1 - Trop de livres !
Ma bibliothèque totalise plus de sept mille livres et comme l'univers, elle est en expansion permanente. Lorsque les livres dénichent un terreau propice, ils prolifèrent tel un organisme vivant et vous n’y pouvez rien. Chaque jour, les livres sont de plus en plus serrés sur les rayonnages, ils semblent s’introduire chez vous à votre insu, peuplent le moindre recoin, s’empilent de la même manière que des acrobates jusqu’à des hauteurs vertigineuses, colonisent tous les espaces et bientôt vous devez lutter pour ne pas être submergé par ce flux de bouquins, de brochures, d’atlas, d’encyclopédies, de grimoires, d’elzévirs et autre in-octavo.
Pour ranger ces ouvrages, il faut de nombreuses étagères, celles-ci sont réparties dans toutes les pièces de la maison y compris le sous-sol où se trouve la « réserve ». C’est beaucoup pour une collection privée. En France, plus de la moitié des bibliothèques municipales compte moins de trois mille documents. Cette énorme quantité de livres a intrigué ma petite-fille Apolline alors âgée de cinq ans qui m’a demandé un jour : « Papi, pourquoi tu as trop de livres ? ». Cette question qui est à la fois une interrogation et une affirmation m’a conduit à réfléchir sur l’origine de mon appétence pour la chose livresque.
J’ai toujours aimé lire. Le premier livre dont je garde des souvenirs précis est un manuel scolaire « Lectures actives pour le cours élémentaire » de G. et M. Duru éditions classiques Hachette (1953). Il contenait des extraits d’œuvres de divers écrivains et comptait de nombreuses illustrations relativement austères avec très peu de couleur. Je me souviens de quelques-unes des histoires « Un cochon en pain d’épice », « L’histoire d’un bébé vraiment minuscule ». Lorsque je lisais ces récits, je n’étais pas capable d’analyser mes émotions, mais l’agencement des mots, qui par magie se transformaient en images dans mon esprit, me conduisait à une admiration béate pour les maîtres-écrivains auteurs de ces écrits. Il y a quelques années, j’ai retrouvé ce livre dans la bibliothèque de mon oncle après son décès. Bien sûr, je ne suis pas certain qu’il s’agit exactement de l’exemplaire de mon enfance, mais j’ai reconnu immédiatement l’édition, les illustrations et les textes.
D’où mon oncle tenait-il ce livre et pourquoi l’avait-il conservé ? Je ne voyais qu’une explication, c’était un rescapé du contenu de mon cartable d’écolier.
Ce livre ne me quitte plus désormais et je l’ai rangé dans le tiroir de ma table de nuit. Il n’est pas exclu qu’il soit à l’origine de mon envie d’écrire des petites histoires sur des thèmes très variés comme ce fut le cas quelques années plus tard en classe de préparation au certificat d’études.
Mon instituteur avait une pédagogie que je trouvais assez avant-gardiste ; il nous autorisait à choisir librement le sujet des rédactions que nous devions composer. C’était pour moi un vrai plaisir, je pouvais laisser libre cours à mon imagination débordante et j’inventais des histoires de corsaires et de flibustiers, d’envahisseurs extraterrestres ou d’enquêtes policières. Mes écrits avaient un certain succès, mon instituteur les montra au directeur de l’école qui se trouvait être aussi (mais je ne le sus que beaucoup plus tard) auteur de plusieurs romans. Un jour, pendant la récréation, le directeur vint me voir, j’avais une certaine inquiétude, car il m’inspirait un peu de crainte, il n’était pas très grand, mais sa démarche assurée lui conférait un air martial que renforçait une coupe en brosse et une voix grave à l’accent rocailleux, mais chantant du Sud-ouest et puis surtout, c’était le « directeur ». Toutefois, mon appréhension fut rapidement dissipée, car loin de me reprocher quoi que ce fût, il me félicita pour mon imagination et me donna une pièce de 5 francs, ce qui acheva de me surprendre puis, en se tournant vers mon instituteur, il dit : « Voici un futur Simenon ! ».
C’était la première fois que j’entendais parler de Simenon, mais je me doutais qu’il y avait lieu d’être flatté. Le compliment était immérité, mais je le pris comme un encouragement et je trouvais là, une raison de plus pour aimer les livres et le monde qui gravitait autour…
dernières corrections le 19 juin 2020
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