Tous les matins du monde
Le 12 mai 2020
Une fois n'est pas coutume, c'est seulement après avoir lu "Tous les matins du monde" que je me suis renseigné sur l'auteur.
Pascal Quignard est né en 1948, il a été lauréat du prix Goncourt en 2002 pour "Les ombres errantes", publié chez Grasset. Il est aussi violoncelliste mais dirige très rapidement son activité vers la littérature avec un premier essai paru en 1969 au Mercure de France avant de rentrer au comité de lecture de Gallimard en 1976. Il est considéré aujourd'hui comme un auteur majeur de la littérature française contemporaine.
Il développe dans son œuvre assez inclassable une réflexion philosophique personnelle sur de nombreux sujets. Dans le cadre de mes incursions dans la littérature contemporaine je considère qu'il s'agit là d'un auteur qui mérite attention. J'avais un vague souvenir du film tiré de son livre "Tous les matins du monde" réalisé par Alain Corneau en 1991 avec Guillaume Depardieu, Gérard Depardieu et Jean-Pierre Marielle. Mes souvenirs étaient liés surtout à l'excellente interprétation de Jean-Pierre Marielle, mais l'histoire en elle-même ne m'avait pas fait forte impression. J'ai donc lu ce petit livre (116 pages) qui s'apparente plutôt à une nouvelle de la taille des romans d'Amélie Nothomb. Dans ce genre, au moins l'auteur ne cherche pas à délayer et à rallonger artificiellement son récit. Il dit tout ce qu'il a à dire, sans en rajouter. Tous les thèmes et toutes les histoires ne se prêtent pas à ce format mais il faut bien reconnaître que lorsque c'est bien fait, la brièveté du récit n'enlève rien à son intérêt.
L'action se passe au XVIIe siècle en France. Depuis la mort de sa femme, Monsieur de Sainte-Colombe, homme austère et passionné, grand maître de la viole de gambe, vit retiré dans sa propriété, avec ses deux filles, Madeleine et Toinette. Sa réputation de musicien va au-delà de sa demeure campagnarde. Un jour, le roi Louis XIV envoie un émissaire pour lui proposer de jouer à la cour. Monsieur de Sainte-Colombe refuse catégoriquement et déclare préférer composer dans son cabanon isolé plutôt que de faire le pitre à la cour :
«Je suis si sauvage, Monsieur, que je pense que je n'appartiens qu'à moi-même. Vous direz à Sa Majesté qu'elle s'est montrée trop généreuse quand elle a posé son regard sur moi.»
Quelque temps plus tard, Marin Marais, un jeune homme ambitieux et doué, lui demande de le prendre pour élève. Sainte-Colombe d'abord réticent, finit par accepter.
L'idée développée dans le récit est articulée autour de deux thèmes : le deuil impossible d'un homme qui aimait passionnément sa femme et la recherche de la perfection dans l'art musical. Monsieur de Sainte-Colombe (le personnage a réellement existé même si l'on connait peu de détails sur sa vie) est un homme au tempérament fougueux et déroutant. Il est pétri de contradiction et se débat entre son peu de disposition au langage qui le rend inexpressif et sévère, et sa soif d'amour absolu. Son extrême sensibilité ne peut s'exprimer qu'au travers de la musique. L'auteur nous dévoile ainsi des détails sur le comportement de son héros qui contraste avec l'idée que l'on peut se faire d'un artiste sensible :
"Il écrasait les cerfs-volants et les hannetons avec le fond des bougeoirs : cela produisait un son singulier, les mandibules ou les élytres craquant lentement sous la pression régulière du métal… Mais l'homme n'était pas si froid qu'on l'a décrit, il était gauche dans l'expression de ses émotions; il ne savait pas faire les gestes caressants dont les enfants sont gloutons… Il était sujet à des colères sans raison qui jetaient l'épouvante dans l'âme des enfants…".
Monsieur de Sainte-Colombe tente de faire de son élève un vrai musicien mais considère que celui-ci aime trop les honneurs et l'argent pour être capable d'accéder à la connaissance intime de la musique.
Sainte-Colombe est très affecté par la disparition de sa femme, il a des visions très réalistes de celle-ci et peut même avoir avec elle des conversations. Il a du mal à distinguer la réalité du rêve.
L'atmosphère de ce roman est très prenante et nous plonge dans un univers particulier ou se mêle plusieurs intrigues, entre le musicien et son élève et entre celui-ci et les filles de son maître de musique, tout cela dans l'ambiance coquine du siècle de Louis XIV, le dépaysement est total.
On attend en vain les idées précises de l'auteur sur la musique, il ne fait que nous dévoiler quelques éléments, peut-être pour mieux démontrer que l'on ne peut pas expliquer la musique par des mots. C'est un livre sur l'amour de la musique et l'indicibilité des passions, mais aussi sur la mort où l'auteur revisite le mythe d'Orphée. J'ai aimé l'intensité, la puissance et la quête d'absolu du personnage de Sainte-Colombe ainsi que l'originalité de l'histoire et sa forme dépouillée mais efficace.
Bibliographie :
- "Tous les matins du monde", Pascal Quignard, folio, Gallimard (2011), 116 pages.
Adaptation au cinéma :
- "Tous les matins du monde", film réalisé par Alain Corneau en 1991. Important succès, avec plus de deux millions d'entrées. Obtient le César du meilleur film en 1992.
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