La Dame de pique
Le 18 mai 2020
On parle fréquemment de ce que l'on nomme « l'âme russe » pour désigner l'indicible spécificité de la culture et de la spiritualité russe. Même si ce concept est apparu après la publication des Âmes mortes de Gogol en 1842, on doit certainement à Pouchkine (1799 - 1837) d'en avoir posé les fondements littéraires notamment avec ses recueils de nouvelles où l'exotisme russe fonctionne à plein rendement. Les noms des personnages suffisent déjà à plonger le lecteur dans la Russie de Nicolas 1er : la comtesse Anna Fédotovna dans La Dame de pique, le barine Alexeï Berestov et la surprenante Akoulina dans La Demoiselle paysanne. On trouve dans tous ses récits : des tempêtes de neige, des duels, des amours contrariés, des princes, des moujiks, des laquais, des troïkas, des hussards arborant la croix de saint Georges, des salons feutrés où l'on joue au « pharaon (1) » mais aussi de la féerie, du fantastique et de l'humour. Pouchkine est surtout connu comme poète fondateur de la grande poésie romantique mais sa prose anonce aussi le réalisme russe. Il a exercé son talent en précurseur, dans tous les domaines de la littérature : poésie, nouvelles, théâtre, drame historique, journalisme.
Pouchkine doit sans doute une partie de l'affection du peuple russe à sa fin tragique ; il décédera dans d'atroces souffrances, deux jours après son duel contre un français au nom dumasien : le baron d'Anthès qui avait eu l'outrecuidance de courtiser sa jeune épouse. Il n'est pas exclu d'ailleurs que d'Anthès ait été manipulé par le tsar.
On apprend dans les commentaires à la fin de ce recueil, que c'est le comte Benkendorf, chef de la police secrète, qui par un saisissant raccourci, résumera le mieux le destin de Pouchkine :
« Au début de cette année (1837) est mort d'une blessure reçue au cours d'un duel notre fameux poète Pouchkine. Il réunissait en lui deux être distincts : Il était un grand poète et un grand libéral, ennemi de tout pouvoir. » (Page 179)
Pouchkine comptait parmi ses amis plusieurs décembristes ayant participé à la tentative d'un coup d'État militaire qui s'est déroulée en décembre 1825. À ce titre il était surveillé par la police du tsar.
Son destin romanesque n'a rien à envier à ses personnages. On regrette la disparition prématurée de cet immense poète qui a inspiré plusieurs générations d'écrivains de Dostoïevski à Nabokov en passant par Tolstoï.
Pouchkine était un homme joyeux, solaire, rêveur et généreux, adepte des petits plaisirs de la vie. Il ne se plaçait pas en moralisateur.
La Dame de pique et autres nouvelles, est un recueil composé de six récits assez courts, les uns appartiennent au genre fantastique les autres au domaine du conte ou de la peinture de moeurs réalistes, tous affirment la vérité des passions. On y retrouve les qualités du style de Pouchkine : rigueur, équilibre, concision. Ces textes, à la fois étranges et modernes, réunissent tous les ingrédients de la littérature de divertissements : quiproquos, méprises, déguisements, suspense, coïncidences incroyables et dénouement inattendus mais souvent heureux. Pouchkine se refuse à la grandiloquence et prône l'éloquence dans la simplicité.
Cette lecture s'est déroulée comme une belle promenade dans la russie du XIXe siècle.
(1) jeu de cartes très en vogue au XVIIIe siècle.
Bibliographie :
- "La Dame de pique et autres nouvelles", Pouchkine, Le livre de poche (1991), 185 pages, commentaires et notes de Georges Philippenko.
- "Parcours de lecture : Pouchkine", Gérard Langlade, Bertrand-Lacoste (1998), 126 pages.
Biographie de Pouchkine :
- "Alexandre Sergueïevitch Pouchkine", Henri Gourdin, Les éditions de Paris (1999), 261 pages.
- Article "Pouchkine" volume 4 des grands écrivains du monde, Fernand Nathan (1978), pages 311 et suivantes.
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