Sérotonine
Le 17 janvier 2020
Ce matin, j'ai reçu trois coups de fil dans l'intervalle d'à peine deux heures. Une fréquence qui se situe dans la moyenne de l'année écoulée.
Voici dans l'ordre, le début de ces trois appels :
- Bonjour monsieur, c'est le bureau national de l'habitat...
- Si vous souhaitez faire des économies sur vos factures...
- Une anomalie a été détectée dans votre dossier santé...
Les deux derniers appels provenaient de voix enregistrées. Les trois points indiquent le moment où j'ai raccroché.
Ceci n'est qu'un échantillon des motifs d'appels qui se renouvellent chaque jour. J'ai finis par les mémoriser et je peux sans attendre la suite, raccrocher rapidement.
Pour me changer les idées, machinalement j'ai allumé la télé, un sondage montrait que dans le duel annoncé pour les présidentielles 2022, Marine Le Pen et Emmanuel Macron seraient au coude-à-coude avec 29% d'intention de vote pour chacun. À vrai dire, ce ne sont pas les chiffres qui m'affligent, mais plutôt l'invariance du choix proposé.
Je zappe et retombe sur l'interview d'un député de la REM expliquant pour la millième fois, que les Français n'ont pas compris la réforme des retraites. Et pour nous convaincre, il affirme, sans rien démontrer, que ce projet est plus juste et plus simple que le régime actuel. Je me dis en moi-même qu'il est bien triste de constater que notre ministre de l'éducation ne trouve rien à redire à la pédagogie par injection de balles de LBD à bout portant.
Il faut ajouter à cela qu'hier, sur la 5, dans l'émission "Science grand format" d'éminents savants confirmaient que notre Terre allait disparaître à brève échéance par l'effet d'un réchauffement climatique massif.
Comme je prête l’oreille à la radio et l’œil aux journaux, les nouvelles déprimantes ne manquent pas et constituent une bonne préparation à découvrir l’univers nauséeux de Houellebecq.
Je viens de terminer son roman « Sérotonine ». Que voulez-vous, c’est la loi des séries, un malheur n’arrive jamais seul (je force un peu le trait).
Bon, évidemment, je n'ai pas la virtuosité de Houellebecq pour décrire le déclin et la noirceur du monde, peut-être (mais pas seulement !) parce que je n'en suis pas totalement convaincu. Je ne dirais donc pas que "Sérotonine" est un mauvais roman, car l'auteur démontre un talent évident pour décrire avec force la déliquescence d'un homme et à travers lui celle de l'humanité toute entière. De plus je partage certaines de ses idées, notamment lorsqu'il critique le libéralisme et la société de consommation. Cependant, je ne conseillerais pas ce livre aux dépressifs afin de leur éviter une surdose de mélancolie.
Houellebecq se veut le chantre de la misère existentielle de l'homme blanc du XXIe siècle. Paradoxalement, certains le décrive comme le dernier des romantiques et des poètes. Jugement qui me laisse perplexe à propos d'un auteur qui semble se complaire dans la description de la fange. D'autres l'ont comparé à Balzac pour sa capacité à montrer les stigmates d'une époque troublée par la perte de ses valeurs. C'est une aberration. Si Balzac a effectivement dénoncé sans concession les travers de la société, il a toujours fait preuve d'un grand optimisme et sa vision (sans parler de son génie) était beaucoup plus large, c'était une véritable force de vie, avide de proposer des solutions politiques et des réflexions philosophiques, contrairement à Houellebecq qui, dans "Sérotonine" nous décrit des problémes sans en expliquer les mécanismes de maniére convaincante et surtout sans proposer de remèdes. De plus, son style est pollué par un penchant à tomber facilement dans la pornographie. Une chose est néanmoins certaine, "Sérotonine" est un roman qui ne peut laisser personne indifférent, c'est sans doute ce qui fait le succès de cet auteur, adulé par les uns et voué aux gémonies par d'autres.
Aujourd'hui, de nombreux livres sur la bibliothérapie vantent les vertus thérapeutiques de la lecture. Si ce roman devait faire l'objet d'une prescription médicale (plutôt du genre homéopathique), la notice posologique ne manquera pas d'inviter à ne pas dépasser la dose prescrite (pas plus d'un chapitre par an) et je suppose qu'Il sera également conseillé de ranger cet ouvrage hors de la portée des enfants.
Houellebecq pourrait-être "le grand romancier du nihilisme occidental" comme le pense Michel Onfray, mais il faudrait pour cela qu'il ne se limite pas à décrire pour convaincre, car à vouloir trop noircir le tableau son oeuvre risque de manquer de lisibilité.
"Sérotonine", Michel Houellebecq, Flammarion 2018, 347 pages.
Annotations
Versions