Le tour d'écrou
Le 27 mars 2020
Deux bonnes raisons au moins m'ont incité à lire ce livre. La première, c'est que je n'avais encore rien lu d'Henry James. Une grave lacune, car on parle ici d'un auteur majeur de la littérature réaliste américaine du XIXe siècle. La deuxième raison tient au fait que ce petit roman est pour beaucoup considéré comme un chef-d' œuvre. Il figure aussi en bonne place dans les livres recommandés par Bernard Pivot dans sa "Bibliothèque idéale". Enfin, je peux y rajouter une troisième raison, plus prosaïque, celle de désencombrer ma table de chevet qui commence à craquer sous le poids des livres en attente de lecture.
En deux mots, rappelons qui est Henry James (1843-1916). Il est né à New York au sein d'une famille aisée. La fortune de son père lui permet de choisir librement son activité. Après un court essai dans la peinture, il décide de devenir écrivain. Il voyage beaucoup et passera la majeure partie de sa vie en Europe en particulier à Londres. Son œuvre est immense et très variée : romans, théâtre, essais, récits de voyage. Ses œuvres les plus connues sont : "Les Bostoniennes", "Washington square", "Les ambassadeurs". Ses thèmes de prédilection : l'évolution de la société américaine de son temps, la naissance du féminisme, les histoires de fantômes. Et justement avec "Le tour d'écrou", publié en 1898, on est en plein dans le mystère, le fantastique, les maisons hantées, un genre dans lequel il excelle.
De quoi s'agit-il ? Dans une vieille maison, un soir de Noël, au coin du feu, un homme raconte une histoire macabre à quelques amis réunis pour la circonstance. Ce récit provient du manuscrit rédigé par l'héroïne de l'aventure :
Une jeune institutrice est engagée par un riche gentleman pour s'occuper de ses neveu et nièce, Flora et Miles. L'action se déroule dans une vaste propriété qui au premier abord semble offrir une belle sinécure. De nombreux domestiques s'occupent de tous les détails matériels, il y a même une gouvernante qui libère l'institutrice d'un certain nombre de tâches, la vie se déroule paisiblement au milieu d'une agréable campagne. Première énigme, on ne saura pas pourquoi l'oncle a envoyé les enfants dans cet endroit relativement désert, de plus il ne veut en aucun cas être informé de quoi que ce soit, il délègue toute son autorité à l'institutrice. Très rapidement, celle-ci est séduite par les enfants, tous les deux d'une grande beauté et particulièrement intelligents, mais elle est aussi confrontée à d'effrayantes apparitions, celles de deux anciens serviteurs du domaine, Peter Quint et miss Jessel, décédés quelques années avant. L'institutrice va se comporter en courageuse gardienne de l'intégrité morale et physique des enfants. Elle va tout faire pour les préserver de l'influence maléfique des revenants tout en essayant de percer les secrets qui entourent leur personnalité. L'intérêt de l'histoire repose sur l'interprétation des phénomènes étranges qui se produisent et l'analyse psychologique des personnages. L'auteur entretient l'ambiguïté et le doute, rien n'est affirmé explicitement. On peut penser que l'institutrice est folle à moins que ce ne soient les enfants, dont le comportement est parfois déroutant. On peut même voir dans cette histoire un récit freudien ou le personnage principal exprime ses fantasmes. Le suspense est entretenu avec finesse. L'histoire est découpée en petits chapitres qui se terminent souvent par un fait surprenant ou par une question de l'un des protagonistes qui laisse le lecteur en suspension. La réponse est partiellement distillée par touches impressionnistes dans le chapitre suivant. Jusqu'à la fin, le doute persiste. L'auteur a voulu nous plonger dans l'angoisse et le vertige provoqué par des événements d'apparence surnaturelle, sans nous donner la clé de l'énigme.
À ses lecteurs qui lui reprochait de n'avoir pas expliqué la nature de ces mystérieuses apparitions, Henry James à répondu : «Aussi longtemps que les événements demeurent voilés, l'imagination s'emballe et suscite toutes sortes d'horreurs, mais dès que le voile est levé, le mystère se dissipe et, avec lui, tout sentiment de terreur.»
Je ne sais pas si cette nouvelle est le meilleur point d'entrée dans l'œuvre d'Henry James, mais je pense qu'elle donne un bon aperçu de son talent et de son style très raffiné. Certaines phrases sont parfois un peu longues et correspondent à la manière d'écrire un peu chargée de détails des écrivains du XIXe siècle, c'est la raison pour laquelle cet ouvrage pourrait ne pas plaire à toutes les générations. Il y a pourtant beaucoup de charme dans ce texte finement ciselé et qui se prête bien à la description psychologique des principaux personnages. Peut-être pas un chef-d'oeuvre, mais à tout le moins un grand classique du genre fantastique, avec une ambiance qui évoque le célèbre roman "Rebecca" de Daphné du Maurier. L'histoire se termine par un fait inattendu qui permettra peut-être aux plus sagaces lecteurs de trouver une interprétation satisfaisante.
Bibliographie :
"Le tour d'écrou", Henry James, Le livre de poche (1995), 159 pages.
La meilleure biographie d'Henry James :
"Henry James Une Vie", Léon Edel, Seuil (1990) avec 24 pages de photos en noir et blanc, 855 pages.
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