catégorie, tant il se distingue des autres romans de cette célèbre saga.
Inspiré de La Comédie humaine de Balzac, cette "Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire", a notamment pour but d'étudier l'influence du milieu sur l'Homme et les tares héréditaires d'une famille. On doit à Balzac la représentation réaliste de la société telle qu'elle apparaît aux yeux de l'auteur. Zola veut franchir une étape en tentant d'expliquer le comportement par les influences du milieu. Son approche se veut plus scientifique et est sans doute influencée par le positivisme d'Auguste Comte.
Angélique, fille abandonnée de Sidonie Rougon (voir La curée) est l'héroïne du "rêve". Elle est la descendante d'Adélaïde Fouque, l'origine de la tare génétique des Rougon. Zola veut nous montrer qu'une éducation soignée dans un milieu favorable peut corriger un destin. Angélique, enfant battue et rejetée, affectée d'un caractère violent et imprévisible, va, au contact de ses parents adoptifs, devenir un modèle de vertu. Voilà pour justifier sa place dans "les Rougon-macquart". C'est un peu maigre et l'on comprend aisément que ce roman puisse décevoir les lecteurs enthousiastes de "Germinal", de la bête humaine" ou encore de "L' Assommoir". Avec "le rêve" qui raconte la construction d'un amour d'une pureté séraphique nichée sous la protection de la "cathédrale" de Beaumont-sur-Oise, on s'éloigne de la noirceur, de la fange et des milieux délétères qui donnent le ton aux précédents romans de Zola. Cette histoire, par son début évoque la petite fille aux allumettes, elle comporte aussi, par les obstacles inattendus qui s'érigent face à l'amour passion, des analogies avec les romans de Jane Austen. Mais le génie propre de Zola ne tarde pas à déployer ses effets et on tombe sous le charme. En écrivant ce livre, l'auteur a sans doute voulu mettre un terme aux critiques de ses détracteurs qui lui reprochaient de ne montrer que le côté obscur de l'humanité. Il récidivera dans cette démarche avec la trilogie "Fécondité, Travail et Vérité" en dehors du cycle des Rougon.
"Le rêve" est ponctué d'hagiographies, de cérémoniales liturgiques, de descriptions techniques relatives aux métiers du vitrail et de la broderie. Émile Zola nous montre qu'il ne s'aventure pas dans un domaine sans s'être abondamment documenté sur son sujet. Ce souci de précision conduit à une certaine lourdeur, et cette recherche de réalisme n'est pas toujours crédible. L'abondance du vocabulaire technique s'insère de manière un peu artificielle dans le récit et évoque davantage le travail de l'écrivain que l'atelier de l'artisan. En d'autres termes, on voit l'homme de lettres à l'ouvrage plus que le tableau que celui-ci tente de nous peindre. Mais ces quelques défauts ne sont pas suffisants pour nous détourner de cette histoire d'amour très idéaliste qui relève un peu du conte de fée.
"Le rêve" œuvre marginale certes, mais œuvre magistrale tout de même.
Vocabulaire :
Braisiller : Scintiller avec une vivacité restant discrète.
Bibliographie :
- "Le rêve", Emile Zola, Editions GP (1958), collection SUPER, Illustrations de G. de Sainte-Croix.
Je possède une trentaine de livres de cette collection qui s'est développée des années 50 aux années 70 et dont je regrette la disparition. La reliure est pleine toile décorée de motifs discrets et chaque livre comporte des illustrations en couleur de qualité. C'est une collection de luxe pour adolescents et adultes au format 21x15, papier vélin supérieur avec une typographie et une mise en page soignées. On y retrouve tous les grands classiques de la littérature française et mondiale.
- "EmileZola, oeuvres complètes" en 15 volumes, cercle du livre précieux (1966) Une édition très complète avec le théâtre, les poésies, chroniques et correspondance, chaque oeuvre est précédée d'une introduction. On trouve encore assez facilement cette édition d'occasion en reliure rouge ou noire
- "Zola, une vie". biographie par Fréderick Brown chez Belfond 1996, un pavé de 922 pages pour tout savoir sur l'auteur des Rougon-macquart.
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